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Ce que nos entrepreneurs ont à dire à l’Union européenne

Les candidats aux européennes étaient conviés à un petit déjeuner débat devant des chefs d'entreprises


Ce que nos entrepreneurs ont à dire à l’Union européenne
Paris, 5 avril 2024. De gauche à droite : Sophie de Menthon, Jordan Bardella, François-Xavier Bellamy, Samia Jaber, Aurore Lalucq et Sylvain Maillard. Photo: DR.

Les têtes de listes aux élections européennes étaient sous le feu des questions de Sophie de Menthon, le 5 avril


L’Europe oui, mais quelle Europe pour les entreprises ? C’est le thème du débat organisé le 5 avril 2024 au Cercle Interallié par le mouvement ETHIC (Entreprises de Taille Humaine, Indépendantes et de Croissance), créé en 1976 par Yvon Gattaz, dirigé depuis 1995 avec une belle constance et une énergie hors norme par Sophie de Menthon (pour mémoire, « serial » chroniqueuse à Causeur).

Les principales listes s’affrontant aux prochaines élections européennes de juin 2024 y étaient représentées. Un auditoire peuplé de chefs d’entreprises, petites, moyennes et, quelques-unes, grandes. Sous les ors, boiseries et tentures néoclassiques de l’Hôtel Perrinet de Jars, haut lieu de convivialité de la Triple-Entente (France, Royaume-Uni et Russie…) constitué en 1917. Le Général ne disait-il pas que l’Interallié, c’est « l’ambassade de France à Paris » ?

Enfin, un vrai débat !

Les positions des uns et des autres ont été clairement exprimées, de façon synthétique et sans détours.

Ce qui apparaît en premier lieu, c’est la convergence des droites, dans leurs différentes expressions (LR, RN et Reconquête), quant à la nécessité de réorienter les instances européennes vers une Europe des nations maîtrisée. Il s’agit de redonner toute sa place aux souverainetés nationales, base de la construction européenne du Traité de Rome de 1957, de s’extraire d’une bureaucratie bruxelloise qui a fait progressivement basculer la machine européenne dans des zones où les peuples ne se reconnaissent plus et de redonner une âme à l’Europe. Un véritable enjeu démocratique. 

Sophie de Menthon, dans les escaliers du Cercle Interallié, est suivie par les têtes de listes aux européennes, et s’apprête à leur formuler les doléances des entrepreneurs… DR.
Marion Maréchal de « Reconquête », cheveux au vent, s’enthousiasme sur les politiques économiques européennes A côté d’elle, Gilles Mentré et Sophie de Menthon. DR.

Ce qui est ensuite frappant, c’est que plus personne ne parle de sortir de l’Union européenne (à l’exception de François Asselineau), contrairement aux précédentes élections. Il est vrai que le contre-exemple du Brexit, intervenu entre temps, fait réfléchir. L’orientation aujourd’hui est de constituer des majorités parlementaires à Bruxelles pour faire évoluer les institutions de l’intérieur, sur fond de poussées souverainistes et populaires dans l’ensemble des 27 pays membres.

Un vrai clivage apparaît donc avec la majorité présidentielle, représentée en l’espèce par Sylvain Maillard, par ailleurs président du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale. Pauvre Sylvain Maillard. Garçon sérieux, dans le registre de la conviction pédagogique ouverte, frôlant parfois une forme de naïveté bienveillante. Il est pris à partie en tant que politique déconnecté des réalités entrepreneuriales, alors qu’il est lui-même chef d’entreprise ! Il tente de défendre le bilan de la Macronie contre le reste des intervenants : montée en puissance de l’apprentissage en France, baisse de l’impôt sur les sociétés à 25%, baisse des impôts de production, baisse du chômage, réindustrialisation. Ce n’est pas rien. Même quand ses arguments sont de bon sens (« sans un minimum de normes techniques, il n’y a pas de marché européen unifié pour les entreprises »), il reste pourtant inaudible.

