Élevée dans l’amour de la République, l’Académicienne évoque, avec audace et lucidité, son parcours de femme de gauche au sein d’une époque mouvementée. Intéressant.

« Je ne me donne pas en exemple, je raconte », écrit Danièle Sallenave en quatrième de couverture de son dernier livre, La splendide promesse, sous-titré « Mon itinéraire républicain », un récit de quelque 520 pages. « Je suis une enfant des années d’après-guerre, élevée dans l’amour de la république, de ses principes, de ses symboles et de ses mythes au cœur de l’Ouest conservateur et clérical », poursuit-elle. Dans ce long texte, elle se demande ce qu’elle a fait de cet héritage et ce que ce dernier a fait d’elle. Un itinéraire ancré au sein d’une époque mouvementée ? Euphémisme que de le dire. « Fin de la guerre d’Algérie, mai 68, découverte du tiers-monde, chute du Mur, sursauts populistes d’une France en proie au mécontentement et au doute… Une rude mise à l’épreuve de l’idéal républicain », constate-elle encore non sans modestie et lucidité.
« Être de gauche et aimer la France. »
On lit ; on progresse dans notre lecture. On finit par en convenir : elle est restée républicaine en toute circonstance, ce malgré ses doutes, ses convictions mises à mal, et les évolutions rapides, trop rapides, d’une société qu’on ne comprend pas toujours. Danièle Sallenave nous conte ses amitiés, ses voyages, ses rencontres, ses coups de cœur et ses ruptures. Tout cela pour parvenir à un sentiment général qu’elle qualifie de « têtu » : « La république n’est rien si elle oublie « la splendide promesse faite au tiers état », selon la formule de Mandelstam. Une promesse de justice, d’instruction et de progrès. » Devant cette évidence, on ne peut que s’incliner, comme on s’incline devant ce livre à la fois beau, rassérénant, sincère, bouleversant parfois, sincère toujours.
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Une sincérité indéniable qui ne manque ni d’audace, ni de panache, notamment quand elle aborde le délicat, si délicat aujourd’hui, sujet du féminisme : « (…) j’ai acquis pour toujours une vision égalitaire du féminisme. Rien ne doit être refusé aux femmes parce qu’elles sont des femmes ; rien ne doit leur être accordé parce qu’elles sont des femmes. » Voilà qui est clair ; on est loin, très loin, des excès d’un ultra féminisme qui finit par entretenir la guerre des sexes. De même lorsqu’elle procède à cette analyse à propos du PCF : « Durant les événements de mai 68, j’éprouve de la distance à l’égard du gauchisme, pour moi l’expression d’une jeunesse dorée. Je partage son rejet du stalinisme, mais non celui du Parti communiste parce qu’il continue d’être à mes yeux profondément français et le parti des forces populaires. » Lucide et courageuse, elle n’hésite pas à publier au début des années 90, un article dans les Temps modernes (alors dirigée par Claude Lanzmann) intitulé « L’hiver des âmes » dans lequel elle fait comprendre pourquoi la fin de l’URSS n’est pas forcément une bonne nouvelle. Il fallait quand même oser quand tout l’intelligentsia européenne, de droite et/ou de gauche, bêlait de plaisir comme un seul ovin après la tonte. D’abord envahie par les puissances ultralibérales, capitalistiques, puis mafieuses, la nouvelle Russie est aujourd’hui dirigée par un belliqueux dictateur.
Danièle Sallenave ne dissimule pas son attachement à la France qu’elle scrute droit dans les yeux : « Mais je dois vivre avec cette question : qu’est-ce qu’être de gauche et aimer la France ? Sur une ligne de crête : à gauche, le rejet de la France, comme une entité raciste, impérialiste et colonialiste ; à droite, les solutions identitaires et exaltation de la nation charnelle. » On est en droit de ne pas lui donner tort.
Elle étonne encore quand elle n’hésite pas un seul instant à soutenir le mouvement des gilets jaunes en publiant, en 2019, dans la collection « Tracts » de chez Gallimard, le savoureux Jojo, le Gilet jaune, pétillant pied de nez à la gauche caviar et aux bobos de salons qui méprisent royalement cette contestation issue du peuple qui rame et qui souffre. Pour tout cela, Danièle Sallenave et son récit méritent lecture attentive et bienveillante grâce à leurs propos éclairés et singuliers.
La splendide promesse, « Mon itinéraire républicain », Danièle Sallenave ; Gallimard ; 520 p.


