Accueil Politique Mélenchon n’est pas antisémite, mais Moscovici n’est pas un salopard

Mélenchon n’est pas antisémite, mais Moscovici n’est pas un salopard


Mélenchon n’est pas antisémite, mais Moscovici n’est pas un salopard

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Jean Quatremer, Jean-Michel Apathie et Harlem Désir, superbe trio d’intelligence française, ont lancé au moment du congrès du parti de gauche un buzz accusant Jean-Luc Mélenchon d’être antisémite. Déclenchant immédiatement les surenchères, les références aux « années noires », les rappels à Doriot, à Déat. Premier arrivé au point Godwin !
Cela s’est dégonflé rapidement, heureusement. L’utilisation systématique de la qualification d’ « antisémite » commence à être très usée, et nombreux sont ceux qui craignent qu’elle soit désormais très contre-productive. Voir à ce propos la sortie de Pierre Bergé sur « l’humus antisémite » dont seraient issus les opposants au mariage gay. Cela me rappelle le petit conte de mon enfance sur l’enfant qui criait au loup.
Donc, bien évidemment, Jean-Luc Mélenchon n’est pas antisémite. Il est probablement plein d’autres choses. Certains le traitent de « Petit Timonier », d’autres de successeur de Kim Il-sung ou de réincarnation de Staline. Tout ceci étant probablement usurpé. Pour ma part, j’ai du mal à le voir autrement que le trotskiste (et lambertiste en plus !) qu’il fut. Maxime Gremetz, dans sa rustique jovialité, va jusqu’à considérer qu’il est socialiste !
Mais ce qui est intéressant, c’est l’attitude politique qui est la sienne depuis l’élection de François Hollande. Ce que Libération, mieux inspiré que d’habitude a appelé « la lutte des clashs ». L’absence de ligne politique lisible, le soutien de béton armé aux initiatives sociétales du PS, la contradiction entre l’appel à la Raison et l’adoption des coquecigrues écolos, l’impossibilité de mordre au-delà du périmètre classique du gauchisme, tout cela doit être masqué par une surenchère de vitupérations.
Quelles sont les phrases récentes qui ont donné lieu à polémique ? « petit intelligent qui a fait l’ENA, qui a le comportement irresponsable de quelqu’un qui ne pense plus en français, qui pense dans la langue de la finance internationale »
Et puis la contribution d’un porte-flingue qui a dénoncé : « les 17 salopards de l’Europe. Dans ces 17 salopards, il y a un Français, il a un nom, il a une adresse, il s’appelle Pierre Moscovici et il est membre du Parti Socialiste »[1. Un petit préalable. Le mot d’ordre du congrès du  Parti de Gauche du week-end dernier était : « on lâche rien ! ». Et bien désolé, lorsque l’on reproche à quelqu’un de « ne plus penser en français », la moindre des choses est de soi-même s’exprimer correctement dans cette langue. La suppression volontaire de la négation, ça fait peuple ? Le Parti Communiste Français (le vrai) ne se serait jamais permis cette facilité. Il veillait au contraire à la syntaxe de son expression officielle. Probablement par respect pour les gens auxquels il s’adressait.].
Tout est déplaisant dans ces sorties démagogiques. Pas antisémite, mais déplaisant.
D’abord, l’attaque ad hominem, est un exercice qui, s’il n’est pas manié avec beaucoup de circonspection, peut vite se retourner contre l’auteur. Ensuite, l’utilisation de la vieille ficelle démagogique anti-ENA. C’est déshonorant d’avoir fait l’ENA ? Non, c’est une chance que beaucoup tentent au travers d’un concours difficile et sélectif. Il faut peut-être rappeler que c’est une école qui a été créée par Michel Debré en 1946 pour mettre fin au système de cooptation dans la haute fonction publique d’État qui avait donné les résultats que l’on connaît avec l’effondrement de l’administration en 1940. Il y a eu bien évidemment des effets pervers, formatage, esprit de corps. Comme dans toutes les grandes écoles. Mais que l’on conserve car elles sont un des éléments de la méritocratie républicaine.
Enfin, la dénonciation de Pierre Moscovici comme représentant d’un européisme anti-France. C’est tout simplement un contresens. À mon avis, il n’y a pas de doute que Pierre Moscovici pense, de bonne foi, servir l’intérêt de son pays. Et je crois même qu’il est patriote. En tout cas je lui en fais le crédit.
