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Fleurons de la culture française…

Edith Piaf, Djadja et Aya Nakamura à l’Élysée


Fleurons de la culture française…
La chanteuse franco-malienne Aya Nakamura, Fashion week, Paris, 29 février 2024 © JM HAEDRICH/SIPA

Quiconque ose avancer que l’idée présidentielle d’offrir au monde une chanson d’Aya Nakamura lors de la cérémonie des JO n’est pas bonne est taxé de négrophobie.


On sait à quel point le monde entier reste fasciné par la France des ralentisseurs, des ronds-points et des tags antisémites. Quel plus beau cadeau faire alors à toutes ces nations étrangères qui nous admirent, que de leur offrir le nec plus ultra de notre culture, le jour de l’ouverture des Jeux Olympiques ? C’est ainsi que le 19 février 2024, le président de la République recevait à l’Élysée Aya Nakamura pour lui proposer de décorer de sa personne et de sa voix, la grandiose cérémonie d’ouverture des J.O, à Paris le 26 juillet.

Quelle meilleure image de la France et de sa contribution aux cultures mondiales proposer aux télévisions du monde entier, que cette beauté malienne Aya Nakamura ! On apprend ce jour de mars que, tout comme le président, elle aime beaucoup Edith Piaf (de son vrai nom Édith Giovana Gassion) et qu’elle est d’accord pour « twerker sur la tour Eiffel » dit mon journal. N’importe quel dictionnaire apprendra aux boomers incultes (dont l’auteur de ces lignes) que twerker signifie « effectuer une danse de façon sexuellement provocante, en ayant recours à des mouvements des fesses et des hanches, jambes fléchies ».
Le président a donc eu une bonne idée de penser à Aya.
Il aime Piaf le président. Donc il pense à Aya Nakamura. Élémentaire non ?

Chefs-d’œuvre

Aya Nakamura. J’ai pensé d’abord à une Japonaise. Ce n’est pas si courant, tant cette langue nous est étrangère et ça m’a intéressé. Il me fallait cependant en savoir plus sur la Japonaise. J’ai déserté la chaîne de radio au slogan fameux « L’esprit d’ouverture », profitant d’un créneau entre deux publicités, honteux de mon ignorance, pour m’évader vers Youtube à la recherche des chefs-d’œuvre de Madame Nakamura et bientôt je trouvais.

La chanson s’intitulait Doudou. Pourquoi pas. J’ai tendu l’oreille… non ce n’était pas du japonais. J’ai reconnu des mots français : « Mon chéri laisse, laisse-laisse tomber. Aime-moi, doudou Aime-moi, doudou. Montre-le moi, doudou, T’es mimi, dis-le moi, doudou. Prouve-le moi, doudou. Et ça, c’est quel comportement, doudou ? Tu me mens beaucoup. Ça, c’est quel comportement, doudou ? » Le fait de lire dans une revue en ligne qu’Aya était « la chanteuse la plus écoutée dans le monde » n’a fait qu’ajouter à un abattement naissant. Mes recherches devaient m’apprendre un peu plus tard que la chanteuse Nakamura était en réalité malienne et se nommait Aya Danioko. C’est vrai qu’Yves Montand s’appelait Ivo Livi, Jean Ferrat n’était autre que Jean Tennenbaum et Gabin était Moncorgé.

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Me revenaient les merveilleux textes des chansons de la Môme Piaf, La foule, L’Hymne à l’amour, Milord, Sous le ciel de Paris, Je ne regrette rien… tant d’autres, et je mettais en regard de ce répertoire, la contribution de la vénus franco-malienne au génie de la langue française avec les paroles inoubliables de ses chefs d’œuvres que le président avait si habilement repérés pour décorer les J.O : « Y’a pas moyen Djadja ; J’suis pas ta catin Djadja genre ; En Catchana baby tu dead ça. » Mais aussi « Toi t’es bon qu’à planer ; Ouais je sens t’as l’seum, j’ai la boca ; Entre nous y’a un fossé ; Toi t’es bon qu’à faire la mala ; Bébé veut du sale, allô allô allô ; Million d’dollars, bébé tu vaux ça. ». C’est vrai que ça a de la gueule !

Rémy Rebeyrotte, découvreur de talents à l’Assemblée, Jacques Attali promoteur de l’être-ensemble

Un député français (LREM, le parti du président !), Rémy Rebeyrotte saluait ces contributions de Madame Danioko alias Nakamura à la langue française en ces termes : « Quand je vois des jeunes comme Aya Nakamura qui aujourd’hui par sa chanson est en train de réinventer un certain nombre d’expressions françaises, ça me paraît absolument remarquable. Elle est en train de porter au niveau international de nouvelles expressions et évolutions de la langue. Et ça, ce sont des choses extrêmement fortes »[1].

