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Résister au « buonisme »


Résister au <em>« buonisme »</em>
Coup d'État des 18-19 brumaire an VIII. François Bouchot, Le général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, à Saint-Cloud. 10 novembre 1799.
Coup d'État des 18-19 brumaire an VIII. François Bouchot, Le général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, à Saint-Cloud. 10 novembre 1799.
Coup d'État des 18-19 brumaire an VIII. François Bouchot, Le général Bonaparte au Conseil des Cinq-Cents, à Saint-Cloud. 10 novembre 1799.

Quel est le point commun entre Eric Woerth et Eva Joly ? Réponse : l’hémiplégie. Lorsque la France connaît un accès de fièvre, ils accusent le thermomètre. Woerth nie l’ampleur de la grogne sociale en l’attribuant à une minorité de syndicalistes agités. Quant à Méluche, il élude des questions aussi incontournables que le néo-communautarisme, la dérive pédagogiste de l’Ecole ou la mainmise des bandes sur des quartiers entiers en les ramenant à de vulgaires histoires de gros sous. Ce regrettable aveuglement porte un nom : le buonisme.

Raffaele Simone[1. Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite ? Le Débat, Gallimard, 2010.] définit cette dérive libertaire, particulièrement prégnante à gauche, comme « une attitude d’acceptation débonnaire de tout ce qui arrive [qui] soutient que, dans le monde des hommes, rien n’est vraiment dangereux et tordu [et] abomine l’idée même de répression, de fermeté, d’action radicale ». Cette croyance entraîne chez ses pratiquants la « disparition du culte de la fermeté et aussi de la radicalité des décisions ».

Examinons les tables de la loi buonistes.[access capability= »lire_inedits »]

Premier dogme : le réel tu abhorreras.

Pour complaire aux illuminés de l’angélisme, il faut sans cesse réécrire le passé et le présent. Comme dans 1984 d’Orwell, il s’agit de les faire correspondre avec les cadres de l’idéologie dominante. Ainsi, la traite négrière fut le seul fait des Européens et Guy Môquet un résistant (alors qu’il finit en avocat martyr du pacte germano-soviétique !). Au premier qui dit la vérité, l’opprobre est assurée. Pétré-Grenouilleau et Zemmour vous le confirmeront.

Au risque de nier la réalité des faits, l’ange buoniste idéalise les figures des marginaux et des exclus, exaltant l’irrévérence de salon. Il suffit de lire la dernière page de Libé, cette ode quotidienne aux rebellocrates, pour le constater : le réel est populiste. Oublions-le et revenons à l’Homme, le vrai, coulant d’humanitarisme sirupeux !

Deuxième dogme : ton prochain tu idéaliseras.

Il n’y a d’homme que bon. Ainsi pensent ceux qui ont lu mais pas compris Rousseau.

La fleur au fusil (à eau), la gauche sociétale exclut toute idée de rigueur morale prompte à désaliéner l’individu. Comme chez Mao, on condamne le déviationnisme réac. Dans le rôle du coupable parfait, il y avait jadis Georges Marchais, qui déclarait en pleine campagne présidentielle : « Nous posons les problèmes de l’immigration […] Pour la jeunesse, je choisis, moi : oui, je choisis l’étude, le sport, la lutte, et non la drogue ! »

Oui, vous avez bien lu. Aujourd’hui, cette lucidité sur la nocivité des psychotropes lui vaudrait un procès en rouge-brunisme dans lequel il serait accusé de surfer sur les thématiques du Front national. Pourtant, l’ADN de la gauche ne consistait pas à ignorer les préoccupations populaires mais à y répondre par des changements radicaux de structures. On peut penser ce qu’on veut de l’autogestion ou des nationalisations. Il n’empêche : à l’époque, la substantifique moelle du clivage droite/gauche paraissait moins obscure.

Troisième dogme : l’autorité tu abjureras.