Le problème n’est pas là, il appartient à une élite (au sens des fonctions occupées) qui a une vision de l’avenir de la France comme étant celle d’une puissance de troisième ordre, en déclin, qui doit, pour conserver une petite place, se plier aux exigences des dominants que sont le capitalisme financier, les États-Unis et surtout en Europe, l’Allemagne.
Commence à émerger un parallèle terrible, avec la situation de la France en 1940. Dans les années 1930, les élites ont failli par faiblesse, par lâcheté, avant d’accepter la défaite et à chercher les accommodements avec l’occupant. Nous avons aujourd’hui, comme à l’époque, ceux qui nous disent que nous l’avons mérité, que nous avons vécu au-dessus de nos moyens (l’esprit de jouissance n’est-ce pas ?), que nous devons accepter l’austérité, la destruction de notre système de santé, le délitement de notre enseignement, la mise à bas de notre système de retraite, l’abandon de nos programmes de recherche. Par la mise en place d’un système d’austérité imbécile qui, sous prétexte de diminuer les dépenses pour rembourser la dette, va déboucher sur le tarissement des recettes, et par conséquent plus d’austérité, ad infinitum. Seule, l’Allemagne, à la place où elle est aujourd’hui, en profitera. Obtenant par l’économie ce qu’elle n’a pu gagner par les armes. Avec une fois de plus la complaisance des élites et des couches moyennes. Emmanuel Todd disait, en forme de provocation, validant le parallèle entre les élites de la France de 1940 et celles d’aujourd’hui, qu’il fallait un choc pour qu’elles s’effondrent et disparaissent. Pour être remplacées par de nouvelles comme cela s’est passé après la seconde guerre mondiale.
Nous verrons, mais ce qui est sûr c’est qu’il existe aujourd’hui comme hier, dans les élites françaises un courant de résignation et d’accommodement. Rappelons quand même, que le 10 juillet 1940, à Vichy, la majorité du groupe socialiste au Parlement vota les pleins pouvoirs à Pétain et l’abolition de la République. Non pas parce qu’ils croyaient à la « Révolution nationale », mais par peur. Et par volonté de se soumettre. Le Parti socialiste qui a très souvent capitulé dans son histoire, a une vraie culture de la soumission. La capitulation n’est pas la trahison, mais elle peut y mener.
Rappelons à ceux, hommes politiques, journalistes, hauts fonctionnaires, qui nous demandent de nous résigner, qui nous disent qu’il n’y a pas d’alternative, qu’on peut mal aimer et défendre son pays. Et de leur dire que c’est peut-être le moment de relire L’étrange défaite de Marc Bloch.
Le 18 juin 1941, pour le premier anniversaire de l’Appel, Charles De Gaulle fit un discours au Caire qui commençait par ces mots : « Le 17 juin 1940 disparaissait à Bordeaux le dernier gouvernement régulier de la France. L’équipe mixte du défaitisme et de la trahison s’emparait du pouvoir dans un pronunciamento de panique. Une clique de politiciens tarés, d’affairistes sans honneur, de fonctionnaires arrivistes et de mauvais généraux se ruait à l’usurpation en même temps qu’à la servitude. Un vieillard de quatre-vingt-quatre ans, triste enveloppe d’une gloire passée, était hissé sur le pavois de la défaite pour endosser la capitulation et tromper le peuple stupéfait. »
La perfection. L’Histoire écrite en quatre phrases. Rien à ajouter. Rien à retrancher.
Aujourd’hui, les politiciens tarés, les affairistes sans honneur, et les fonctionnaires arrivistes, nous en avons notre part. Les mauvais généraux ? Nous n’allons peut-être pas tarder à les connaître.
La presse annonce qu’est présenté au Conseil de Défense un plan d’économies drastiques (30 régiments supprimés, arrêt de la plupart des programmes techniques de l’armement et la vente (!) ou la « mise sous cocon » du porte-avions Charles De Gaulle.) Dans un éditorial étonnamment sévère, le journal Le Monde du 26 mars s’indigne de ces propositions.
La dissuasion nucléaire ne perd rien pour attendre.
« En un mot, la France changerait de rang. Au moment où la Grande-Bretagne choisit, hélas, le même chemin, la France renoncerait à appartenir au club des puissances militaires qui comptent encore et placerait de facto sa sécurité sous le parapluie américain. C’est absurde stratégiquement ».
Alors, Jean-Luc Mélenchon, voilà un sujet qui concerne très directement l’intérêt national. C’est peut-être l’occasion de montrer, au-delà des effets de tribune, que vous êtes un homme politique conséquent…

*Photo : World Economic Forum.



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