Quand j’entends le mot caricature…


Quand j’entends le mot caricature…

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Trois mois déjà, depuis l’Hyper-Charlie. On commence à prendre du recul, ce qui signifie que toutes sortes de brillants esprits expliquent qu’il faut comprendre et que, dans la grille culturelle du monde arabe, les caricatures de Charlie Hebdo peuvent heurter la sensibilité des croyants, ce qui bien sûr ne justifie en rien, et bla-bla-bla…

Faut que je comprenne… O.K., je me mets dans la grille culturelle adéquate…

Je me concentre…

Et, hop ! Je sens que ça monte ! Ça marche ! J’ai une envie irrépressible de descendre dans la rue afin de crier mon indignation ! Ces caricatures heurtent profondément mes convictions. Elles sont une insulte à mes valeurs, à mon humanisme pacifique.

Ça y est ! Je comprends ! Le divin est en moi. Je suis téléporté dans le temps et l’espace.

Je suis au Mali le 16 janvier devant le monument de l’Indépendance de Bamako. On était 7 000 après la prière de 16 heures. Que des hommes. Très en colère. Dans mon référent culturel, seul les hommes sont en colère. Les femmes ont autre chose à faire, comme le ménage, la cuisine et s’épiler. On n’est pas des sauvages, on suit la mode : plus on se laisse pousser la barbe, plus elles épilent la leur. On dit que le monde arabe n’invente plus rien depuis des siècles ? Calomnie ! C’est qui qu’a lancé la mode des hipsters, c’est les curés peut-être ?[access capability= »lire_inedits »]

Comme c’est tout près, un petit crochet par le Sénégal, le temps de brûler un drapeau français à Dakar, ça réchauffe le cœur, et j’en profite pour pousser jusqu’à Niamey, au Niger. On fait une belle émeute : cinq morts. Et on vandalise une dizaine d’églises. On est un peu vénère parce que hier vendredi, à Zinder, le Boko-Haram Club local a fait cinq morts aussi, mais 45 blessés en plus ! Bon, ils ont incendié que trois églises, mais ils ont détruit le Centre culturel franco-nigérien. Alors j’espère que ça vaut pas plus que deux églises, le centre culturel, sinon la honte pour nous ! Zinder, c’est que la deuxième ville du pays. Il faudrait quand même pas qu’ils finissent médaille d’or… Le BHC Niamey reprend avec moi : « Eh Zinder, va niquer ta mère, sur la cane, cane cane… » C’est pas parce qu’on est paix et amour qu’il faut renoncer à une saine émulation.

Le lendemain, je suis à Grozny, capitale de la République tchétchène. On était 500 000 entre la place Minoutka et la Mosquée centrale. Je me suis fait traduire les banderoles en cyrillique : « Non aux caricatures du Prophète » ; « L’islam, religion de bonté et de création ».

Ensuite, comme ça ne me faisait pas trop loin, j’ai voulu faire le rassemblement de Moscou, on était quand même 100 000 prêts à y aller, et, hop ! Manif interdite… ET LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, ALORS ?!!

Court passage à Sanaa, au Yémen, manif devant l’ambassade de France… Il y a une banderole qui m’a marqué : « Je sacrifie mon père et ma mère pour notre prophète. » C’est beau, quand même…

À Alger, on était 3 000. On l’a joué « J’ai avalé un clown » en détournant leur « Je suis Charlie ». Certains scandaient « Nous sommes tous des Mahomet ». Quelle bande de déconneurs, les Algériens ! On a ri ! Il y en a même quelques-uns qui criaient « Je suis Kouachi ». C’était magnifique une telle solidarité. J’ai dû me retenir pour que mon émotion ne ruisselle pas sur mes joues. Un bien bel hommage…

À Istanbul aussi il paraît qu’ils ont rendu un hommage aux frères Kouachi devant la mosquée du district de Fatih. Mais je n’ai pas pu y aller, ça se passait en même temps.

J’ai raté un paquet de teufs comme ça. Il y avait Nouakchott en Mauritanie, Amman en Jordanie, Tunis, Khartoum au Soudan, l’Iran, la Syrie, mais on peut pas être partout…

C’est comme à Cannes, il y a tellement de réceptions pendant le festival qu’il faut choisir.

Je me suis dit que le Pakistan, c’était bien pour finir en beauté. Un pays où le blasphème est puni de la peine de mort ne peut pas rater ses manifs contre Charlie. La déception !

