Pour s’opposer à un redécoupage électoral proposé par les Républicains au Texas, les élus Démocrates ont décidé de fuir le vote afin d’empêcher ce dernier d’avoir lieu. Pourtant, les Démocrates eux-mêmes exploitent les redécoupages électoraux depuis des décennies. L’analyse de Gerald Olivier.
Une histoire cocasse est venue troubler la torpeur de l’été politique américain. Elle ne vient pas de Washington – ville abandonnée en août car le Congrès prend ses vacances – mais du Texas.
Une loi de redécoupage électoral qui ne plaît pas
Elle concerne une cinquantaine d’élus Démocrates de l’Assemblée du Texas qui ont abandonné leurs fonctions et littéralement fui cet Etat, pour éviter de participer au vote d’une loi qui leur déplait, mais contre laquelle ils ne peuvent rien. Sauf à jouer la politique de la chaise vide.
Au sein de l’Assemblée du Texas, comme dans beaucoup d’autres cénacles, il faut un « quorum », c’est-à-dire un nombre de présents suffisant, pour qu’une loi passe au vote. Ce quorum est défini aux deux-tiers des élus. L’Assemblée du Texas compte 150 élus. Il faut donc 100 élus présents pour mettre l’ordre du jour à exécution. Les Républicains disposent de la majorité absolue, avec 88 élus contre 62, mais ils ont besoin de la présence d’au moins douze démocrates pour pouvoir travailler. Or le week-end dernier, un peu plus de 50 élus Démocrates ont pris l’avion pour quitter le Texas et se rendre soit à New York, soit dans l’Illinois, soit ailleurs, et ils ne sont pas revenus travailler lundi. Ils font l’école buissonnière !
Bien entendu, ils ont pris soin d’alerter les médias et ont commenté abondamment leur manœuvre sur les réseaux sociaux. Leur absence, ont-ils dit, n’est pas un abandon de poste, mais une façon de protester contre une loi de redécoupage électoral qu’ils estiment trop favorable aux Républicains, parce qu’elle pourrait faire perdre leur siège à cinq élus Démocrate au Congrès, dès les prochaines élections de mi-mandat, en novembre 2026. Minoritaires au sein de l’Assemblée du Texas, ils n’avaient pas d’autre moyen de bloquer ce texte de loi que de s’absenter. Même si juridiquement cela est répréhensible. Loin de « fuir » disent-ils, ils se « tiennent droit » et « font face » !
Quoi que l’on pense de la manœuvre, elle a réussi. La loi en question est en suspens. Et tous les médias américains ont copieusement couvert l’exil volontaire de ces élus.
Au-delà de l’aspect loufoque de cette situation, l’attitude des élus Démocrates pose de vrais problèmes et soulève de vraies questions.
Les démocrates font-ils entrave à la démocratie ?
La question d’abord de la responsabilité des élus. Car par leur fuite, les Démocrates ont bloqué le processus législatif. Ils font entrave à la démocratie. La composition de l’Assemblée du Texas résulte du vote des citoyens américains résidents du Texas. Ils ont donné une majorité aux Républicains pour voir appliqué le programme républicain. En bloquant le processus législatif les élus Démocrates s’opposent à la volonté populaire. Cela est par définition anti-démocratique ! L’ironie ici étant que les Démocrates bloquent le processus démocratique au nom de la défense de la démocratie… Ce n’est pas nouveau.
La question, ensuite, du redécoupage électoral. C’est l’essence du sujet. Jouer avec les limites de circonscriptions est le moyen le plus simple de favoriser l’élection de tel ou tel candidat. Ce n’est pas propre au Texas. Cela se fait partout. Aux Etats-Unis et dans tous les pays disposant d’un parlement élu. Habituellement on n’en parle pas. Cela fait partie du butin des vainqueurs que d’essayer de renforcer leur domination électorale en favorisant leur camp par une manipulation de la géographie administrative.
