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Y’a pas le feu au lac, mais…


Y’a pas le feu au lac, mais…
Michel Houellebecq.
Michel Houellebecq
Michel Houellebecq.

Fréquentant actuellement d’autres lacs et d’autres sommets que ceux servant ordinairement d’écrin à ma précieuse existence, la lecture me rappelle que je ne suis pas d’ici. La similitude géologique et morphologique entre les Alpes et les Rocheuses dément la théorie qui voudrait que le terroir façonne les hommes. Le montagnard européen et son homologue américain sont aussi éloignés l’un de l’autre dans l’espace qu’ils le sont dans leur Weltanschauung. On en reparlera, c’est promis.

À propos de terroir, c’est la lecture du dernier Houellebecq, La Carte et le territoire, qui m’a ramené en France le temps de deux insomnies nocturnes. Je ne me joindrai pas au chœur des dithyrambes qui a accueilli ce livre avant même sa mise en librairie. Il est, paraît-il, voué au Goncourt comme le cochon à l’abattoir. Simplement, je l’ai aimé, comme un insomniaque qui peut se consoler de son infirmité en constatant, voyant l’aube poindre et tournant la dernière page du livre, que cette nuit fut exceptionnellement agréable.[access capability= »lire_inedits »]

Mais comme le bonheur n’est jamais aussi intense que lorsqu’il est pimenté de colère, c’est vers l’éditeur de Houellebecq que la mienne va se déchaîner. Comment peut-on avoir laissé passer, dans un bouquin porteur d’une immense ambition littéraire, des énormités de détail qui salissent l’ensemble comme une tache de vin sur une chemise blanche ? Appeler par exemple une chaudière « chauffe-eau », alors que cet appareil ménager joue un rôle non négligeable dans la vie du héros ? Comment peut-on, dans un livre où l’on porte aux nues l’esthétique de la carte Michelin, écrire que le péage d’entrée de l’autoroute du Sud, dite « du soleil », se situe à Saint-Arnoult-en-Yvelines ? Que la nationale 10 vous conduit dans le Loiret ? On est où, là ?

Comment un éditeur digne de ce nom peut-il laisser écrire à son auteur vedette, et peut-être promis à une glorieuse postérité, qu’un rapport médical a été rédigé à Zurich en suisse allemand. ? Chacun devrait savoir que le « Schwyzerdütsch » se parle mais ne s’écrit pas, le Hochdeutsch, l’allemand classique, faisant office de langue commune dans la presse, la littérature et la publicité germano-helvétique.

On ne demande pas à la littérature de nous gaver de connaissances, mais on peut au moins exiger d’elle qu’elle ne nous enfume pas lorsque cela n’est pas esthétiquement nécessaire.

Je m’en tiendrai là, mais ces bourdes sont loin d’être les seules.

La maison Flammarion tient-elle son tiroir-caisse Houellebecq en telle révérence (ou en telle crainte ?) qu’elle n’ose pas, de peur de le voir fuir vers d’autres cieux éditoriaux, lui suggérer, avec tous les ménagements possibles, qu’un petit coup de chiffon, par-ci par là, ne serait pas inutile ?

La littérature, comme l’art, est aussi un artisanat, ce thème traversant d’ailleurs le livre en question. Le vrai maître est celui qui sait soumettre son chef-d’œuvre, pour polissage, à quelque tâcheron(ne) aussi dévoué que modeste.[/access]

Octobre 2010 · N° 28

Article extrait du Magazine Causeur



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