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Teleperformance: une entreprise face à l’IA

Le géant tempère ses ambitions mais accélère sur l’IA


Teleperformance: une entreprise face à l’IA
Bureaux de la multinationale Teleperformance à Salt Lake City, aux Etats-Unis, 2019 © Kris Tripplaar/Sipa USA/SIPA

Le spécialiste tricolore des centres d’appel a ajusté à la baisse ses objectifs annuels, malgré un troisième trimestre solide. Si le titre a légèrement reculé à la Bourse, la réaction du marché reste mesurée, les nouvelles prévisions étant proches du consensus. L’enjeu pour Teleperformance est désormais de conjuguer automatisation par l’IA et préservation du capital humain pour rester compétitif dans les services.


Vous voyez ces gens qui vous répondent quand votre box tombe en panne, que votre ordinateur s’éteint sans prévenir ou qu’une facture devient un casse-tête ? Ces voix anonymes, qu’on imagine dans un open space à l’autre bout du monde, font tourner une bonne partie de l’économie française. On les entend sans les voir, on les croit remplaçables, mais derrière ces appels du quotidien se cache une industrie bien réelle.

Un géant français

Centres d’appels, gestion externalisée de la relation client, traitement de demandes de visa, modération de contenus en ligne, un vaste ensemble de tâches que beaucoup ignorent, mais sans lesquelles le système s’arrêterait net. Ce sont de gros employeurs, discrets mais indispensables, qui offrent du travail à tous les niveaux, du jeune sans diplôme au cadre spécialisé. Un secteur qu’on remarque surtout quand il dysfonctionne, mais qui, le reste du temps, maintient la mécanique du monde connecté en état de marche. Ce n’est pas l’activité la plus connue parmi celles qui tirent la France vers le haut, moins prestigieuse que le luxe et moins symbolique que la défense, mais elle contribue pourtant à la solidité du tissu économique national.

Si nous parlons aujourd’hui de Teleperformance (TP), ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit d’un géant français du service, mais parce que cette entreprise permet d’observer de près comment l’intelligence artificielle transforme en profondeur les activités dites ordinaires. Née à Paris en 1978, bien avant que la relation client ne devienne un business mondialisé, Teleperformance a fait du service un empire qui illustre la capacité d’adaptation et d’innovation de l’économie française. En un peu plus de quarante ans, elle est passée du simple plateau téléphonique au groupe mondial présent dans plus de 90 pays et fort de 400 000 salariés. Loin du cliché de la standardiste, Teleperformance gère aujourd’hui des segments entiers du quotidien numérique : assistance technique, formalités administratives, sécurité en ligne, modération de contenus pour les grandes plateformes.

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C’est une entreprise au cœur d’un métier peu qualifié, souvent perçu comme interchangeable, mais dont la continuité est essentielle à la stabilité économique. Étudier Teleperformance revient donc à comprendre comment une entreprise « lambda » en apparence, mais majeure dans les faits, affronte la mutation technologique la plus rapide de notre époque.

Comme beaucoup de pionniers du service, TP a compris qu’il fallait désormais parler la langue de l’intelligence artificielle. Non par effet de mode, mais parce qu’il devient impossible d’y échapper. Trier, répondre, anticiper sans lever la voix ni demander de pause, l’automatisation promet de faire ce que l’humain ne peut plus suivre. Officiellement, il ne s’agit pas de remplacer, mais d’accompagner, et dans les faits, l’IA s’installe au cœur des opérations. Elle trie les demandes, évalue les performances, prédit les besoins et aide à planifier.

Ce virage n’est pas une coquetterie technologique, mais une réponse lucide à la pression d’un marché que les géants américains veulent dominer. C’est aussi un test grandeur nature pour mesurer la manière dont une entreprise fondée sur le travail humain peut intégrer la machine sans se renier. Regarder Teleperformance, c’est donc observer en direct les effets de la révolution IA sur l’économie réelle, celle des services, des emplois de masse et des marges serrées.

Mauvaise semaine

Après une semaine agitée, l’action Teleperformance a perdu 6,5 %, sans décrochage massif. Le repli observé après l’annonce d’un ajustement de prévisions traduit davantage une phase de digestion qu’une perte de confiance. Selon Les Échos, la résistance du titre témoigne d’une intégration progressive des mauvaises nouvelles et d’un attentisme prudent du marché.

Malgré un troisième trimestre marqué par un ralentissement du marché américain, des effets de change défavorables et les désormais habituelles incertitudes géopolitiques, le chiffre d’affaires a progressé de 1,5% à périmètre constant pour atteindre 7,6 milliards d’euros sur neuf mois. Les activités dites « Core Services », cœur du métier, enregistrent plus de 3% de croissance, tandis que les zones Europe–Moyen-Orient–Afrique et Asie-Pacifique demeurent dynamiques.

Les services spécialisés, liés à la gestion de contrats complexes comme les demandes de visa, reculent de 8,7%, mais cette baisse ponctuelle masque une progression sous-jacente de 2,6%. Sorti du CAC 40, le groupe prouve néanmoins sa résilience. Présente dans plus de 90 pays, TP prévoit pour 2025 une marge d’EBITA comprise entre 14,7 et 15% et un cash-flow libre proche du milliard d’euros.

En misant sur une IA d’accompagnement et d’optimisation pour le recrutement, la formation, la planification et le suivi qualité, Teleperformance structure méthodiquement son virage. Les activités technologiques et de conseil progressent à deux chiffres, confirmant la pertinence du modèle.

Ce n’est pas une activité « glamour », mais une entreprise fondée sur des méthodes industrielles appliquées à un métier de service. C’est un acteur essentiel dans un secteur discret mais vital, dont dépendent des millions d’interactions quotidiennes. Observer TP, c’est comprendre comment une entreprise ordinaire devient un laboratoire de la mutation économique en cours.

Sa capacité à absorber les chocs, à intégrer l’intelligence artificielle et à préserver l’emploi humain en fait un exemple concret de la manière dont nos économies peuvent non seulement survivre à la révolution technologique, mais aussi s’en nourrir.



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