Dans ce domaine force est de reconnaitre qu’aux Etats-Unis, les Démocrates sont maîtres en la matière. L’incident du Texas n’est qu’un tout petit retour des choses. Ces élus sont en train de goûter à un poison qu’ils ont eux-mêmes administré à leurs adversaires pendant des décennies. Tandis que les Républicains ont toujours accepté d’avaler cette pilule, et de subir le diktat adverse en attendant des scrutins plus favorables, les Démocrates rejettent une telle option. Ça non plus ce n’est pas nouveau. Lorsque la démocratie ne sert plus les intérêts du parti Démocrate, les Démocrates font fi de la démocratie…
Explication détaillée
« Gerrymandering »: ce terme barbare décrit en anglais des Etats-Unis le fait de redessiner un district électoral à seule fin de garantir la victoire d’un parti politique, au mépris de toute logique géographique, démographique ou sociologique.
Ce terme n’est pas nouveau. Il date de 1812. Il provient de l’amalgame du nom d’un élu de l’époque, Eldridge Gerry de Boston, et du mot « salamander », salamandre en anglais. Le terme a été concocté par un caricaturiste de la gazette locale qui avait remarqué que le district dont M. Gerry était l’élu ressemblait à une « salamandre », tant il était tortueux. Le mot a marqué l’opinion et est entré dans le vocabulaire politique américain, en même temps que la méthode consistant à redessiner les limites des districts pour favoriser ses candidats.
Aux Etats-Unis, après chaque recensement, soit tous les dix ans, les élus des assemblées de chaque Etat se réunissent et redéfinissent les limites des circonscriptions en fonction de l’évolution de la démographie. Les nouvelles cartes électorales sont établies et approuvées par l’appareil législatif de l’Etat, puis ratifiées par le gouverneur et soumises aux juges qui en vérifient la constitutionnalité. Une formalité habituellement. Bien entendu, quand un même parti contrôle la législature et le siège de gouverneur, il a toute liberté de dresser une carte qui lui soit favorable et de pérenniser ainsi sa mainmise sur le pouvoir.
La manœuvre est totalement contraire à « l’esprit » de la démocratie, mais elle est pratiquée partout et par tout le monde. Aux Etats-Unis au cours du dernier demi-siècle, les Démocrates se sont montrés particulièrement adeptes à redessiner régulièrement les cartes électorales pour s’approprier littéralement le pouvoir et ne jamais avoir à le céder. C’est leur conception de la démocratie.
Qu’on en juge par quelques exemples
Le Massachusetts est un Etat de la Nouvelle Angleterre largement favorable aux Démocrates. Sa principale ville est Boston, bastion démocrate. C’est l’Etat des Kennedy, dynastie démocrate. Il abrite Martha’s Vineyard, résidence de la gentry bien-pensante, dont le couple Obama aujourd’hui. Mais il compte tout de même pas mal de résidents Républicains. La preuve en est qu’en novembre 2024, lors de la dernière élection présidentielle, Donald Trump y a obtenu 36% des suffrages. Soit plus du tiers.
Le Massachusetts dispose de neuf sièges à la Chambre des représentants. Avec deux tiers de Démocrates et un tiers de Républicains, on s’attendrait à ce qu’il compte six élus Démocrates et trois élus Républicains. Et bien pas du tout. Le Massachussetts compte neuf élus Démocrates et zéro élu Républicain. Zéro ! La faute à qui ? A la carte électorale. Au « Gerrymandering » pratiqué tous les dix ans par des élus Démocrates dont la majorité n’est jamais menacée et ne risque pas de l’être.
Pas un seul Républicain du Massachussetts n’a été élu au Congrès au XXIè siècle. Soit au cours des treize derniers scrutins législatifs. 117 élections, pas un seul élu. Depuis 1975, soit au cours du dernier demi-siècle, trois Républicains du Massachusetts sont parvenus à se faire élire à la Chambre. Trois ! Le système est verrouillé. Les Démocrates ont instauré dans cet Etat l’équivalent du parti unique. Chacun est libre de ses idées mais un seul parti gouverne !