On n’était que 15 000 à Islamabad. Pour un pays de 200 millions d’habitants, c’est nul ! Il paraît même qu’à Karachi un rassemblement pour protester contre l’attaque d’une école par les talibans, qui avait fait 151 morts dont 132 enfants, pile un mois avant, le 16 décembre 2014, a fait plus de monde que nous. Que voulez-vous attendre de bon de traîtres qui osent faire passer le Prophète après les humains ? Ah, ça m’a dégoûté ! Je ne suis pas resté !

Content de retrouver mon canapé. Je suis fatigué d’avoir hurlé, marché, mais soulagé d’avoir pu crier mon indignation. Pour me détendre un peu, j’allume la télé.

Je vois des têtes coupées par l’État islamique, des femmes yazidies vendues au marché aux esclaves, des enfants chrétiens pourchassés, massacrés. Au Danemark, l’attaque contre la conférence et celle contre la synagogue le lendemain. Deux morts. Au Kenya, les 148 chrétiens, triés et assassinés par les shebabs. Ça m’énerve, ces médias qui ne parlent que de ça ! Qui nous montrent sous un jour négatif, tout le temps. Ça favorise l’amalgame. C’est dégueulasse !

Heureusement, le thé me fait du bien. Je m’apaise…

Et puis BFM envoie une nouvelle qui m’avait échappé : l’artiste suédois Lars Vilks, sorti indemne de l’attentat qui le visait, le 14 février dernier à Copenhague, a été distingué samedi dans la capitale danoise par le prix de la Société pour la liberté d’expression (Trykkefrihedsselskabet). Rien que le nom en VO claque comme une insulte. Et j’apprends que l’écrivain danois Kåre Bluitgen, à l’origine de l’affaire des caricatures de mon Prophète en 2005, auteur de plusieurs livres sur le Coran, a publié vendredi un nouveau roman satirique sur la « folie religieuse » en Arabie au viie siècle. Il y décrit, entre autres, Mahomet comme « un bouc ivre », « un moment sexuellement impuissant », et marié à « une fille de 9 ans »…Le chien !

Putain, ça y est ! Ça recommence ! Ma sensibilité vient d’être à nouveau heurtée ! Je suis comme happé par ma colère. Je suis à Téhéran, à l’entrée de l’International Holocaust Cartoons Contest. Ça le fait, un nom comme ça ! Comme possédé par la grâce, j’entre dans le centre culturel. Je vais m’inscrire au concours de caricatures pour nier la Shoah organisé par l’Iran.

Merde ! C’était possible que jusqu’au premier avril. Sacré poisson ! Aussi déconneurs que les Algériens ces Iraniens… Le gagnant recevra 12 000 dollars en espèces. Ceux qui obtiendront la deuxième et la troisième place remporteront respectivement 8 000 et 5 000 dollars.

Le rapport avec les caricatures de Charlie ou les insolents scandinaves ? Euh…, ben, c’est des juifs, les juifs ! Quand même…

Quoi ?! Ah, non ! Je tombe sur le blog de Joann Sfar, celui qui dessine le Chat du rabbin, si vous voyez ce que je veux dire… Celui qui a fait un film sur Lucien Ginsburg, si vous voyez ce que je veux dire… Voilà que ce jui…, euh je veux dire ce sioniste, veut concourir ! Mais ils sont vraiment partout ! Ce peuple sûr de lui et dominateur est d’une arrogance insupportable. Ils se sentent tellement supérieurs qu’ils croient même qu’ils vont être plus drôles que nous ! Il va falloir qu’ils se lèvent tôt… Le dessin où un jui…, euh, un sioniste, avec ses papillotes marche au milieu des crânes qui jonchent le chemin depuis la mosquée al-Aqsa et s’arrête devant un miroir qui lui montre son reflet : un officier nazi, il va faire plus marrant peut-être, Joann Sfar ? Et celui où un jui…, oups, un sioniste, avec son gros pif, est assis à son bureau qui est un coffre-fort et compte sur un boulier fait avec des têtes de morts, pour finalement dire au pif (trop gros le pif ! La vache, moi aussi je suis drôle !) : « Six millions ! » Il va faire plus percutant, Joann Sfar ? Pour qui il se prend ?!!

Ça m’inquiète un peu quand même. Ils risquent de le gagner ce concours. Faut se méfier du célèbre humour jui… euh…sioniste. Surtout s’il y a des concurrents ashkénazes. Qui pourra mieux haïr les juifs qu’un type qui a été obligé de manger de la carpe farcie toute son enfance ?[/access]

*Image : Soleil.

Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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est cinéaste et scénariste. Il a notamment réalisé La journée de la jupe (2009).

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