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Au secours, effectivement

Causeur a regardé la mini-série "Au secours, bonjour !"


Au secours, effectivement
Pendant le confinement, des célébrités comme Bruno Solo et Alice Bélaïdi ont amusé les téléspectateurs de "Au secours bonjour" Image: capture d'écran YouTube

Proposée après le journal télévisé, décrite dans un sabir plus managérial qu’humoristique sur le site de la chaîne, la « pastille » spéciale confinement de France 2 relève plus de l’endoctrinement crétin que du pur divertissement fantaisiste revendiqué.


S’il vous arrive de regarder le journal télévisé sur France 2, il y a de bonnes chances, après un détour par la météo, que vous ayez assisté comme moi à ce grand moment de télévision qu’est « Au secours, bonjour ! ». Au programme, un moment « d’humour et de solidarité face au confinement », dixit le site internet de la chaîne publique.

La solidarité est là, mais pour l’humour on repassera, si l’on se fie du moins à la critique des internautes[tooltips content= »Le site linternaute recense actuellement 15 avis de spectateurs pour une moyenne de 1/5, soit la pire note possible. Le site nouveautés télé, quant à lui, compilait 1003 avis pour une note moyenne de 1,5 lors de la rédaction de cet article. La teneur des commentaires écrits y est édifiante. »](1)[/tooltips]. Pas grave, à France 2, on aimerait se persuader, à grands coups de novlangue managériale, que produire une série humoristique en huit jours, là où il faut habituellement un ou deux ans, est bien une formidable opportunité pour « apprendre pas à pas » et « changer les façons de faire ». Apprendre quoi ? Faire quoi ? Tout cela est bien mystérieux.

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Il était en revanche permis de se douter que le fait de tourner toutes les scènes au smartphone et de coordonner l’ensemble à distance n’améliorerait ni ne révolutionnerait le genre humoristique… Pour tout vous dire, on en vient effectivement très vite à douter que l’humour ait quoi que ce soit à voir avec cet objet télévisuel non identifié.

La télévision s’assume enfin comme une grande garderie

Le tweet de lancement de la série par France 2 est un modèle du genre pour qui sait apprécier l’honnêteté des publicitaires, lesquels sont les premiers, reconnaissons-le, à mettre en pratique la transparence qu’ils prêchent à tout va : « Le confinement on va en rire et on va en parler ». Manifestement personne ou presque n’en rit avec eux, mais qu’importe, cela ne les empêchera pas d’en parler. Ce qui était évidemment le véritable objectif.

Le but d’une émission de divertissement n’est plus au sens étymologique de di-vertir, c’est-à-dire d’éloigner l’attention du spectateur des « affaires sérieuses », mais bien au contraire de l’y ramener. Il faut le cajoler, le rassurer sur son sort, ne surtout pas lui faire perdre son précieux lien avec la communauté dont il pourrait finalement décider de se passer, ne fût-ce que temporairement. Il convient de lui rappeler sans arrêt qu’il vit essentiellement la même chose, ni plus ni moins, que ses co-pensionnaires de la garderie virtuelle qu’était déjà la télévision, et qui n’a plus peur de s’assumer comme telle.

 “Au secours, bonjour !” est donc un moment d’humour et de solidarité face au confinement, cette « expérience hors-norme et partagée par tous ». Toutes ces déclarations d’intention, ingénument partagées sur le site de France Télévisions, ne sont-elles pas charmantes ? Cette comédie, apprend-on également, serait évidemment « en prise avec le réel ». À voir… Une chose est sûre, à défaut d’être drôle la pastille de France 2 est « solidaire ». C’est quand même le plus important! Chaque épisode se clôt immanquablement par les applaudissements rituels des acteurs pour les soignants et pour les spectateurs, qui sont par là même invités à se joindre à ceux de 20h.

Pourquoi nous faire patienter cinq minutes quand il crève l’écran que le véritable « message » était là en réalité ?

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Dans l’enclos, tous sont confinés et tous sont solidaires. Vous avez la chance de vivre une expérience « hors-norme et partagée par tous » qu’on vous dit, et n’imaginez pas pouvoir vous en échapper ! Des fois qu’il vous arriverait de vous emmerder tout seul et que vous ne trouviez pas ça si désagréable, voire que ce « calme plat de l’âme […] précède la course heureuse et les vents joyeux » comme l’écrivait joliment Nieztsche [tooltips content= »Le Gai Savoir §. 42″](2)[/tooltips].

Dur à avaler pour beaucoup de monde

Il y aurait beaucoup à dire des épisodes dans le détail, car beaucoup de perles s’y cachent. Je ne résiste pas au plaisir de vous en offrir une, parmi les plus brillantes : « A tous les confinés qui ont décidé de se lancer dans une activité artistique, si en quarante ans vous n’avez pas réussi à être chanteur, romancier, cuisinier, danseur ou que sais-je, en deux mois de confinement je suis pas sûr que vous y arriviez alors on pose son accordéon, on fait à manger, on s’occupe des gosses, on fait le ménage comme tout le monde » (dixit le personnage d’Alice Bélaïdi, voir l’extrait suivant entre 02 : 45 et 03 : 16).

https://www.france.tv/france-2/au-secours-bonjour/1479773-emission-du-mercredi-6-mai-2020.html

Un frappant rappel à la raison pour le troupeau. Attention aux têtes qui dépassent ! Gare à ceux qui s’aviseraient de vivre au lieu de survivre ! Sylvain Tesson a dit fort justement que les applaudissements de 20 heures étaient la « nouvelle liturgie laïque de la France ». L’église ne peut tenir de messes, mais la communion a bien lieu tous les jours, entre les premiers applaudissements aux balcons, le JT et les derniers applaudissements des comédiens « d’Au secours bonjour ». Signe des temps, on n’y reçoit plus l’hostie mais la « pastille » puisque que c’est ainsi qu’on nomme ce genre d’émissions courtes. Gageons que la pilule (c’est un synonyme de « pastille ») reste un peu dure à avaler pour beaucoup de gens.



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