Le thème de l’Europe puissance, martelé depuis le discours de la Sorbonne en septembre 2017 par Emmanuel Macron, est mis en avant, avec des exemples concrets : les achats groupés pour le Covid-19, les munitions pour l’Ukraine, les usines de batteries et de semi-conducteurs. Cela n’émeut pas vraiment l’auditoire.

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François-Xavier Bellamy est incontestablement le plus technique des intervenants. Il prône ainsi de compléter le dispositif de taxe carbone aux frontières adopté fin 2022 (MEACF, Mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières). Son affirmation plus politique « on fera la convergence par la liberté » recueille des applaudissements nourris.

La gauche n’était pas représentée par ses têtes de liste, probablement du fait des caractéristiques anticipées d’un auditoire d’entrepreneurs, peu naturellement enclins à rejoindre ses thèses. Il y a eu quelques développements intéressants, certains hors sol, et enfin d’autres, proprement drolatiques. Ainsi, le représentant de la liste EELV, Mounir Satouri, député européen, s’exprime avec dynamisme, aisance et gouaille de bon aloi : « Quand ils vous disent que c’est la faute à l’écologie et aux normes, ils vous racontent des salades ». L’auditoire exulte et applaudit au bon mot. Sur le fond, il n’en pense pas moins.

Une mention particulière pour la représentante de la liste pilotée par le Parti communiste, Samia Jaber (secrétaire général de L’Engagement d’Arnaud Montebourg), qui a évoqué la nécessité d’un euro-keynésianisme pour assurer une relance macroéconomique, contre la tendance libérale intrinsèque de l’Union Européenne. John Meynard Keynes, économiste libéral par excellence et pilier des accords de Bretton Woods… Karl Marx devrait, à n’en point douter, se retourner dans sa tombe.

Les thèmes débattus

À la question posée à l’ensemble des participants : « Êtes-vous pour un impôt européen ? », la réponse quasi-unanime est négative. Il est manifeste que le fédéralisme n’a pas vraiment bonne presse aujourd’hui. C’est pourtant ce qui est en filigrane dans les orientations de Renaissance, même si ce n’est pas clairement exprimé. Les Français le pressentent pourtant : ceci peut  expliquer les sondages en berne pour la liste de Valérie Hayer.

Sur la mise en place d’un SMIC européen, la réponse de Marion Maréchal, dans sa simplicité biblique : « Non », résume la position de la plupart des intervenants. Rappelons néanmoins la position du représentant des écologistes : « 60 % du salaire médian du pays concerné », ce qui bien sûr s’entend dans une enceinte européenne. Totalement inaudible sur une estrade française. Jordan Bardella a opportunément rappelé que le SMIC français représentait 1 398 € de salaire net contre 477 € pour le SMIC bulgare, ce qui ne permet pas de créer de la convergence entre pays à court terme. Les réalités du continent européen sont ainsi  rappelées.

Le Green Deal et le programme « De la fourche à la fourchette » ont à l’évidence du plomb dans l’aile. Personne ne les soutient plus, sauf EELV, dont l’argumentaire est courageux dans le contexte. Cri du cœur de Loïk Le Floch-Prigent dans la salle, témoin et acteur de quatre décennies industrielles : « Le Pacte Vert est un pacte de décroissance. C’est l’inverse qu’il faut faire ».

Sur l’énergie, les intervenants (sauf EELV, bien sûr) soulignent l’intérêt du nucléaire et la nécessaire déconnexion des prix de l’électricité et du gaz. Cette question, essentielle pour la compétitivité des entreprises françaises, n’a bizarrement pas été vraiment développée au cours de ce débat. Manque de temps probablement.

Sur les questions de surtransposition, tout le monde est d’accord pour recadrer nos textes réglementaires pour éviter le syndrome français du meilleur de la classe européenne, notamment dans le domaine agricole. À noter l’intéressante intervention d’Hélène Thouy (Parti animaliste), au-delà de ses positions classiques sur la protection animale. Elle souligne que d’un point de vue juridique, la surtransposition n’existe pas : les États délivrent en effet leur version interprétative des directives européennes. C’est bien de rappeler quelques évidences.