La déesse Ouverture serait la solution miracle à tous nos maux ! Dans un irénisme niais, nos amis buonistes supposent l’existence d’une Main invisible apte à réguler tous les conflits. Contrer l’influence des narcotrafiquants en légalisant le cannabis (Europe écologie ©) et anéantir l’exploitation négrière des sans-papiers en les régularisant intégralement (Front de gauche ©, Europe Ecologie © et, plus logiquement, Alain Madelin ©) assureraient le salut de l’humanité.

Plus globalement, les fatwas buonistes entendent détruire les rares obstacles institutionnels qui font encore écran entre l’homo consumans et le marché. N’oublions pas que, depuis 1983, l’idéologie du désir constitue l’horizon de substitution de cette nouvelle gauche oublieuse des rapports de classe. Ayant l’euromondialiste Cohn-Bendit comme parangon, celle-ci communie dans un catéchisme libertaire qui donnerait des boutons aux (vrais) socialistes. De Proudhon à Baudrillard en passant par Sorel, la tradition socialiste française s’est toujours méfiée de l’idéologie du progrès, a fortiori depuis qu’elle a muté en bougisme néolibéral (©Taguieff). Pas besoin d’être Jérémie pour comprendre qu’aller dans le sens du vent et subvertir toutes les valeurs établies favorisent l’expansion du capital.

Jour J de la révolution : détruire les idoles.

Aux yeux des adeptes de la mondialisation heureuse, le consumérisme ne peut être que libérateur. Pour qui a déjà visité un appartement ouvrier équipé d’une TV plasma dernier cri, le doute est permis.

Si la France décidait, un jour, de se doter d’un gouvernement économiquement responsable qui rétablirait les protections douanières aux frontières pour mieux protéger son industrie, une mini-révolution culturelle s’imposerait[2. Au sens originel du terme, c’est-à-dire non maoïste (que les bonnes âmes se rassurent !). ]. Pour peu que l’on rapatrie une bonne partie de l’industrie en France, les citoyens responsables devraient prendre conscience de la valeur d’usage des objets. Revenir à des choses simples, qui avaient l’allure d’évidences dans des temps pas si lointains. Non, on ne doit pas forcément changer de portable tous les ans. Non, le progrès par la croissance ne se fera pas à grands coups d’usine de boulons sans débouchés industriels ou à force de packaging inutile. Corrigé par le populisme, c’est à ces problématiques que doit nous amener le stérile débat croissance/décroissance, trop souvent ramené à une querelle de fétiches.

J + 1 : chasser les marchands du temple.

Comme il existe un bon cholestérol, subsiste un populisme sain. Qui, comme nous le rappelle Alain de Benoist, consiste à faire remonter les demandes du peuple sans parler en son nom. La démocratie directe, honnie des oligarchies financières, échappe au contrôle de la représentation. C’est bien le problème : le peuple pense mal ! Anticonformiste par nature, il rejette le mimétisme idéologique des gouvernants pour lui préférer l’expression brute de son désespoir. Faute de débouché politique cohérent, ce mouvement d’indignation collective restera au stade de l’aboiement. Il y a tout à craindre d’un dialogue de sourds entre une protestation creuse et un élan protestataire qui ne trouverait comme interlocuteur qu’une gauche de jouisseurs consuméristes vautrés dans la fange sociale-démocrate.

Rompant avec les intérêts de classe de la bourgeoisie, la gauche devrait tuer son surmoi libéral. On ne change pas la vie contre le peuple. C’est en substance ce que le socialiste républicain Georges Sarre rappelait, le 14 juillet, en chantant la Marseillaise devant l’Hôtel de Ville de Paris, appelant à renvoyer « dans ses cordes […] cette part de la gauche, qui n’en a que le nom, et qui ne supporte pas la nation citoyenne, alors qu’elle est le dernier rempart contre la mondialisation et l’Europe libérales et leur cortège d’inégalités, de régressions, et d’anomie dans la société ».

Plût au peuple qu’il soit entendu ! [/access]

Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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