L’Etat voisin du Connecticut vit la même situation. Trump y a obtenu 42% des suffrages en 2024. Le Connecticut dispose de cinq sièges à la Chambre. Ils sont tous les cinq détenus par des Démocrates. Tout comme les deux sièges de sénateur, bien sûr.
Dans ces deux Etats, les résidents Républicains peuvent considérer qu’ils sont « taxés sans être représentés ». Ils payent des impôts au gouvernement fédéral mais n’ont personne pour les défendre au sein des institutions, car leur Etat a littéralement effacé leur présence à travers une carte électorale qui les met partout en minorité. C’est comme s’ils n’existaient pas.
New York, idem ! Cet Etat compte 26 élus. 19 sont des Démocrates et seulement sept des Républicains. Pourtant en 2024 Trump y a obtenu 43% des suffrages.
A noter qu’en 2022, le dernier redécoupage électoral proposé par l’Assemblée de New York et approuvé par le gouverneur Démocrate Kathy Hochul avait été rejeté par les juges de la Cour suprême de l’Etat. Le New York Times l’avait décrit comme « modérément favorable aux Démocrates ». Les juges l’ont déclaré « inconstitutionnel », tellement il était biaisé.
L’ironie de cette situation est mordante, car l’Etat de New York est l’un de ceux où les élus du Texas ont choisi de se « réfugier ». Ils protestent donc contre un redécoupage défavorable depuis un Etat dont le propre redécoupage a été retoqué. Imaginer dénoncer les prises d’otages depuis le quartier général du Hamas… La contradiction ne fait pas peur aux Démocrates.
Du côté de l’Illinois, Etat du Midwest, dont la principale ville est Chicago, même constatation. La délégation à la Chambre est de 17 sièges. 14 sont détenus par des Démocrates et seulement trois par des Républicains. Alors que Trump a réuni près de 44% des suffrages en 2024. Le gouverneur de cet Etat est un Démocrate, le milliardaire JB Pritzker, héritier de la famille Pritzker, propriétaire des hôtels Hyatt, et son Etat est connu comme La Mecque du redécoupage électoral…
Au Nouveau-Mexique, même topo. Donald Trump a recueilli 46% des suffrages en 2024. Les candidats Républicains au Congrès en ont totalisé 44%. Mais les trois sièges de cet Etat à la Chambre des Représentants sont allés aux candidats Démocrates. Trois à zéro. Pas un seul élu Républicain dans un Etat où près de la moitié de l’électorat soutient ce parti.
La Californie ne vaut pas mieux. Cet Etat, le plus peuplé des Etats-Unis avec près de 40 millions d’habitants, compte 52 élus. 43 sont des Démocrates et seulement 9 des Républicains. Cela signifie que malgré 40% d’ électeurs, les Républicains n’obtiennent que 17% des élus. En clair, plus d’un vote Républicain sur deux ne compte pas. Le parti Républicain est « sous-représenté » en Californie et le parti Démocrate « sur-représenté ».
L’Oregon, juste au nord de la Californie, vit la même réalité. Pourcentage du vote en faveur de candidats républicains en 2024? 44%. Nombre d’élus? Un ! Sur six sièges.
Dans l’Etat de Washington, c’est pareil. Score des républicains en 2024, 42%. Nombre d’élus à la Chambre, deux, contre huit aux Démocrates.
Bref, partout où règnent les Démocrates, ils disposent d’une représentation surdimensionnée par rapport à leur soutien au sein de l’électorat. Cette sur-représentation étant le résultat de districts taillés sur mesure laissant à l’opposition une portion congrue, ou pas de portion du tout. Tous les observateurs de la politique américaine le savent: en matière de découpage électoral, personne ne s’y prend mieux que les Démocrates!