Sur la réforme des institutions enfin, seuls Gilles Mentré, représentant d’une liste centriste libérale (réunissant le groupe LIOT à l’Assemblée nationale et des proches de Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine) et Jordan Bardella ont exprimé des propositions nouvelles. Gilles Mentré suggère ainsi d’amplifier la décentralisation européenne et notamment, que chaque député européen français soit affecté à un département, pour être la porte d’entrée des citoyens et des entreprises vers les institutions européennes, donnant ainsi à nos élus européens un rôle opérationnel au bénéfice de nos territoires. Jordan Bardella ouvre quant à lui la voie prometteuse de « la dérogation plutôt que l’harmonisation ». Cette approche est majeure car elle permet de repositionner l’Union européenne sans avoir besoin de passer par la case « Renégociation globale » des traités institutionnels.

Enfin, de façon substantielle, à quand une proposition portant sur le rôle futur de la Commission européenne vis-à-vis du Conseil de l’Union européenne, au-delà des polémiques sur la personne d’Ursula Von der Leyen ? En faire un simple secrétariat général permettrait à la démocratie, en effet, de retrouver sa place.

Que faut-il retenir de ces échanges ?

Il y a d’abord une forme de quasi-consensus pour que les Européens se serrent les coudes, dans un environnement géostratégique où l’Europe apparaît bien faible vis-à-vis des États-Unis, de la Russie et de la Chine. La compétitivité des entreprises françaises en est évidemment tributaire. Un continent avec 450 millions de consommateurs, c’est certainement une jauge plausible bien qu’insuffisante par rapport aux 330 millions d’Américains, 1 430 millions de Chinois et 1 430 millions d’Indiens.

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La majorité présidentielle prône une souveraineté européenne tous azimuts. Là aussi, c’est une position foncièrement différente d’il y a cinq ans. Réindustrialisation, clauses miroirs dans les traités commerciaux, taxation carbone aux frontières, repositionnement express sur le Green Deal, souveraineté alimentaire : tout se passe comme si les pro-européens fondamentaux introduisaient des marqueurs souverainistes pour éviter de se faire balayer en juin 2024.

Les partis de gouvernement et ceux qui y aspirent ont finalement des positions assez proches, sur les politiques de souveraineté, de réindustrialisation, de commandes publiques, de politique agricole commune ou de débureaucratisation, au-delà des affichages partisans.

Un clivage fort réside sur la politique d’immigration. Le Pacte asile et migration en cours d’adoption par l’Union européenne, soutenu par Renaissance, porte une philosophie d’accueil (après tri organisé…) de répartition des migrants entre pays européens, notamment pour faire face aux besoins de main d’œuvre. La gauche y voit une fermeture inhumaine des frontières. La droite pourfend l’incapacité européenne à juguler l’immigration illégale. Les chefs d’entreprise ont quant à eux une approche pragmatique, prudemment à distance des débats partisans. À souligner l’évolution notable du RN, à bas bruit, en faveur d’une immigration choisie haut de gamme sur le modèle de la Suisse.

Le principal clivage de fond se trouve en réalité entre aspiration au fédéralisme européen et appétence pour l’Europe des Nations. C’est un bon débat démocratique. Merci à nos politiques de bien vouloir être clairs sur ce thème, ce qui permettra aux Français de se prononcer.

Enfin, il est patent qu’il n’y a pas vraiment de divergences de fond entre LR, le RN et Reconquête sur la vision stratégique de l’Europe future, au-delà des sujets de détail. Perspective intéressante pour la reconfiguration à venir du Parlement européen, entre le PPE (Parti populaire européen), ID (Identité et démocratie) et CRE (Conservateurs et réformistes européens), qui devrait pouvoir trouver des convergences ici ou là au cours de la prochaine mandature.

Note finale de ces débats : les chefs d’entreprises, sollicités pour une appréciation concernant les débats intervenus, ont majoritairement considéré que Jordan Bardella avait été le plus convaincant. Simplification, valeur travail, croissance, une trilogie forte pour la compétitivité des entreprises…



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