Agnostique, la chorégraphe Marie Chouinard s’est saisie du Magnificat de Jean-Sébastien Bach avec le mysticisme des gens qui doutent, mais subodorent qu’il existe une puissance spirituelle qui nimbe tout l’univers…
Sur la scène vide et sombre sont lâchés de brefs cercles lumineux, des poursuites en terme technique, comme si les éclairagistes du spectacle qui s’annonce effectuaient d’ultimes essais. Et des coulisses parviennent les accords dissonants d’un orchestre dont les musiciens accordent leurs instruments en prévision du concert qui va débuter. Puis apparaissent une à une les silhouettes noires des danseurs qui s’étirent et s’échauffent sur le plateau avant que de se lancer. Voilà un prologue qui pourrait être vu comme une préparation spirituelle au rituel qui va se dérouler sur les accents de ce Magnificat dont la création a eu lieu il y a quelques mois au festival Madrid en Danza.
Profonde originalité
Marie Chouinard est Canadienne. Plus exactement Québécoise, ce qui est fort différent. Et cela se sent dans son travail. Il y a dans ses chorégraphies quelque chose d’organique, d’instinctif, de très physique. Aussi élaboré soit-il, son travail conserve quelque chose de simple, de spontané. De primitif dans le sens d’originel.
Quasiment nus, la tête sommée d’une coiffe circulaire, les treize danseurs de la compagnie sont lancés dans un rituel orgiaque, encore que très contrôlé. On y sent une liberté, une légèreté jubilatoire aussi, des cadences qui font lointainement penser aux danses d’Isadora Duncan où le corps s’abandonne à la volupté de parcourir l’espace sans entraves. Et on y admire une gestuelle toujours renouvelée.
A lire aussi: Robinson Crusoé, un anti-héros sauvé par une production intrépide
Qu’on adhère ou non à l’esthétique de la chorégraphe québécoise, son travail inspire le respect et une admiration due à la sincérité, à l’authenticité de sa démarche et à une profonde originalité. Sa danse ne ressemble à aucune autre. Elle s’épanouit loin, très loin des stéréotypes de la scène actuelle, de ce nouvel académisme benêt et de ces références obligées qui ruinent tout particulièrement la danse contemporaine française en l’uniformisant terriblement.
Pourquoi faut-il alors que ce Magnificat ne soit programmé au Théâtre de la Ville que durant quatre jours devant des salles combles, alors que la demande aurait permis de donner davantage de représentations ? C’est aussi absurde que regrettable pour le public que pour la compagnie québécoise.

Des dessins d’Henri Michaux
Après ce singulier Magnificat, une reprise d’une pièce plus ancienne, créée en 2011 lors d’un festival dans la Vienne des Habsbourg, achève la soirée.
Mouvements s’inspire d’un recueil de 64 dessins qui accompagnent un poème, tous ouvrages d’Henri Michaux. Du poème clamé d’une façon peu intelligible, on ne retient pas grand-chose. Mais les dessins qui semblent tracés à l’encre de Chine, vaguement anthropomorphes pour beaucoup, et projetés sur un vaste écran, sont comme redessinés, reproduits par les corps des danseurs. C’est très habile et leur incarnation par les artistes de la compagnie est étonnante. Mais le fond sonore assourdissant qui accompagne cette débauche d’attitudes est bientôt pénible. Et surtout, tout le recueil de dessins y passe. Aussi respectable que soit la démarche, elle s’allonge indéfiniment, et l’on ne détesterait pas que les dernières pages en aient été arrachées.

Théâtre de la Ville, Le 12 décembre 2025 à 20h, le 13 décembre à 15h et 20h.
De 8 € à 40 €. 1h30
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !




