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Jean-Luc et la chocolaterie

L'agression du neveu de Brigitte Macron est un instantané de l’époque


Jean-Luc et la chocolaterie
Le commerce tenu par Jean-Baptiste Trogneux, le petit neveu de Brigitte Macron, à Amiens © DENIS CHARLET / AFP

Juste après l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron lundi soir sur TF1, Jean-Baptiste Trogneux, l’un des petits neveux de Brigitte Macron, a été passé à tabac à Amiens, en marge d’une “casserolade”. Il souffrirait depuis de cotes cassées, d’un hématome et de doigts foulés ! Cette attaque détestable est dénoncée depuis 24 heures par l’ensemble de la classe politique. Huit personnes ont été arrêtées, trois d’entre elles seront présentées à la justice en comparution immédiate aujourd’hui. « Il a été confronté à la brutalité, à la violence et à la bêtise », a commenté le chef de l’Etat depuis l’Islande. Dans quelle mesure la radicalité et la violence des discours de l’extrême gauche peuvent-elles être tenues pour responsables de pareilles agressions?


Après l’agression de Jean-Baptiste Trogneux, certains accusent les « Insoumis » et leurs discours incendiaires.

Une condamnation unanime

Rappelons d’abord, quand même, que la condamnation est unanime. Chez les Insoumis, elle a été très claire pour François Ruffin (« on ne défend pas la démocratie en attaquant un chocolatier » a-t-il tweeté), et beaucoup plus entortillée chez Jean-Luc Mélenchon – disons allant beaucoup moins de soi.

Certains, comme l’avocat Thibault de Montbrial estiment que LFI a une responsabilité. C’est la thématique bien connue de la libération de la parole, généralement employée pour accuser MM. Zemmour ou Finkielkraut des crimes d’extrême droite comme ceux de Breivik.

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Chez beaucoup d’ « Insoumis », il y a en effet un appétit d’échafauds, de têtes sur des piques, un petit vent robespierriste. Mais pardon, s’agissant d’Emmanuel Macron, tout le monde a participé à la démolition (de l’extrême droite à l’extrême gauche, sans oublier nos médias qui s’attendrissent presque sur les « casserolades » ces derniers temps). Lundi soir, la casserolade a mal tourné. Dans tout cet arc politique, c’est la personne d’Emmanuel Macron et pas sa politique qui est érigée en explication universelle de nos malheurs. On ne parle plus du président de la République comme quelqu’un qui se tromperait ou ferait une mauvaise politique, mais comme un être malfaisant, un affameur cynique et cruel d’un peuple vierge de tout mal.


Ces propos virulents peuvent-ils pour autant être tenus pour responsables d’une agression?

C’est une question aussi intéressante qu’elle est indébrouillable. Les mots affectent le réel, c’est même leur vocation première, mais il est en même temps presque impossible d’assigner un acte à un propos – on le voit d’ailleurs dans l’affaire Samuel Paty.

Comment des citoyens se pensent-ils autorisés à tabasser un jeune homme ? Voilà une autre question qu’il faut en revanche se poser. L’explication est à mon sens peut-être moins chez l’émetteur des propos incendiaires que dans le cerveau des récepteurs. Dans ce problème, il y a une dimension un peu oubliée dont il nous faut de nouveau faire état : la baisse du niveau intellectuel dans la société. Dans le débat politique ou parlementaire, la violence est métaphorique, elle est symbolique. Même le plus bolcho des « Insoumis » ne rêve pas de guillotiner des patrons place de la Concorde. Enfin, j’imagine… Mais ce qui peut transformer la violence verbale en agression physique c’est l’incapacité à accéder à ce niveau symbolique, l’incapacité à verbaliser et à conceptualiser. On entre alors dans le règne de l’émotion brute et de la pulsion. Quand on n’a pas de mots, on cogne. De plus, on considère de nos jours que la colère a toujours raison.

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Ce passage à tabac gratuit, sans « pourquoi ? », est finalement un instantané de l’époque. Tout d’abord, les agresseurs s’y sont mis à huit contre un, cette lâcheté assumée est une scène de barbarie désormais fréquente – voire ordinaire. Si la civilisation, c’est le renoncement à la violence et le choix du langage comme moyen de résolution des conflits (le logos), nous sommes effectivement embarqués dans un processus de décivilisation (un sondage récent nous apprenait que 15 % des Français estimaient la violence comme un moyen légitime de régler ses problèmes). À tout cela, nous ne voyons pas de remède à court terme.

Cependant, la pire erreur serait de croire qu’on va éliminer la violence en corsetant le langage. Que les attaques personnelles et les invectives soient sanctionnées, qu’on ne résigne pas à ce que cela devienne de nouveaux réflexes dans nos rapports, oui. Mais attention à ne pas trop restreindre les bornes du convenable. Le débat public n’est pas une soirée de gala.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale, après le journal de 8 heures.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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