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Bordeaux: de Sylviane Agacinski à Action directe

Une conférence de Jean-Marc Rouillan, à l'université, à Bordeaux, ne suscite pas de réaction du ministère


Bordeaux: de Sylviane Agacinski à Action directe
Le terroriste français d'extrême gauche Jean-Marc Rouillan © Boris HORVAT / AFP

« Il n’y a que la première honte qui coûte »


Dans sa préface au livre de Song Yongyi, Les massacres de la Révolution culturelle, Marie Holzman[1] observe à propos de la jeunesse alors radicalisée de Pékin: « Les jeunes… découvrent avec enthousiasme qu’ils peuvent déjà jouer un rôle décisif dans la vie politique de leurs établissements scolaires, de leurs familles ou du pays. Ils se ruent aussitôt, Le Petit Livre Rouge en main, sur les cibles qui leur sont explicitement désignées par le centre : les grands intellectuels… »[2]. Il me semble que la France de 2023 commence à avoir un arrière-goût de cette « terreur rouge » qui en Chine en 1966 consista à traquer les enseignants « dans les campus universitaires au nom de ce qu’ils nommaient « la lutte critique »[3].

Un mur de la honte

Les pratiques célèbres de Gardes rouges gagneraient-elles le pays de Voltaire, de Victor Hugo, d’Albert Camus ? Qui n’entrevoit ces nuages lourds qui commencent à obscurcir l’horizon de la France de 2023 ? Des noms d’étudiants opposés à l’ultra-gauche radicale sont affichés à Science-Po Lille le 3 avril sur un « mur de la honte », par un de ces groupes qui se pensent investi d’une mission rédemptrice. Le mot « fasciste » est ici l’équivalent de l’anathème « quatrième catégorie puante » qui servait à désigner les intellectuels lors de la persécution politique appelée « Purification de Pékin » en 1966.

Song Yongyi qualifiait ces bandes de Gardes rouges de « troupes d’assaut fascisantes ». Seuls ceux qu’un enseignement épuré de l’Histoire a maintenu loin des tragédies des mondes rêvés de Staline, de Mao, des Khmers rouges ignorent encore qu’il peut exister un fascisme de gauche. Sur l’émergence de ce surgeon des utopies rêvant d’un Grand soir, la gauche française (qui fut la mienne lorsque j’étais de gauche) observe un silence assourdissant. On sait hélas depuis longtemps que la gauche, bien que se pensant dans le camp du Bien, recèle la même proportion que le reste de l’humanité en individus dignes et courageux comme en figures pleutres et indignes. « Il n’est que la première honte qui coûte » avait dit Victor Serge à Paul Vaillant-Couturier alors directeur de l’Humanité, lorsque ce dernier, sur les ordres du PCF, avait signé l’article condamnant son ami, conformément aux directives de Moscou[4]. C’était en 1933 lors des procès de Moscou.

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Comme à Lille en mars 2023, à Science-Po Grenoble le 4 mars 2021, des professeurs avaient été traités publiquement de « fascistes » et leurs noms affichés sur les murs de l’université. Les Gardes rouges locaux s’intitulaient alors « Union syndicale ». La directrice de cet établissement se gardera de s’engager contre ces méthodes fascisantes et renverra dos-à-dos les auteurs et les victimes des petits Torquemada.

3 avril 2023. Le directeur de Science-Po Lille, amateur de rencontres avec des musulmans douteux, avait censuré la venue du journaliste Geoffroy Lejeune, car la revue que dirigeait le susdit n’était pas « de gauche ». Le directeur de cette université préférait peut-être la fréquentation de l’UOIF, plutôt que celle d’un intellectuel coupable d’appartenir à ce que dans la Chine de Mao on nommait encore « les cinq espèces noires »! La série s’allongeait. Les « Polices de la pensée » de l’IEP de Lille s’étaient déjà opposées en 2020 à la venue de l’eurodéputé François-Xavier Bellamy et à celle de Pierre Moscovici. On mesure le courage de la direction de l’université pour défendre la liberté d’expression. Les brigades de Science-Po (Lille, Grenoble, Toulouse, Paris, etc…) évoquent les « troupes d’assaut fascisantes » dont parle Song Yonyi, qui s’étaient attelées à une épuration politique nommée la « Purification de Pékin », à la fin des années soixante. L’université française est en voie de purification.