Quelles solutions pour les Républicains ?
Législativement cela pose néanmoins problème car les résidents Républicains de tous ces Etats peuvent légitimement se plaindre de ne pas être représentés. Et c’est bien le cas.
Dès lors, que faire quand on est Républicain, sinon la même chose partout où c’est possible ? C’est ce que Donald Trump a dit, sans détour, aux élus du Texas…
Le Texas compte 30 millions de résidents. Il connait une croissance, démographique et économique, forte. Tous les jours des « exilés » de Californie, ou de New York, fuyant la vie chère et les impôts confiscatoires, viennent y emménager. Depuis quelques années, les Républicains ont pris un net ascendant électoral sur les Démocrates. Alors que dans les années 1980 et 1990 c’était un « Etat bascule » (swing state). Il dispose de 38 élus au Congrès dont vingt-cinq sont des Républicains et treize des démocrates. Une représentation plutôt fidèle à la réalité politique. Car en 2024 les Démocrates ont obtenu 40 % des suffrages contre 58% aux Républicains.
Les marges de victoire démocrates dans certains districts ont cependant été si serrées qu’avec une petite modification du tracé de ces districts, un Républicain aurait de bonnes chances de l’emporter en 2026. Donald Trump en a été informé et c’est lui-même qui a contacté les élus de l’assemblée pour qu’un redécoupage soit effectué, voté et entériné.
Toutefois un premier redécoupage avait déjà eu lieu en 2021, après le recensement de 2020. Avec une assemblée texane déjà dominée par les Républicains. Comme quoi les élus d’alors n’avaient à l’évidence pas été assez « gourmands ».
Ce second redécoupage interviendrait donc en milieu de décennie, ce qui est inhabituel. Une règle, non écrite, veut que les ajustements de la carte électorale se fassent une fois par décade et non pas avant chaque élection. C’est aussi ce qui a déclenché l’ire des Démocrates. Ils étaient prêts à tricher et le faisaient mieux que les autres mais une fois tous les dix ans, pas plus…
Sur le plan juridique la « fuite » des élus du Texas pose la question du processus démocratique et du « devoir » des élus. En refusant de siéger et en quittant l’Etat (pour ne pas être arrêtés, car la juridiction du Texas s’arrête aux limites de cet Etat), ils ont abandonné leur poste et trahi leur mandat et leur serment.
C’est une façon plutôt inhabituelle de bloquer l’appareil législatif. Mais pas totalement nouvelle. D’autres élus du Texas avaient déjà fui en 2021 pour bloquer une autre loi et une légende veut qu’Abraham Lincoln lui-même, alors jeune sénateur, ait sauté par une fenêtre pour quitter un hémicycle et se soustraire à un vote…
Le gouverneur du Texas, Gregg Abott, un Républicain, a interpelé la justice de son Etat et des mandats d’arrêts ont été émis contre les fuyards, en plus d’une amende de 500 dollars par jour d’absence. Les « fuyards » se trouvant dans d’autres Etats que le sien, il a également demandé l’intervention du FBI. L’affaire pourrait prendre une dimension « criminelle » , même s’il est peu probable que les coupables se retrouvent en prison.
Par contre elle illustre une évolution politique regrettable, aux Etats-Unis et ailleurs. A savoir que la géographie, correctement manipulée par une bureaucratie docile, est le plus simple moyen d’influer sur le processus électoral et d’interférer avec la « Démocratie ».
Donald Trump, plus pragmatique et plus réaliste que tous, l’a parfaitement compris. Avec une majorité de cinq sièges seulement à la Chambre du Congrès (220 contre 215), et des élections intermédiaires qu’ils doivent absolument remporter s’ils veulent poursuivre les réformes engagées, les Républicains se doivent d’utiliser toutes les armes à leur disposition.
C’est ce que font leurs adversaires Démocrates depuis déjà longtemps !
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