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Paul Cézanne en son pays

Cézanne comme une pomme : croquez l’expo d’Aix !


Paul Cézanne en son pays
Paul Cézanne, Maison et ferme du Jas de Bouffan, 1885-1887, huile sur toile © National Gallery Prague 2025

Succès monstre pour l’exposition Cézanne au Jas de Bouffan et les évènements « Cézanne 2025 », à Aix-en-Provence


De la bastide familiale du Jas de Bouffan, avec ses marronniers et son lavoir, au socle puissant de Sainte Victoire. Du portrait de Louis-Auguste Cézanne de la National Gallery à celui, étonnant, à la garçonne, de Madame Cézanne, au musée de Philadelphie. Des arbres– tellement d’arbres et de vert dans cette Provence tant aimée ! — aux fresques des Saisons et aux natures mortes. Du corps, couillard, de boxeur, du Baigneur au rocher (Chrysler Museum of Art) aux corps lumineux des Grands Baigneurs. Des Joueurs de cartes hiératiques, comme dans une fresque de Giotto, au chef-d’œuvre de l’Homme aux bras croisés du musée Guggenheim. De la mer plate de l’Estaque aux lames de bauxite du chemin de Bibemus, des façades, à la perspective plongeante, à la pomme sur une table au bord du vide. Ce sont 136 tableaux venus du monde entier, musées, collections privées qui sont exposés, cette année, de juin à octobre, au musée Granet d’Aix-en-Provence.

Retraçant le parcours du peintre de 1859 à 1899, portraits, nus, natures mortes, paysages, esquisses, huiles, aquarelles, gouaches, tous, d’une extraordinaire variété de genre et de matière, témoignent de la vision originale du peintre : une puissante et bienfaisante et solennelle architecture du réel sculptée par la couleur. Entre le dessin qui rend intelligible et la couleur qui rend le sensible, Cézanne ne choisit pas: il incarne par la couleur. Du coup le monde apparaît ni impressionniste ni cubiste ni fantastique ni photographié mais poétique, c’est-à-dire nouveau, grâce à la logique des sensations colorées. On connaît la phrase du peintre : « Traiter la nature (la géométriser) par la sphère, le cône, le cylindre, le tout mis en perspective. » Très fidèle à la géologie autant qu’à la sensation, soucieux de l’harmonie des couleurs, il rapproche des éléments disjoints et écrase les perspectives. Ainsi de celle, surprenante, de la toile Maison et ferme du Jas de Bouffan venue de Prague, choisie pour l’affiche, et dont le déséquilibre assure à l’œil la cohérence de la façade. Tout cela sans jamais quitter « le motif » ni « la sensation ». Quelques phrases : « Faire de l’impressionnisme un art digne d’entrer dans les musées. »De la perspective : « Couper la ligne de fuite avec une pomme et étonner Paris. » Ou encore cette phrase sobre : « Le paysage s’humanise en moi ». Tous les portraits sont graves. Les nus, eux (sa grande passion, interdite par son milieu) sont donnés au monde sans être érotisés. Et que dire de ces miraculeuses aquarelles qui font rêver comme des estampes ! Ces allées d’arbres évanouies dans la brume, si précises pourtant ! L’étang et les marronniers du Jas du musée de Minneapolis sont peints comme des corps, et les branches comme des arabesques. Peu de Sainte Victoire, en revanche. Heureusement, diront certains. Cette exposition donne une vraie joie.

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L’accès au musée Granet, sur la place Saint-Jean-de-Malte, est barré par la police avec une brigade cynophile. La Diabline (une mobilité aixoise pour cinq personnes) débarque un Barnabooth au ventre proéminent et une dame à la bouche fuchsia sous sa capeline, sœur, à n’en pas douter, de La femme au chapeau noir de Manet. Les Américains sont, en effet, les premiers visiteurs de cette exposition. Normal : premiers acheteurs du peintre quand les Aixois le méprisaient, ils sont aussi les premiers mécènes de cette exposition dont le mécénat se chiffre à 500 millions d’euros. Les files devant la porte s’allongent contenues par des barrières. Le public n’est ni dépenaillé ni snob. Mais recueilli : oui ! A l’intérieur comme à l’extérieur. Une manne de pluie caresse à intervalles réguliers les épaules. La visite terminée, on se repose dans la petite cour intérieure, peu nombreuse et calme comme un patio.

Cette exposition aixoise n’est pas la première consacrée au peintre depuis sa mort. Elle est même la huitième. Celle-ci est néanmoins un événement culturel majeur qui a mobilisé le territoire et la collectivité. Tractations, garanties d’assurance, transports, prêts : on se doute bien que réunir 130 tableaux de Cézanne au même endroit est une affaire difficile qui doit être bénéfique. Elle doit redorer le blason aixois avec 300 000 visiteurs et rivaliser avec les grandes expositions parisiennes. Aussi les Aixois ont-ils mis le paquet : restaurateurs, marchands de vin, calissonniers, tout le monde veut sa spécialité Cézanne. Occasion de rafraîchir des souvenirs. Ainsi le vol, jamais élucidé, de tableaux, en 1962, retrouvés dans une voiture, abandonnés sur une route. Ou l’exposition de 1990, spectaculaire dans sa genèse après l’embrasement de Sainte-Victoire, qui fit un carton. C’est aussi l’aventure d’une Sainte Victoire, qu’on peut voir ici, acquise et prêtée par le musée de Berne, perdue et retrouvée en 2014 chez un marchand d’art qui travaillait avec le régime nazi. Sait-on également que la Maison-Blanche possède huit Cézanne ? Aussi bien les Américains sont-ils de véritables philanthropes qui aiment Cézanne. « Non contents d’être des porte-monnaie, ils se veulent acteurs du territoire et participer à la création d’un bien commun » dit-on à la Ville d’Aix. Est-ce pour cela que le marché vend des dry tomates et que les boucheries se font Steak House ? Quant à l’absence d’accent sur Cézanne écrit Cezanne, horripilant, quelle qu’en soit la raison, elle serait due au désir de toujours de la famille de l’artiste. À moins que ce ne soit une américanisation du nom ? Il n’y a pas encore de tee-shirt « I love Cezanne »…

L’agenda aixois des deux mois d’été regorge d’activités : créations musicales, balades sur les pas de Cézanne, à dos d’âne pour les moins de 10 ans. Les samedis 27 et 28 septembre, est créé, à l’Archevêché, un opéra concert l’Apocalypse d’Icare par Dominique de Williencourt, violoncelliste et compositeur aixois, avec le Open Chambre Orchestra.

Enfin, n’oublions pas « la réhabilitation » d’Hortense, la femme de Cézanne et « sa muse silencieuse », grâce à Rindala El Khoury qui a conçu un projet artistique intitulé « A la recherche d’Hortense Fiquet ». Le marchand de tableaux, Ambroise Vollard, raconte que, quand il était content de son travail, Cézanne allait réveiller Madame Cézanne pour lui demander son impression. Après quoi, « pour la dédommager de ce dérangement, il lui proposait une partie de dames avant de se recoucher. » Est-il plus galante attention ? « Poser comme une pomme », n’est-ce pas là le plus beau compliment que Cézanne ait jamais pu faire à son modèle préféré ?

Exposition Cézanne au Jas de Bouffan, musée Granet, Aix-en-Provence, 2025 © Ville d’Aix-en-Provence

Place Saint Jean de Malte
13100 Aix-en-Provence

Jusqu’au 12 octobre 2025. Entrée : 18 €.

Informations : https://cezanne2025.com



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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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