Pierre Hurmic ne fait pas de commentaire

Les « tribunaux suprêmes » semblent essaimer en France. Le 24 octobre 2019, la philosophe Sylviane Agacinski avait vu sa venue censurée à l’Université Bordeaux Montaigne. L’épouse de Lionel Jospin fut qualifiée « d’homophobe notoire » par les tenants de l’empire du Bien qui obtinrent l’interdiction de sa conférence. François Hollande n’échappa pas à l’anathème qui le 28 novembre 2019 conduisit à l’annulation de sa venue à Science-Po Toulouse. Celle-ci avait été précédée le 12 novembre par l’empêchement de la tenue d’une autre intervention de l’ancien président de la république à l’Université de Lille-2. Il est vrai que cette université porta Sandrine Rousseau à sa vice-présidence de 2008 à 2021, popularisant son sourire terrifiant, sorte de symétrique « à gauche » du rictus de haine de Jean-Luc Mélenchon.

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La liste s’allongeait et Science-Po se taillait en France une place de choix dans la distribution des sanbenito aux nouveaux hérétiques. Sanbenito, autodafé, Torquemada… comment ne pas voir surgir à la mémoire ces sinistres références historiques devant la destruction rageuse de 400 exemplaires du livre de François Hollande à Lille le 12 novembre 2019 accompagnée du saccage de la librairie qui le reçevait ? Silence dans les médias de confort.

Étudiant, j’avais fréquenté à Bordeaux les cours de Jacques Ellul (Sandrine, tu as entendu parler de Jacques Ellul ? oui, un écolo. Même que c’était avant René Dumont… ah, t’as pas entendu parler…). C’était avant d’y entamer à mon tour une longue vie de professeur, fréquentant quelques unités de recherches et d’enseignement de Bordeaux-Montaigne. Je ne pouvais imaginer que quelques années plus tard je ne parviendrais pas à empêcher que ressurgissent en moi les images de ces professeurs chinois, courbant l’échine sous les coups et crachats des purificateurs, la pancarte d’infamie attachée à leur cou, dans les années 1960-70.

Apothéose de cet effondrement, l’université de Bordeaux qui avait écarté Sophie Agacinski, accueillait le 28 mars 2023… Jean-Marc Rouillan, fervent apologiste du terrorisme, qui avait qualifié de « très courageux » les auteurs de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015. L’invitation par un mouvement intitulé « Révolution Permanente » n’a pas ému le courageux maire écologiste de Bordeaux qui a déclaré « je ne sais pas ce qu’il a dit et ne tiens pas à commenter ». Présenté comme écrivain et « ancien prisonnier politique », le co-fondateur du groupe terroriste Action directe avait été condamné pour l’assassinat du général René Audran en 1985 et celui de Georges Besse en 1986. Un pedigree qui le qualifiait autrement que Madame Agacinski pour donner une conférence dans la ville qui avant lui honora Montaigne et Montesquieu !

Il n’y eut pas que le maire de Bordeaux à n’avoir pas d’opinion sur cette tribune offerte au fondateur d’une organisation terroriste qui a revendiqué près de 80 attentats. Je n’ai pas trouvé trace de réaction du président de l’Université. Quant à la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, madame… comment dites-vous ?… oui madame Sylvie Retailleau – et à sa réaction mettant en avant « l’autonomie de l’université », certains y verront des encouragements à permettre un jour l’accueil de « conférenciers » de Boko Aram, de représentants du Hezbollah, des milices Wagner, des brigades d’Izz Al-Din Al-Qassam… Autonomie des universités oblige… Comment cette dame peut-elle laisser l’ultra-gauche radicale établir sa loi sur l’université française, ne plus représenter cette liberté d’expression qui fut interdite à Sylviane Agacinski, à François Hollande ? Le silence du Ministre de l’Éducation Nationale, que certains appellent maintenant Ministre de la Rééducation Nationale, est assourdissant. La dignité, je la cherche désespérément à gauche. « Il n’y a que la première honte qui coûte ».


[1] – Marie Holzman, sociologue, spécialiste de la Chine contemporaine.

[2] – Song Yongyi, Les massacres de la Révolution culturelle, Préface de Marie Holzman, Gallimard-Folio, p 9.

[3] – Song Yongyi, op cit p 26.

[4] – Jean-Paul Loubes, Paul Vaillant-Couturier, Essai sur un écrivain qui s’est empêché de l’être, Editions du Sextant, 2013, p 152.



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Jean-Paul Loubes est anthropologue, architecte et écrivain. Il a enseigné à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Bordeaux et à l’EHESS-Paris. Chercheur au Laboratoire Architecture Anthropologie (L.A.A) de l’Ecole d’Architecture de Paris La Villette, Conseiller scientifique jusqu’en 2020 pour l’Observatoire Urbain de l’Institut Français d’Etudes de l’Asie Centrale (IFEAC) basé à Bichkek au Kirghizstan.

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