La vie d’Otto Skorzeny tient du film d’aventures. À la tête des forces spéciales de la SS, il s’illustre par des opérations spectaculaires dans les airs comme dans les mers. Passé entre les gouttes de la dénazification, il aurait vendu après-guerre son expertise au Mossad. Benoît Rondeau lui consacre une biographie haletante.
L’homme mesure 1,93 mètre. C’est une armoire à glace au physique avantageux. Une cicatrice virile lui fend la joue. Ce géant aurait tout pour incarner James Bond à l’écran. Sauf qu’Otto Skorzeny (1908-1975) n’a rien d’un personnage de fiction.
Un nazi convaincu
À ce nazi de la première heure enveloppé de légende, Benoît Rondeau, fécond spécialiste de la soldatesque (L’Armée allemande 1870-1945, Buchet-Chastel, 2024) et notamment des forces belligérantes sous la Seconde Guerre mondiale, consacre une biographie haute en couleur. « Hâbleur, orgueilleux », l’Autrichien inféodé à l’Ordre noir, séide impénitent d’Hitler, a complaisamment enjolivé ses exploits d’agent secret casse-cou dans La Guerre inconnue (Albin-Michel, 1975). « Avec Skorzeny, il est toujours malaisé de faire la part de l’affabulation et de la véracité des faits relatés », note son biographe, attentif à départager l’une et l’autre. Reste que « Skorzeny, aussi abjecte que soit sa pensée politique, n’a jamais opté pour la langue de bois ni renié ses convictions. Il est demeuré fidèle au Führer et à son idéologie et, contrairement à nombre d’anciens nazis, n’a jamais tenté de masquer ses liens avec le dictateur. […] Bien au contraire, il n’a cessé d’affirmer qu’il a lutté jusqu’au bout en faveur de l’Allemagne, avec l’espoir que le Troisième Reich finisse par l’emporter. »
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L’adage selon lequel la réalité dépasse la fiction se vérifie : on s’étonne que Netflix n’ait pas encore concocté l’adaptation de ce roman-fleuve aux péripéties haletantes. Rondeau évoque L’aigle s’est envolé (The Eagle Has Landed, 1976), film britannique de John Sturges, où « la référence à Otto Skorzeny éclate dès le générique » : un certain colonel Steiner (Michael Cane), aux ordres d’un clone de Stauffenberg (Robert Duvall), y fomente l’enlèvement de Churchill… Le SS Skorzeny, un 007 infréquentable ?
Le protégé d’Hitler
Rejeton d’une famille de la bonne société viennoise déclassée par la chute de l’empire bicéphale, athlète (ski, voile, natation, et surtout sports de combat), étudiant escrimeur arborant avec fierté ses scarifications de duelliste, Otto fait montre « d’une appétence réelle pour la technologie et l’ingénierie ». De bonne heure affilié à des groupes paramilitaires, il adhère au parti nazi sitôt après l’Anschluss. Pilote amateur de course automobile, le géant excède le gabarit requis pour le cockpit étroit des avions de chasse : le va-t’en guerre se morfond dans les transmissions de la Luftwaffe, avant d’intégrer en 1940 la garde d’Hitler, le régiment le plus prestigieux de la Waffen SS, pour rejoindre bientôt la division si bien nommée Totenkopf (« tête de mort »), menant au reste une guerre sans grand éclat, de la Yougoslavie à l’URSS. Skorzeny « saura user d’un avantage considérable : celui de la relation personnelle avec le Führer en personne, dont il deviendra le protégé ». Son accession au commandement des forces spéciales de la SS fait de lui une célébrité.
« Béotien pour tout ce qui a trait à l’espionnage », cette tête brûlée reste un atout pour les « missions impossibles » : parachutages, sauts par planeur, opérations amphibies, sabotages… Le James Bond germain met au point un programme d’entraînement intensif, exigeant de ses recrues qu’ils sachent tirer à la mitrailleuse, au mortier, piloter un bateau voire une locomotive, nager, monter à cheval… Avec le sauvetage de Mussolini retenu captif dans le massif du Gran Sasso en 1943, Otto entre dans la légende : après ce raid rocambolesque, en planeur, la propagande nazie en fait un héros national (!).
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Skorzeny se voit bientôt confier par son idole en personne les missions les plus improbables : depuis l’enlèvement de Pétain à Vichy, jusqu’à l’exfiltration (ratée) de Tito, en passant par des assassinats ciblés au Danemark… Le comble du farfelu est atteint en 1944 avec le projet « Zeppelin », qui prévoit de déposer un couple d’assassins au Kremlin pour buter Staline. Unités suicides pilotées à partir de fusées V1, lancement de bombes volantes depuis le pont d’un U-Boot pour frapper New York : l’imagination va bon train.
Une fin de vie mouvementée
L’attentat raté contre Hitler, le 20 juillet 1944, ramène le zélé Skorzeny, « désormais chef incontesté des commandos du Reich », au quartier général de la SS. Le héros va multiplier les opérations d’urgence, « coups d’épingle sans conséquences » sur l’issue de la guerre : tentative de guérilla en Roumanie, projet de kidnapper le fils du régent Horthy à Budapest, parachutages de fantassins grimés en soldats de l’Armée rouge… Mis dans la confidence de la contre-offensive des Ardennes, le voilà chargé d’envoyer ses SS travestis en GI, après stage de langue et apprentissage du mâchage de chewing-gum, « dans les profondeurs du dispositif américain » ! Échec total. Sous la plume de Rondeau, le récit en est plus piquant qu’épique. Dans le Reich agonisant, 007 tire ses dernières cartouches. En février 1945, la BBC verra en lui « l’homme le plus puissant de la capitale allemande ». Quid du fameux « réduit alpin » ? « Skorzeny est directement impliqué dans ce projet chimérique, celui d’ériger en forteresse imprenable les massifs montagneux du Tyrol. » Hof, Linz, Vienne – d’un château de cartes l’autre…
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Dans « une atmosphère de fin du monde », le « mégalomane fanatique et incontrôlable » dépose les armes. Il passe deux ans derrière les barreaux – programme de dénazification oblige : acquitté ! Yeo-Thomas, ex-espion britannique, l’aide même à trouver un éditeur. L’épilogue relève du pur roman d’espionnage : évasion, cavale, nouvelle compagne (Ilse Lüthje, comtesse présumée laquelle, après avoir officié pour les services secrets allemands, « poursuit ses activités auprès de la Sûreté française »), saut dans l’asile doré de l’Espagne franquiste… Reconverti dans les affaires, Skorzeny sillonne le monde. Consultant auprès de Nasser (comme nombre d’anciens SS) pour la fourniture d’armes, aurait-il été sur le tard un agent du Mossad ? « Difficile d’être affirmatif », avance Rondeau : les versions divergent. À 67 ans, madrilène riche d’un « patrimoine faramineux », le trouble aventurier succombe à un cancer de la colonne vertébrale. Mourir n’attend pas.
Benoît Rondeau, Otto Skorzeny : des commandos SS au Mossad, Perrin, 2025.





