La réforme Affelnet, qui a injecté quelques centaines d’élèves méritants issus de classes et de lycées non privilégiés dans le haut du panier scolaire parisien, n’est décidément pas passée. Ses contempteurs, usent de n’importe quel prétexte pour la discréditer — et réserver aux classes bourgeoises résidant dans les beaux quartiers de la capitale les places qui leur sont dues par droit de naissance. Notre chroniqueur s’en amuse et s’en attriste à la fois.
Un illustrissimo fachino, comme on disait à l’époque de Mazarin, un certain Jean-Yves Chevalier, prof de maths à la retraite, vient de bondir, dans les colonnes de Marianne, sur les derniers résultats du Concours général pour fustiger à nouveau le système Affelnet, selon lui responsable de la dégringolade du lycée Henri-IV.
Jean-Yves Chevalier, au tableau !
C’est un multi-récidiviste : comme disait Audiard, non seulement ça ose tout, mais ça persévère.
Evaluons le scandâââle : cette année le lycée favori des bobos du Ve arrondissement n’a eu aucun reçu au Concours général. Preuve, selon ce Monsieur Chevalier, de l’effet pervers de la réforme Affelnet, qui a modulé le vieux privilège de ce lycée consistant à choisir ses élèves à l’entrée en Seconde, en lui imposant quelques élèves venus d’ailleurs — comprenez : de lycées périphériques où les parents ne sont décidément pas des CSP++. Tout le monde sait que les pauvres, ça pue. Et c’est nul.
Quelques poignées de banlieusards suffisent-elles à faire vaciller l’empire de l’élitisme républicain ?
Permettez-moi de rappeler ce que j’écrivais il y a deux ans au tout début de L’Ecole à deux vitesses :
« Si vous pensez que les riches sont plus intelligents que les pauvres, ce livre n’est pas pour vous.
« Si vous croyez que le fait d’être logé dans un appartement à 13 000 € le m2 conforte votre intellect, ce livre n’est pas pour vous non plus — ni pour l’agent immobilier qui vous a vendu votre trois-pièces surpayé sous prétexte que vous aviez l’eau sur l’évier et Henri-IV sous vos fenêtres.
« Si vous pensez sérieusement que quelques « fils et filles de » pourris-gâtés, scolarisés dans telle ou telle école privée à la réputation surfaite, suffiront pour sauver la France de la décadence dans un premier temps, et de l’asservissement bientôt, en laissant dans le fossé 90% du potentiel intellectuel du pays, ce livre n’est vraiment pas pour vous.
« Et si vous estimez que votre progéniture a hérité de vos capacités, et que le fait qu’elle soit insupportable en classe et récolte des notes exécrables est la preuve qu’elle dispose d’un Haut Potentiel Intellectuel, passez votre chemin. Ou offrez-vous, sur la pile à côté, l’intégrale des œuvres de Philippe Meirieu. »
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Qu’un mathématicien s’appuie sur les chiffres du Concours général (créé sous l’Ancien Régime, il concerne chaque année quelques poignées d’élèves sur 20 000 candidats pour toute la France) est confondant. Comme ce concours est accessible aux élèves de Première et de Terminale, ce sont 450 lauréats (en comptant les prix et les accessits) sur 1,4 million d’élèves qui seront reçus par le président de la République — apte, comme chacun sait, à distinguer l’excellence.
N’importe qui — sauf les matheux, apparemment — comprendra qu’un tel échantillon n’est en rien représentatif de l’excellence scolaire. Une si faible « cohorte », pour parler comme les statisticiens, qui n’a d’autre unité que de sortir globalement de la cuisse de Jupiter, n’a aucune représentativité.
Parce que l’excellence n’est pas dans cet osmazôme scolaire (l’osmazôme, pour ceux qui ne s’intéressent pas à la cuisine, est le nom donné par le chimiste Louis-Jacques Thénard, au XIXe siècle, à l’extrait ultime de viande, ce concentré sublime dont un Allemand tirera le bouillon Liebig). L’élitisme républicain consiste à donner à tous la même formation initiale (en Primaire), puis à décanter lentement, par un système de filières et de sélection, les meilleurs élèves, en poussant chacun au plus haut de ses capacités. Quelles qu’elles soient, et pas forcément dans les disciplines classiques.
C’est ce mécanisme vertueux que le collège unique du duo infernal Haby / Giscard a mis à mal. La gauche, qui à l’époque avait encore le souci de l’école, s’y était fermement opposée. Aujourd’hui, elle hurle si l’on parle de reconstituer des classes de niveau — autre preuve du fait qu’elle a viré de 180° sur toutes les questions souveraines. Afin d’accueillir au plus mal des dizaines de milliers d’enfants étrangers baragouinant un français approximatif, elle a sacrifié nos propres enfants. On veillera à ne pas le lui pardonner.
Tartuffes
D’autant que ces grandes intelligences n’oublient pas leurs enfants, et à force de dérogations et d’arguments péremptoires (« Moi, c’est pas pareil »), ou tout simplement parce qu’ils sont de gauche mais logent dans des quartiers et des villes de riches, les inscrivent dans les « bons » lycées. Privés ou publics, leur sens de la laïcité, déjà très menacé par leurs partis-pris idéologiques, s’effrite complètement devant leurs intérêts familiaux bien compris. Demandez à tous les gens de gauche, surtout ceux qui sont des institutionnels du boboïsme, dans quel établissement ils ont inscrit leur progéniture. Raphaël Glucksmann, par exemple, est passé du collège-lycée Lamartine, dans le IXe, aux prépas du lycée Henri-IV. Et non, il n’est pas allé s’encanailler à Paul-Valéry…
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C’est ainsi qu’un fils à papa (André Glucksmann, « nouveau philosophe, sort du prestigieux lycée du Parc à Lyon) devient une grande conscience de gauche.
L’élitisme républicain, n’en déplaise à ces tartuffes, consiste à aller chercher dans toutes les strates de la société toutes les intelligences en devenir. J’ai expliqué cent fois qu’il faudrait opérer des détections précoces et au besoin instruire ces enfants loin de leurs familles, dans des internats d’excellence dont la multiplication est une nécessité. Mais en 2012, l’équipe de François Hollande (pur produit, ma chère, du pensionnat privé Jean-Baptiste de la Salle à Rouen, puis du lycée Pasteur à Neuilly) n’a eu d’autre urgence que d’annihiler les établissements que les équipes de Xavier Darcos et Luc Chatel avaient mis en place : là aussi, il est significatif que ce soient des ministres de droite qui aient conçu la nécessité de restaurer l’élitisme républicain, pendant que la gauche se vautrait dans l’universalisme de la racaille et l’intersectionnalité des luttes.
Ce n’est pas parce que Henri-IV, l’année dernière, n’a pas eu d’élèves primés, et que Stanislas a caracolé en tête des résultats au Concours général, qu’un système scolaire s’effondre. C’est parce que des enseignants, paupérisés mais obnubilés par la volonté de servir leurs maîtres de grande bourgeoisie, ont négligé des enfants qui pouvaient emprunter l’escalier scolaire pour sortir de leur condition. Et écrivent au besoin des insanités sur la chance que l’on a donnée à ces va-nu-pieds et qu’ils n’ont pas voulu exploiter.
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