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Mali : Serval tourne mal


Mali : Serval tourne mal

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Le 11 janvier 2013, la France déclenchait l’opération « Serval » au Mali pour stopper la marche sur Bamako des groupes islamistes armés qui occupaient les deux tiers nord du pays depuis près d’un an. L’ancien colonisateur se faisait sauveur et intervenait avec vigueur, suscitant l’enthousiasme de la population qui reçut François Hollande comme un héros le 2 février 2013 à Tombouctou, lorsqu’il vint savourer le jour dont il affirma qu’il était le plus beau de sa vie politique.[access capability= »lire_inedits »] Moins d’un an plus tard, la population malienne défile dans les rues de Bamako pour dénoncer l’inaction française dans la région de Kidal alors que le président de la République, Ibrahima Boubacar Keita, élu le 11 août 2013 avec près de 78 % des voix, martèle dans Le Monde du 4 décembre, dans un langage bien peu diplomatique : « La communauté internationale nous oblige à négocier sur notre sol avec des gens qui ont pris les armes contre l’État. Je rappelle que nous sommes un pays indépendant ! » Pour comprendre comment la ferveur a fait place à la déception avant de se transformer demain peut-être, si l’on n’y prend garde, en franche hostilité, il faut remonter aux origines de l’opération « Serval ». Celle-ci, d’après les déclarations de François Hollande, le 15 janvier 2013, avait trois objectifs : arrêter la progression de ceux qu’il appelait les « terroristes » et qu’il promettait de « détruire », sécuriser Bamako, et « permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale ».

La progression des djihadistes a été stoppée et, s’ils sont encore en mesure de commettre ponctuellement des attentats, ils sont désormais incapables de déstabiliser l’État. Bamako connaît à nouveau la sécurité, et si ses habitants peuvent aujourd’hui y critiquer sévèrement l’attitude de la France, c’est bien parce que celle-ci a volé au secours de leur armée en déroute ! S’agissant de l’intégralité territoriale du Mali, c’est une autre affaire. Le 28 novembre 2013, le Premier ministre Oumar Tatam Ly, qui voulait se rendre à Kidal pour y installer le gouverneur de la région, en a été empêché par une manifestation « spontanée » de femmes et d’en- fants qui ont envahi l’aéroport sans que les soldats français de « Serval » ou ceux de la force des Nations unies, la Minusma, fassent quoi que ce soit pour s’y opposer. Prise à partie par la foule, l’armée malienne a été contrainte d’user de ses armes, causant plusieurs blessés dont un au moins a succombé à ses blessures. Derrière ces tragiques événements se profile le MNLA, le Mouvement national de libération de l’Azawad, envers lequel la France fait preuve d’une singulière complaisance. Pour la rue malienne, les choses sont simples : le MNLA est responsable de tous les maux du pays. Étrange mouvement que ce MNLA, né en octobre 2011 de la fusion de groupes rebelles touaregs qui, depuis 2006, déstabilisaient le nord du pays, de mercenaires en armes de retour de Libye à la mort de Kadhafi et d’intellectuels occidentalisés de la région de Kidal. Son programme est simple et radical : obtenir l’indépendance de ce qu’il appelle l’« Azawad ».

Présenté comme la terre ancestrale des Touaregs, ce territoire occupe deux tiers d’un pays dans lequel ceux-ci ne représentent pour- tant qu’une petite minorité. De plus, le MNLA lui-même n’est pas représentatif du monde touareg qui, dans son immense majorité, ne se reconnaît pas dans un projet séparatiste. Depuis des années, le nord du Mali est en proie à une crise multi- forme où revendications identitaires, trafics d’armes, de cigarettes et de drogue, et présence des islamistes d’AQMI se combinent pour en faire une zone de non-droit. La France s’est inquiétée, à juste titre, de l’insécurité qui menaçait l’ensemble du Sahel alors que les prises d’otages de ses ressortissants, retenus ensuite dans la région de Kidal, se multipliaient. Elle a alors pensé utiliser l’irrédentisme touareg pour récupérer ses otages en observant avec sympathie la création du MNLA – si ce n’est en la soutenant, comme le pensent les Maliens. Le MNLA a réussi à convaincre l’opinion inter- nationale qu’il était capable de débarrasser le pays d’AQMI et d’obtenir la libération des otages français qu’il se faisait fort de localiser.

Depuis 2003 en effet, et l’installation d’AQMI dans le nord du Mali à la suite de la prise en otages de 32 touristes occidentaux en Algérie, les Touaregs de l’Adrar des Ifoghas servent régulièrement d’intermédiaires aux négociateurs qui tentent d’obtenir la libération des prisonniers. Las, le 17 janvier 2012, au lieu d’entrer en guerre contre AQMI, le MNLA déclenchait les hostilités contre les autorités légitimes du Mali, mettant le nord du pays à feu et à sang, avec le soutien les djihadistes touaregs d’Ansar Dine… et celui d’AQMI. Début avril 2012, les deux tiers du Mali étaient sous le contrôle des rebelles, mais le MNLA disparut de la circula- tion, taillé en pièces par le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) qui le chassa du pays. Il profita alors de l’intervention française, en janvier 2013, pour s’ins- taller solidement à Kidal, déserté par les terroristes qu’il prétendit avoir chassés. Konna, Douentza, Diabali, Tombouctou et Gao avaient été libérés conjointement par les forces françaises et les forces maliennes. Mais dès qu’il s’est agi d’aller plus au nord, dans le fief touareg, à Kidal, c’est la France seule, bientôt rejointe par un imposant contingent tchadien, qui a opéré. Comme si l’objectif n’était plus désormais de libérer le Mali, mais de récupérer coûte que coûte nos otages en s’appuyant sur les rebelles touaregs auxquels on redonnait une virginité en oubliant les massacres dont ils s’étaient rendus coupables. L’idée non dite était d’aboutir à un règlement global de la question touarègue, en accordant une large autonomie au nord du Mali. Le succès de ce double jeu fran- çais fut relatif : si l’on a déploré la mort de l’otage Philippe Verdon, tandis que la situation de Serge Lazarevic – enlevé en même temps que Verdon en novembre 2011 – n’est pas encore résolue, les quatre otages d’Arlit ont bien été libérés le 29 octobre 2013. En revanche, l’assassinat à Kidal, le 2 novembre, de deux journalistes de RFI, qui se sentaient probablement en sécurité sous la protection du MNLA dont ils venaient de rencontrer l’un des leaders, a montré l’inanité de la position française.

Dans Le Monde du 14 novembre, Moussa ag-Acharatoumane, membre du bureau politique du MNLA, a pu se prévaloir, sans être démenti, des excellentes relations entre son mouvement et l’ambassadeur de France à Bamako, Gilles Huberson : « C’était l’émissaire secret du Quai d’Orsay auprès de nous », a-t-il déclaré. Depuis, notre diplomate est voué aux gémonies par la population malienne et par l’entourage du président Keita, qui l’appelle « l’ambassadeur du MNLA ». François Hollande a eu raison d’en profiter : le plus beau jour de sa vie politique est bien derrière lui.[/access]

*Photo: Soleil

Janvier 2014 #9

Article extrait du Magazine Causeur



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enseigne l’histoire de l’Afrique à Aix-Marseille-Université et est chercheur au Centre d’Etudes des Mondes Africains (CEMAf-Aix). Il est l’auteur de <em>L’Afrique soudanaise au Moyen Âge. Le temps des grands empires (Ghana, Mali, Songhaï), </em>Marseille, SCEREN, 2010.

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