Ce que je dois à André Glucksmann


Je l’ai rencontré pour la première fois en 1956, au moment de la création de l’Union des étudiants communistes, au sein de laquelle il défendait une position dissidente, au nom du cercle des prépas communistes du lycée Henri IV. Il voulait, chose incompréhensible pour moi, que cette organisation communiste soit indépendante, qu’elle ne s’aligne pas nécessairement et par principe sur les positions du parti. Il défendait carrément « le droit à l’erreur » pour la jeunesse !

Comme j’étais à l’époque un vrai stalinien et fier de l’être, je ne l’ai absolument pas suivi. Mais enfin, c’était la première fois que j’entendais une pensée dissidente s’exprimer à voix haute, intelligible et passionnée, à l’intérieur du mouvement communiste.

C’est une expérience qui a peut-être laissé des traces en moi quelques années plus tard, quand le bureau national de l’Union des étudiants communistes dont je faisais partie vira du stalinisme à l’anti-stalinisme, sous l’influence du parti communiste italien et d’autres voix venues elles aussi de l’intérieur du mouvement communiste.

À cette époque, rien de ce qui venait de l’extérieur, et donc de l’ennemi, ne pouvait nous atteindre et nous faire vaciller.

André Glucksmann, lui, n’avait pas besoin que d’autres lèvent pour lui la chape de plomb de  l’appartenance à la famille communiste. Il s’autorisait à penser par lui-même et à exprimer les vérités que d’autres refoulaient de toutes leurs forces pour ne pas se mettre en difficulté avec eux-mêmes.

Cette liberté d’esprit et cette passion de la liberté ne le protégeaient pas de l’erreur, puisqu’il participa passionnément, après mai 68, à la folle aventure du maoïsme à la française. Folie totalitaire contre laquelle il se retourna l’un des premiers. Il a été, pour moi et pour d’autres, le premier de ma génération à oser faire remonter sa critique radicale jusqu’au communisme même.

La levée de ce tabou fut un événement d’une importance capitale pour ceux que le communisme avait fascinés et captivés, en particulier parce qu’ils croyaient que le communisme était l’opposé absolu du nazisme. Grâce à ses livres La Cuisinière et le mangeur d’hommes, réflexions sur l’État, le marxisme et les camps de concentration, et Les maîtres penseurs, il devenait possible de nous engager dans les combats présents en ennemis de tous les totalitarismes.

Ce billet est plus qu’un témoignage d’amitié personnelle : il est une reconnaissance de dette.

Les maîtres penseurs

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André Sénik, professeur agrégé de philosophie.

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