J’avais bien lu : « Porter au niveau international de nouvelles expressions et évolutions de la langue » ! Rabelais, Molière, Céline, loin derrière… Vu la rage d’Annie Ernaux à l’encontre de Houellebecq, j’imaginais sa fureur devant le génie de Nakamura !

Je me demandais s’ils allaient barbouiller à ce point la mémoire d’Edith Piaf, si les féministes allaient accepter que l’on puisse ainsi « annuler » la môme Piaf en mettant en vitrine la plastique généreuse et provocante de la beauté malienne pour vendre à l’international une image racoleuse du pays. Oui, j’ai bien réfléchi avant d’utiliser ces mots « image racoleuse » … tu me suis Sandrine et tes amies féministes ?

Devant ces perspectives déprimantes, et parce que l’on ne sait jamais, je tentais parfois des retours-refuges sur France Culture, dont je fus un fidèle auditeur durant tant d’années.Mais ça ne marchait pas à tous les coups. Il y eut cette matinée où je tombais sur un « entretien » avec Jacques Attali, l’« économiste – écrivain – chef d’entreprise – haut fonctionnaire – conseiller à l’Elysée – Maître de conférence à l’Ecole Polytechnique – conseiller spécial de François Mitterrand – auteur de plus de 80 essais et romans etc…»[2]. Dans les propos du chantre de l’avenir hyper industriel et de l’économie positive il était question de culture et je montais le son : « En plus il y a dans « l’essentiel » quelque chose d’invisible qui est absolument essentiel, c’est le être-ensemble […] Par définition la culture c’est essentiellement du être-ensemble et le être-ensemble c’est le bien essentiel premier de notre culture. ». Je notais le lexique du penseur qui s’enrichissait à chaque phrase : « Pour moi le grand clivage n’est pas entre culture et pas culture, il est entre être-ensemble et pas être-ensemble, et le être-ensemble contient beaucoup de choses de la culture »[3]. Je savais que l’homme était quelqu’un de considérable, mais tant de perfection verbeuse me désarçonnait, tant d’élaboration dans l’insignifiance tenait du chef-d’œuvre.

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Les gens qui s’obstinent à adorer le genre humain, on devrait les obliger à lire Attali et juste après, à décompresser avec Cioran. Les obliger, oui.

 Et si Attali n’était pas le vrai nom d’Attali !

Vieux mâle blanc de plus de 50 ans

J’avais conscience d’être encore un locuteur de langue française, blanc, hétérosexuel, et ancien. Mais combien étions-nous dans ce cas ?

J’ai soudain senti ma langue maternelle comme prise dans un étau entre une offensive extérieure déjà ancienne, celle du franglais devant lequel cédaient les chaines de la radio d’Etat, et une coalition de l’intérieur au terme d’une alliance entre l’Élysée, Attali et Doudou… je veux dire Nakamura… enfin … Aya Danioko.

Madame Rousseau et ses semblables rousseauistes de tout poil auront évidemment reconnu les « relents de racisme de vieux réacs » qui émanent de ces lignes… Il existe d’autres anathèmes dans l’équipement haineux des apprentis commissaires politiques d’aujourd’hui : réactionnaire, droite extrême, néo-fasciste, voire néo-nazis et autres qualificatifs nupesques.

Au temps du Guépéou, célébré par Louis Aragon,[4] c’est le mot « ennemi du peuple » qui servait à envoyer les mal pensants dans les goulags de la Kolyma. Le fou d’Elsa exultait alors:
« Je chante le Guépéou nécessaire à la France
Vive le Guépéou, figure dialectique de l’héroïsme. »

Ça ressemble au tweet de Sandrine :
 Derrière la minorisation de son talent, il y a des relents racistes.
Elle sera la voix de la France. Quelle fierté.


[1] https://www.causeur.fr/aya-nakamura-glottophobie-187499

[2] Extrait de la biographie de ce génie français sur Wikipédia.

[3] Les Matins de France Culture, 15/12/2020.

[4] Louis Aragon, « Prélude au temps des cerises », Persécuté persécuteur, Denoël, 1931.




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Jean-Paul Loubes est anthropologue, architecte et écrivain. Il a enseigné à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Bordeaux et à l’EHESS-Paris. Chercheur au Laboratoire Architecture Anthropologie (L.A.A) de l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette, Conseiller scientifique jusqu’en 2020 pour l’Observatoire Urbain de l’Institut Français d’Etudes de l’Asie Centrale (IFEAC) basé à Bichkek au Kirghizstan.

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