Accueil Édition Abonné Quand le sinologue Leys était seul face à nos intellos maoïstes

Quand le sinologue Leys était seul face à nos intellos maoïstes

"Leys, l’homme qui a déshabillé Mao", un documentaire sur Public Sénat


Quand le sinologue Leys était seul face à nos intellos maoïstes
Peinture d'Andy Warhol. DR.

Dans le film Leys, l’homme qui a déshabillé Mao, François Gardel revient sur le parcours du sinologue belge né en 1935 qui, au contact de la Chine des années 60 a eu le courage de dire ce qu’il y a vu, et, peut-être encore plus fort, d’y avoir vu ce qu’il y a vu. Un documentaire à voir sur la chaîne Public Sénat.


Élevé dans la bourgeoisie catholique belge, inscrit par son père à la faculté de droit de Bruxelles, Pierre Ryckmans[1] n’était pas spécialement destiné à devenir un des plus grands spécialistes de la Chine. Mais, comme son compatriote Tintin (!), il est animé par le goût de l’aventure. Alors, en 1955, il se laisse embarquer, avec une délégation de dix autres Belges, pour un séjour de trois semaines dans la toute jeune Chine populaire. Celle-ci n’entretient alors pas beaucoup de relations avec l’Occident à ce moment-là, mais elle détecte ici et là quelques étudiants pour des voyages très encadrés par le Parti…

Pas complètement insensible aux promesses de la Révolution chinoise un premier temps, Simon Leys arrête le droit, lit Confucius, s’installe à Hong-Kong et y apprend le chinois au point d’en avoir une connaissance à peu près inaccessible pour tout Occidental ordinaire.

Campagne des Cent Fleurs et Grand Bond en avant

Dans la dépendance britannique, Simon Leys reçoit à longueur de journées des communiqués de l’autre côté de la frontière, qu’il synthétise pour le consulat de Belgique à Hong-Kong. L’exercice est fastidieux, mais, à force de contact avec le langage cryptique du Parti communiste chinois, Simon Leys finit par détecter ce qui est en train de se passer : une lutte de pouvoir entre le Grand Timonier et le Parti. Et au milieu, le peuple chinois qui déguste.

À lire aussi, Jeremy Stubbs: Dragonnades

Cela commence avec la campagne des Cent Fleurs, en 1957, quand Mao Zedong encourage l’expression d’avis critiques. Il s’agit évidemment d’un piège, qui se referme sur les intellectuels qui s’expriment. Ça se poursuit avec le Grand Bond en avant (1958-1960), lorsque le chef de l’Etat décide de changer les paysans de son pays en ouvriers. Dans leurs fermes, les paysans délaissent la production agricole pour fabriquer de petits hauts-fourneaux. Oh ! la Chine parvient bien à produire quelques morceaux d’acier, mais ils sont complètement inutilisables.

Et pendant ce temps, la culture des champs est délaissée et la production agricole s’effondre. Une famine terrible débute.

Folies chinoises et aveuglement occidental

Comment a-t-on pu décréter une telle folie ? « La mystique du Bond en avant, c’est que la politique commande tout. Une pensée politique correcte doit faire pousser les choux plus vite. Il y a un film très important et très significatif qui traite de l’application de la pensée de Mao Zedong à la culture des cacahuètes et qui montre comment un paysan au Shandong, en appliquant la pensée de Mao Zedong de façon créative et vivante, a réussi à décupler sa production de cacahuètes », expliquait Simon Leys dans un entretien accordé à la télévision belge. Le régime va jusqu’à s’en prendre aux moineaux, accusés de manger les graines, et bientôt massacrés en masse. Mais, quand les criquets prolifèrent et ravagent les champs, la Chine doit importer 150 000 moineaux depuis l’URSS pour rattraper le coup… Les effets sont désastreux dans un pays aussi immense : l’expérience politique coûte la vie à 50 millions de personnes. Le cannibalisme se développe, et des familles vont jusqu’à s’échanger des enfants… pour ne pas avoir à manger directement les leurs.

Nos intellos gauchistes rhabillés pour l’hiver

À la Sorbonne, on s’enthousiasme pourtant pour la Révolution chinoise, qui a ringardisé la soviétique si chère au Parti Communiste français. Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Serge July, André Glucksmann, Alain Badiou : Mao est le nouvel opium des intellectuels et des étudiants d’extrême gauche, lesquels ne rechignent pas forcément à l’idée d’employer la violence politique. Simon Leys ironise à leur propos : « Il n’y a pas de position plus amusante et finalement mieux récompensée que celle de dissident au sein d’une société stable et prospère ». Le régime chinois adresse au public occidental des images et des films de propagande, et surtout, le Petit Livre rouge, mélange de sentences héritées de la tradition chinoise et d’invitations au meurtre.

L’Occident n’ignorait pourtant pas tout du désastre chinois en cours. Romain Gary avait dépeint dans Le Monde, en juin 1968, l’émerveillement des médias publics de l’époque devant les horreurs du régime chinois : « Lorsqu’à Pékin, une actrice de cinéma, la tête rasée par les Gardes rouges, que l’on n’appelait pas encore les ‘’enragés’’, se suicidait en se jetant du septième étage, c’est tout juste si notre ORTF national ne soulignait pas le côté ‘’positif’’ de cette horreur: la preuve que la Chine de Mao avait donné au peuple des immeubles de sept étages. »

A lire aussi, Jean-Michel Delacomptée: Finkielkraut: pour solde de tout compte

Avec Les habits neufs du président Mao, sorti en 1971, Simon Leys relate la troisième grande campagne du leader chinois, la Révolution culturelle (1966-1976). Les écoliers brûlent les livres des bibliothèques, des enseignants, des bourgeois. Le sinologue belge est bien seul à le dénoncer à cette époque. Le Monde et Le Nouvel Obs lui tombent dessus – ce qui est plutôt bon signe. La droite, jamais mauvaise pour prendre en marche le train des idées à la mode, verse aussi à sa façon dans la maolâtrie : André Malraux qualifie Mao de « géant du siècle », et Giscard, à la mort du Grand Timonier, regrettait la disparition d’« un phare de la pensée »…

Pourtant, en plus de sa monstruosité, ce que Leys souligne dans le pouvoir de Mao, c’est sa nullité au moins aussi dévastatrice. Peu à peu, le culte de Mao commence à décliner. La mode est en train de passer. Dans une émission littéraire de Bernard Pivot en mai 1983, Simon Leys croise Maria Antonietta Macciocchi, ancienne passionaria maoïste désormais passée à autre chose. Il lui dit : « Je pense que les idiots disent des idioties, comme les pommiers produisent des pommes, c’est dans la nature, c’est normal. Le problème, c’est qu’il y a des lecteurs pour les prendre au sérieux ! » Le maoïsme en Occident était un dîner de gala, et les maoïstes de nos contrées des tigres de papier.

Le film est visible ici

Les habits neufs du président Mao

Price: 20,00 €

13 used & new available from 20,00 €


[1] Son nom de naissance NDLR




Article précédent IVG: oh oh, vertige de l’Histoire…
Article suivant Fleurons de la culture française…
Professeur démissionnaire de l'Education nationale

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération