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Shein au BHV, taxe sur les petits colis: les vieilles peurs du commerce français


Shein au BHV, taxe sur les petits colis: les vieilles peurs du commerce français
Le socialiste Emmanuel Grégoire parle devant le BHV dans le centre de Paris, le 10 octobre 2025 © Stephane Lemouton/SIPA

L’annonce du partenariat entre le BHV et Shein a déclenché une vague de réactions où se mêlent nostalgie, inquiétude et une certaine méfiance de principe. Une panique morale qui conduit souvent à l’outrance, à l’autoritarisme, et, spécialité française… à de nouvelles taxes. Ainsi de celle sur les petits colis, censée protéger nos commerçants de la déferlante asiatique mais qui pourrait bien, paradoxalement, accentuer encore leurs difficultés.


Rhétorique de la forteresse assiégée

L’ancien patron de Système U et actuel ministre des PME, du Commerce et de l’Artisanat, Serge Papin, a été parmi les premiers à s’émouvoir du partenariat entre le mastodonte chinois et la très prestigieuse adresse parisienne. « Nous sommes en train de nous faire envahir », a-t-il averti, n’hésitant pas à avoir recours à la rhétorique de la forteresse assiégée. Il y a quelque chose de tout à fait « soviétoïde » dans l’affirmation de Bercy selon laquelle « l’intention de Serge Papin est de rouvrir le dossier et de voir comment il serait possible d’empêcher cette collaboration ». La France, où la liberté d’association serait remise en cause ? La France, où un secteur tenu par quelques familles pourrait faire barrage à des choix éclairés de marques et entreprises privées en s’appuyant sur tous les relais économiques et administratifs du pays ?

Les propriétaires du BHV, Frédéric et sa sœur Maryline Merlin, n’ont pas cherché à déplaire à monsieur Papin, ils ont fait un pari : celui que commerce physique et numérique ne sont plus des mondes séparés, mais les deux faces d’une même économie. Ouvrir un espace Shein dans le BHV, c’est admettre qu’une partie de la clientèle d’aujourd’hui — jeune, connectée, exigeante sur les prix — ne se reconnaît plus dans le grand magasin d’hier. Il n’est pas sûr que ce pari soit sans risques ; mais il a au moins le mérite d’assumer la modernité du moment.

Car le modèle Shein n’a pas grand-chose à voir avec celui des enseignes de fast-fashion des années 2000, comme Kiabi ou Zara. Sa force réside dans la production à la demande : fabriquer en fonction de la demande réelle, en petites séries, sans stock inutile. En somme, une mode de grande consommation plus réactive qu’industrielle — et, paradoxalement, moins gaspilleuse que celle d’hier, car elle ne génère presque pas d’invendus.

Pas de pétrole… et de moins en moins d’idées

À en croire certains, Shein serait responsable de la désertification des centres-villes, de la perte de souveraineté économique et du déclin du textile français. Mais ces maux sont bien antérieurs à l’essor du e-commerce. Les hypermarchés, dont Serge Papin fut l’un des grands patrons, avaient déjà aspiré la vitalité des petits commerces ; la fiscalité, les loyers et la centralisation urbaine ont fait le reste.

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La crise du commerce de proximité n’est pas chinoise, elle est française. Dans Le JDD, le négociant en vin international spécialiste des marchés asiatiques, Jean-Guillaume Remise, le rappelait à juste titre : « L’arrivée de Shein ou Temu n’est pas la cause du déclin, mais un symptôme d’une transformation plus profonde. » Autrement dit, ce n’est pas Shein qui a dévitalisé le commerce français, c’est notre incapacité à en réinventer les modèles. À produire des idées neuves, et à les mettre en pratique.

Des pages du site Web Shein, à gauche, et du site Temu, à droite © Richard Drew/AP/SIPA

À chaque problème sa taxe

Dans ce contexte, il est d’autant plus ironique d’entendre certains prôner de nouvelles taxes nationales sur les petits colis importés. Présentée comme une mesure de “justice économique”, la taxe de deux euros appliquée sur chaque article présent dans les colis d’une valeur de moins de 150 euros importés depuis l’extérieur de l’Europe, pèsera surtout sur les consommateurs les plus modestes — ceux pour qui l’achat en ligne n’est pas un choix de confort, mais une nécessité budgétaire. Là encore, Serge Papin plaide pour une moralisation du commerce, sans voir que la morale coûte cher à ceux qu’elle prétend défendre.

Mais, de façon tout à fait contreproductive, les petits commerçants risquent eux aussi d’en payer le prix : utilisant les mêmes canaux logistiques que les plateformes étrangères pour leurs importations, ils verront leurs coûts grimper, leur compétitivité s’éroder, et leurs marges se réduire, face à des concurrents qui n’auront pas à s’acquitter de cette taxe.

Shein n’est pas un modèle à suivre aveuglément, ni un danger à conjurer à tout prix. C’est un symptôme, parfois inquiétant, souvent éclairant, d’un monde où la compétitivité prime sur la nostalgie. Les Merlin, en l’accueillant, ont pris un risque : celui de vivre avec leur temps. Le reste du commerce français est-il, de son côté, encore capable de se battre autrement qu’à coups de sermons ? Les indignations passent, les transformations, elles, s’installent.



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