Accueil Politique Qu’est-ce qu’un homme d’État ? Réflexions sur le discours prononcé par François Bayrou devant le CRIF le 4 juillet 

Qu’est-ce qu’un homme d’État ? Réflexions sur le discours prononcé par François Bayrou devant le CRIF le 4 juillet 

C’est du tréfonds de la civilisation que monte cette protestation contre l’antisémitisme.


Qu’est-ce qu’un homme d’État ? Réflexions sur le discours prononcé par François Bayrou devant le CRIF le 4 juillet 
Le Premier ministre Francois Bayrou parle au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) au Carrousel du Louvre, Paris, le 3 juillet 2025. Ameer Alhalbi-Pool/SIPA

Notre chroniqueur serait-il tombé en amour pour le Premier ministre ? En tout cas, le long discours prononcé par François Bayrou au dîner rituel du Conseil Représentatif des Institutions juives de France, début juillet, lui a fait forte impression.


François Bayrou a fait des études, ce qui dans le contexte politique actuel est une caractéristique peu partagée. Il a grandi avec Charles Péguy et son combat pour Dreyfus et Bernard Lazare, Péguy qui écrivait : « Je connais bien ce peuple. Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, une cicatrice, une meurtrissure d’Orient ou d’Occident. Ils ont les leurs et toutes celles des autres ».

Il connaît la dernière phrase, fort célèbre, de La Résistible ascension d’Arturo Ui, de Brecht : « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ». C’était en 1941. C’était hier — la mort d’Ilan Halimi, celle des morts de Toulouse, de l’Hyper Cacher de Vincennes, l’assassinat de Mireille Knoll ou de Sarah Halimi. C’était le 7 octobre. Et de citer Isaïe, 24 : 8 : « Elle a cessé, l’allégresse des tambourins ; il a pris fin, le joyeux vacarme ; elle a cessé, la joie des cithares ».

« Le plus grand pogrom depuis la Shoah ». Tous tués « parce qu’ils étaient juifs », a noté justement Bayrou, qui s’inscrit en faveur de la criminalisation de ces actes, trop rapidement classés par la Justice dans la case « irresponsabilité pénale ».

Le jeu des citations n’est pas une fioriture ajoutée pour impressionner les hilotes. C’est du tréfonds de la civilisation que monte cette protestation contre l’antisémitisme. Parce que nous sommes une civilisation de la culture, et nous n’avons pas l’intention de nous en laisser déposséder. D’où l’importance de l’Éducation : je ne saluerai jamais assez, moi qui ai écrit La Fabrique du crétin en 2005, le livre qu’avait publié Bayrou dès 1990, La Décennie des mal-appris. Ne pas apprendre aux enfants l’Histoire et la littérature, c’est faire le lit des intolérances et des fanatismes. 

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Parce que, note le Premier ministre avec sagacité et un certain humour : « Lorsque nous cessons de croire, nous cessons d’être chrétiens, mais vous descendants du premier des prophètes, vous avez beau perdre la foi, — et Dieu sait que, inventeurs de la religion, vous avez aussi été les inventeurs de l’athéisme — vous pouvez cesser de respecter la Loi, vous n’en cessez pas pour autant d’être juifs ! » L’ombre de Spinoza flottait sur ce discours. Deus sive natura. Dieu n’est pas un vieillard barbu qui plane au plafond de la Sixtine, c’est une Nature nécessaire. Le XVIIIe siècle perçait déjà dans le Tractatus.

Du coup, quitte à se mettre en porte-à-faux avec l’autre branche de l’exécutif, la question de la guerre que mène aujourd’hui Israël à Gaza s’est invitée au cœur de cette allocution, exercice convenu dont Bayrou est parvenu à faire une déclaration de politique étrangère au-dessus des considérations à courte vue qui sévissent aujourd’hui : « Il ne pourra y avoir de paix durable au Proche-Orient, qui passe pour la France par une solution à deux États, sans cessez-le-feu, condamnation absolue du 7 octobre et libération de tous les otages ».

Reconnaître la Palestine alors que le Hamas (élu par une population prisonnière d’assassins et d’exploiteurs qui mettent en scène aujourd’hui la famine comme ils mettaient en scène hier la mort de leurs enfants) est encore aux commandes est une illusion dangereuse. C’est reconnaître non un État, mais un état de faits insoutenable.

Jean-Claude Michéa a publié dès 1999 L’Enseignement de l’ignorance : cette ignorance, encouragée par un système scolaire qui marche désormais sur la tête pendant que des prêcheurs de haine s’insèrent dans les béances des cervelles vides, est l’aliment des terroristes là-bas, des assassins et des violeurs d’enfants ici. Le Premier ministre a rappelé que le tribunal de Nanterre avait reconnu le caractère antisémite du viol collectif d’une gamine à Courbevoie en juin 2024. L’avocate des prévenus (condamnés à 7 et 9 ans de prison) a beau s’insurger et contester le caractère antisémite des faits, elle n’a pas été suivie par le tribunal. Il est plus que temps que la Justice se dresse contre les criminels et ceux qui les instrumentent.

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Et de signaler l’augmentation des actes antisémites, mais aussi les pressions sur les enseignants : « Le monstre fait apparaître d’autres têtes, alimentées essentiellement par l’islamisme radical : les contestations de l’Holocauste à l’école, les insultes et les coups dans les cours de récréation. Au cours de l’année scolaire 2023-2024, quatre fois plus d’actes antisémites que l’année précédente ont été recensés dans les établissements. Parmi les plus jeunes, les discours de haine se banalisent et en viennent à former un « antisémitisme d’atmosphère » ». Ce n’est certes pas Bayrou (qui rappelle au passage qu’à « l’université et dans plusieurs grandes écoles, la bête revêt d’autres figures encore. La culture de la compréhension, fondement des humanités, a reculé devant des organisations aveuglées, manipulées, instrumentalisées ») qui nierait le poids de l’islamogauchisme dans l’enseignement qui se prétend supérieur, et qui se vautre trop souvent dans les abysses. « L’université ne peut plus être un lieu où de fausses théories causent de vraies atteintes », martèle le Premier ministre.

Contre ces excès, un seul rempart institutionnel : la laïcité, dont le principe est résumé dans ce discours en une belle formule : « La loi protège la foi, mais la foi ne fait pas la loi ». Il n’y a pas en France d’instance supérieure à la loi de la République, et ceux qui l’imaginent sont libres de déménager dans des pays qui placent la charia au-dessus du droit des gens. C’est sur ces bases que la France a tissé des liens d’amitié avec Israël, seul pays démocratique du Moyen-Orient.Aucune discrimination pourtant dans ce discours : « Le discours que je viens de prononcer vaut en défense de tous : des juifs, des musulmans, des chrétiens, des athées, des agnostiques » ou, pour reprendre les mots d’Edmond Fleg (1874-1963, il fut l’une des grandes voix de la pensée européenne), « en tous lieux où pleure une souffrance ». Mais il était temps de rappeler que les extrémistes qui usent du prétexte démocratique pour asséner leurs croyances et leurs coups sont dans les faits hostiles à la République, qu’ils rêvent de renverser dès que tel ou tel parti leur aura fait la courte échelle pour accéder au pouvoir.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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