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Après Wiki, Karachi ?


Après Wiki, Karachi ?

J’aime bien les chœurs de vierges effarouchées. Comme ceux qui se lèvent désormais après les « révélations » (je ne saurai faire autrement que mettre entre guillemets) de Wikileaks sur le thème « la politique étrangère des Etats ne saurait se faire sous le regard de tous ».

Bizarre, parce que juste sous nos yeux, nous avons une bien jolie affaire, ou disons deux pour le prix d’une, à propos desquelles les mêmes belles voix journalistiques réclament la transparence la plus intégrale. Je parle de Karachi, ses sous-marins Agosta, ses commissions pakistanaises, ses rétrocommissions libanaises, son potentiel financement occulte de la campagne Balladur, ses onze morts de la DCN, tout d’abord mis sur le dos de Ben Laden, puis non pas vraiment.

La presse, dans une belle unanimité, réclame la levée du secret-défense sur un certain nombre de documents protégés aujourd’hui, pour que les juges d’instruction chargés des deux affaires Karachi, (celle de l’attentat et celle des soupçons de financement occulte), puissent travailler. Jusqu’ici, le Premier ministre leur a refusé d’aller mettre leur nez dans des écoutes téléphoniques planquées à la DGSE, des pièces comptables abritées à Bercy ou encore des PV d’enquête parlementaire censées ne pas sortir des coffres de l’Assemblée. Toutes ces pièces, et j’imagine bien d’autres, sont couvertes par le secret-défense. D’ailleurs, c’est devenu une sorte de vulgate journalistique que de manier le secret-défense avec une mine pincée de conspirateur, comme pour dire, hou la la, je parle d’un truc énorme, mais je ne peux guère vous en dire plus. Sauf qu’à moins d’avoir fait du droit public et longtemps (ce que nous avons fait, frimons un peu) le concept est flou. Et non ça ne veut pas juste dire : on met un tampon sur des docs pour éviter que ces fouineurs de journalistes/juges/adversaires politiques n’utilisent nos secrets inavouables pour nous faire des misères.

Pour le coup, comme on dit, c’est un poil plus compliqué que ça et ça a à voir avec l’existence même de l’Etat (de droit). « Présentent un caractère de secret de la défense nationale […] les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de protection destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès », dit l’article 413-9 du code pénal. Evidemment la notion s’est élargie au fil du temps. Dernière évolution en date, en 2009, le gouvernement a restreint la possibilité pour les magistrats d’aller dans certaines zones militaires, en les obligeant à saisir l’autorité qui a classé les docs qu’ils recherchent, qui elle-même doit saisir une commission pour statuer sur l’opportunité ou non d’accéder à leur demande.

Gare à l’épidémie de wikileaksite

Moi, je suis assez basique : je crois toujours que le droit et les formes ça sert à protéger les plus faibles, ceux qui en savent le moins, soit les gens dans mon genre. Et dans le fond, par moment je fais plus confiance à ceux qui planquent des documents, ou plutôt refusent de les mettre en ligne, qu’à ceux qui s’échinent à vouloir me permettre de les télécharger. Que ça cause de sous-marins, de centrales, de contrat d’aviation, d’opérations militaires ou de terrorisme. En la matière, il n’y a pas de morale, hormis celle de l’intérêt public, enfin j’espère. Et les juges qui s’érigent en justiciers à défaut de faire leur boulot me foutent la trouille. D’autant qu’ensuite je sais qu’ils finissent par être candidats à la présidentielle avec des lunettes rouges…

Evidemment, il ne faut pas s’étonner que tout le monde n’ait que le mot transparence à la bouche quand des anciens ministres, genre Millon ou Villepin, balancent des trucs aux juges et à l’opinion avant de revenir doucement sur ce qu’ils ont dit et quand les politiques eux-mêmes donnent l’impression d’utiliser le secret défense pour dissimuler des trucs qui n’en valent pas la peine -ou qui tout en en valant la peine, relèvent plus du dossier pourri à planquer aux oubliettes que du secret défense tel que le définit la loi.. Honnêtement, si tout ce monde était moins bavard et plus respectueux de la loi, et si on avait traité les familles des victimes de Karachi avec moins de désinvolture et de mépris, celles-ci n’en seraient peut-être pas à mettre tous leurs espoirs dans un « petit juge », histoire de faire tomber un système qu’elles estiment responsable de leur deuil.

Si la France était une vraie démocratie, on confierait une partie de l’enquête aux députés, en leur faisant confiance pour ne pas mettre d’huile sur le feu. Au lieu de quoi, agacés de plus en plus par la tournure des événements, certains (enfin un communiste) se disent prêts à la wikileaksite (maladie infantile qui consiste à balancer aux juges les docs demandés, au risque de faire annuler les procédures, mais ça, tout le monde s’en fout).

Somme toute, il va falloir être costaud, et légitime politiquement, pour résister à l’obsession de transparence morbide qui monte. Il faudra peut-être se souvenir de cette phrase d’un ancien bâtonnier de Paris qui disait : « La seule chose vraiment transparente en ce bas monde, ce sont les méduses ». 99 % d’eau, zéro cerveau, m’est avis qu’avec ça la vérité va avancer…



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est journaliste

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