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Halte à la metallophobie!

Les metalleux avaient pourtant une culture extrêmement puissante au Moyen-Âge...


Halte à la metallophobie!
Un spectateur du festival de musique metal "Hellfest", Clisson (44), juin 2017 © LUDOVIC MARIN / AFP

Les fans de musique metal sont victimes de l’hégémonie de la musique commerciale au quotidien. Un exemple avec les aventures d’Estéban, metalleux malheureux.


« Allez, chacun passe une chanson et fait découvrir un morceau aux autres ! » Les styles musicaux s’enchaînent : pop, rock, électro, ragga, rap, r’n’b, dub, etc. Depuis plusieurs années, les enceintes Bluetooth ont instauré une apparente démocratie de la musique dans les soirées festives. Pourtant, comme tout système politique, elle a ses parias, ses exclus. Fan de metal extrême, Estéban propose à ses amis un morceau. La réponse, unanime : « Non, ça va casser l’ambiance, c’est trop agressif. »

Aucune discussion possible, pas de conciliation : Estéban est rejeté par un consensus implicite. Il n’est pas le bienvenu, et on ne headbangera[1] pas sur les vociférations et les riffs endiablés de Slayer. Ravalant sa frustration, il feint comme les autres  d’apprécier les gémissements de Rihanna. Comme des millions d’autres fans de metal, Estéban vient de subir une micro-agression.

Micro-agressions et système excluant

Rentré chez lui, Estéban décide de se changer les idées et allume la télévision, mais tombe sur « Quotidien » qui montre des metalleux avinés exposant leur postérieur. Écœuré par ces clichés, notre metalhead (fan de metal) passe à Spotify : inutile, le service de streaming ne connaît pas le quart des groupes de black metal qu’il demande.

Les metalleux avaient pourtant une culture extrêmement puissante au Moyen-Âge…

Alors, Estéban sort se promener ; las, des enfants le montrent du doigt, et de nombreux passants se retournent sans gêne sur lui. Ils se moquent de ses cheveux longs, de ses bracelets à clous, de son maquillage noir et de ses bagues à tête de mort. Il rencontre une connaissance et lui fait machinalement le signe des cornes avec la main ; méprisant, l’autre lui tend la sienne. « Les gens ont tellement intériorisé la metallophobie qu’ils imposent même leur façon de saluer », témoigne Estéban.

Ces micro-agressions quotidiennes, il s’y est habitué. Le sentiment d’exclusion, lui, demeure : « Pourquoi les gens rejettent-ils ce qui est différent, et qu’ils ne peuvent pas comprendre ? » Pour lui, c’est clair : les fans de metal sont les victimes du rap-triarcat et de la pop-triarcat, deux styles qui permettent aux majors de la musique d’engranger des milliards de dollars et qu’elles protègent jalousement en stigmatisant ceux qui écoutent des musiques différentes.

Pour Estéban, aucun safe space

Les amateurs de soupe auditive peuvent ouvrir n’importe quelle radio à n’importe quel moment pour être bercés de morceaux interchangeables de musique mondialisée. Ils ont leurs émissions, leurs évènements ; leur culture et leurs codes définissent la normativité des espaces musicaux publics et privés. Pour eux, le monde entier est un safe space.

A lire aussi, Jérôme Blanchet-Gravel: Théorie du genre: quand toute la société est une «micro-agression»

Estéban, lui, n’a pas de radio dédiée ; tout au plus, quelques émissions confidentielles proposées à des heures tardives. Même ses refuges habituels (les grands festivals metal) sont victimes de l’entrisme de la musique commerciale et d’une appropriation culturelle ne subissant aucune limite : « Avant, on était entre vrais metalleux, et on pouvait partager notre expérience de personnes metallisées autour d’une bière sans craindre l’oppression. Aujourd’hui, on subit l’invasion de cohortes d’adolescents gothiques écoutant des groupes commerciaux, de vieux boomers qui achètent le dernier album de Metallica en expliquant que c’est du metal, ou de bimbos Instagram qui font de l’appropriation culturelle en s’habillant en noir ».

Les solutions: intersectionnalité et éducation populaire

Fort de ces amères constatations, Estéban a fondé en 2015 le CCMI, le Comité Contre la Metallophobie Institutionnelle, qui rassemble aujourd’hui plus de 200 000 membres. Son but : « Unir les metalleux autour d’une cause commune, la lutte contre la metallophobie » .

Punk, black, hardcore, doom, death, thrash, hard rock, heavy : pour Estéban, le combat contre la pop-triarcat et le rap-triarcat passe par l’union contre la métallophobie. « Les punks se battent pour le droit de porter une crête de cheveux verte ; les thrashers militent pour le respect de la veste en jean sans manches avec des patchs cousus ; les black metalleux veulent invoquer Satan sans se cacher. Au CCMI, on essaye d’unir tous les fans de metal pour mener une vraie lutte intersectionnelle. Chacun ayant son drapeau, comme les LGBT avec leur arc-en ciel, nous sommes maintenant unis sous le même drapeau. Noir, bien sûr ».

Depuis six ans, Estéban propose donc des conférences autour du monde pour sensibiliser différents publics à la metallophobie. Évidemment, Estéban a pris soin d’étudier les luttes intersectionnelles existantes pour plus d’efficacité. « Nous montrons aux gens que s’habiller en noir est un signe extérieur de soutien à notre cause. Bien sûr, nous leur vendons ensuite les vêtements de notre shop pour metalleux ! » Estéban confie que l’étude de Rokhaya Diallo et d’Assa Traoré lui a énormément appris sur l’art de conjuguer business et luttes sociales. « Il faut bien vivre ! », assume le redresseur de torts chevelu qui a compris grâce à ces égéries que « tout le monde peut se plaindre de quelque chose pour gagner sa vie ».

Unsplash

Mais Estéban va plus loin : il en appelle à une véritable décolonisation de la musique. Le CCMI va d’ailleurs publier une étude susceptible d’ébranler toutes les représentations musicales existantes. « Après une enquête approfondie, nous nous sommes rendus compte que la musique doit tout au metal depuis au moins 3 000 ans. Saviez-vous que Jésus avait les cheveux longs parce qu’il était metalleux ? Que les chevaliers armés se protégeaient en réalité pour aller dans des pogos ? Que si la bière était une boisson quotidienne au Moyen-Âge, c’est parce que les metalleux avaient une culture extrêmement puissante à cette époque ? » L’enquête démontre en effet comment la culture metal a été depuis des siècles victime d’une invisibilisation systémique.

Hashtag #balance ta pop !

Le CCMI propose d’emblée des pistes pour une société plus apaisée et un véritable vivre-ensemble musical : « Interdire tous ceux qui ne pensent pas comme nous, ce sont des fascistes ; obliger les majors de la musique à pratiquer une discrimination positive en faveur des metalleux ; établir des quotas de musique metal dans toute programmation musicale ». Pour rallier les soutiens à la cause, les hashtags #Balancetapop et #MeTal ont été créés. Il ne reste plus qu’à espérer que les dirigeants se penchent sur cette question douloureuse, car c’est de la reconnaissance des erreurs du passé que pourra naître une musique plurielle et riche de sa diversité !


[1] Le headbang, ou headbanging, est un type de danse impliquant de violents mouvements de la tête en cadence avec la musique, le plus souvent du heavy metal.



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Enseignant à l’École de Guerre Économique, Louis Favrot a créé et anime le blog « Libres Paroles ». Il y décrypte des contenus médiatiques et s’intéresse particulièrement à la guerre informationnelle et à la lutte des idées dans l’espace médiatique.

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