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État de droit : Nicolas Sarkozy, un précurseur ?

Le billet justice de Philippe Bilger


État de droit : Nicolas Sarkozy, un précurseur ?
Nicolas Sarkozy lors d'une conférence de presse, Bruxelles, le 14 décembre 2007. Michel Euler/AP/SIPA

Président, Nicolas Sarkozy a consacré une grande partie de son énergie considérable à la mise en cause de certaines pratiques courantes dans les institutions ou chez les fonctionnaires. A cet égard, c’était un précurseur. Notamment, ses critiques à l’égard de la Justice anticipent celles que l’on peut formuler aujourd’hui au sujet des décisions du Conseil constitutionnel.


Il n’est jamais inutile de revenir à Nicolas Sarkozy, celui notamment de 2007, auteur d’une indépassable campagne présidentielle.

Je me souviens, avant qu’il soit élu, des multiples critiques que, en tant que ministre, il formulait à l’encontre de certaines pratiques judiciaires et de la Justice. Il avait souvent raison et d’ailleurs, à l’époque, je peux dire que j’étais pratiquement le seul magistrat qui l’approuvait.

Président de la République, il m’est apparu très fortement en décalage par rapport à sa promesse d’une République irréprochable. Je pense que, sur ce plan, beaucoup de ses positions, voire de ses provocations, ont été mal comprises, même de la part de beaucoup de ses soutiens qui n’exprimaient pas forcément leur désaccord, enthousiasmés qu’ils demeuraient par l’élan créatif et l’énergie sans pareille de cette personnalité unique.

Celle-ci, durant son mandat présidentiel, à plusieurs reprises, s’en est prise aux corps constitués, aux institutions, aux fonctionnaires. L’État de droit, dans sa version pointilliste, abstraite, totalement déconnectée du réel, était l’une de ses cibles prioritaires. Quand j’analysais sur mon blog les ressorts de son hostilité, je la percevais comme l’agacement, voire l’exaspération, que l’homme d’action qu’il était éprouvait devant les multiples obstacles juridiques que l’État de droit, les juges judiciaires ou administratifs dressaient, comme à plaisir, devant lui. Il me semblait qu’alors il s’agissait plus d’une irritation personnelle que d’une dénonciation étatique.

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En tout cas, Nicolas Sarkozy, par son attitude et son entêtement à ne pas accepter, sans réagir, les décrets judiciaires ou administratifs, à les juger parfois insupportables à cause du hiatus qu’ils imposaient entre une réalité qui devait être réformée et l’impossibilité pratique de le faire, était clairement un précurseur.

Aujourd’hui, on n’ose plus proférer cette banalité sentencieuse qui interdirait d’apprécier positivement ou négativement un jugement judiciaire ou une décision administrative. L’État de droit n’est pas une sorte d’icône vide de sens qui devrait être respectée seulement parce qu’elle existe.

Au contraire, une évolution récente conduit à mettre en cause tout particulièrement le Conseil constitutionnel qui ne porte plus seulement atteinte à la susceptibilité indignée d’un président de la République, mais à la sauvegarde d’une société, au salut d’un pays.

On pouvait penser, dans une première phase, que le Conseil, sous diverses influences, s’attachait exclusivement à une approche juridique en récusant son obligation de compléter cette dernière par un pragmatisme et un sens de l’utilité sociale sans lesquels le droit est une forme vide. Qu’on se souvienne, par exemple, de la censure de la proposition de loi émanant de Gabriel Attal, pourtant fondamentale pour redonner vigueur, cohérence et bon sens à la législation sur les mineurs (voir mon billet du 21 juin 2025).

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Mais dorénavant, pour la rétention des étrangers dangereux, c’est même le socle juridique sur lequel s’appuie le Conseil qui doit être remis en cause, « ses bases étant faibles » et son refus de favoriser l’assimilation avec les dispositions pourtant validées pour le terrorisme étant infiniment discutable. C’est ce que démontre avec limpidité une tribune de Jean-Éric Schoettl et Jean-Pierre Camby dans le Figaro : pour ses auteurs, dont l’un au moins, que je connais, est une lumière dans le domaine qu’il traite, « la censure du Conseil constitutionnel est contestable ».

Bruno Retailleau présentera d’ailleurs « au plus tôt devant le Parlement » un texte modifié mais toujours aussi nécessaire (Le Figaro).

Passant de Nicolas Sarkozy qui avait anticipé un État de droit en chute libre dans son interprétation administrative, il me plaît de souligner une étrange continuité qui va dans le même sens : on ne désire plus un droit pour son esthétique et la perfection formelle de ses analyses. On exige un droit qui nous protège, quel qu’en soit le prix à l’égard des « vaches sacrées » qui nous veulent humanistes mais en péril mortel.

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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