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La série Kalifat ou l’inexorable islamisation de la Suède

J'ai regardé pour vous la série Kalifat


La série Kalifat ou l’inexorable islamisation de la Suède
Capture d'écran YouTube de la série "Khalifat"

Une série suédoise choc sur l’islamisme


Kalifat est une série suédoise de huit épisodes qui m’a été plusieurs fois recommandée.

J’avoue avoir hésité à la regarder ; cette période était suffisamment angoissante sans en rajouter, mais j’ai fini cependant par capituler, en me disant que les thriller offraient un certain réconfort durant les périodes de grandes incertitudes, une catharsis en quelque sorte, on troque la peur d’un ennemi invisible, contre la peur d’un autre qui l’est beaucoup moins.

Je vais vous épargner les commentaires sur les qualités esthétiques de la série, je ne suis de toute façon pas qualifiée pour cela, en revanche, outre les acteurs, dont le jeu fut admirable, j’ai trouvé que la série était très intéressante à bien des égards, je tacherai de dire pourquoi, et n’ayez crainte, je ne ferai aucun spoil dans ce texte !

Une fiction entre Suède et Syrie

La mise en place du décor, la description des protagonistes et des enjeux s’étalaient un peu longuement sur les trois premiers épisodes. L’action se situe essentiellement entre la Suède et la Syrie, en 2015, époque durant laquelle les départs d’Européens vers l’État islamique avaient explosé. 

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Selon les estimations, jusqu’en 2017, 1000 personnes auraient quitté la France pour l’EI, environ 800 pour l’Allemagne et la Grande-Bretagne, et 300 en ce qui concerne la Suède, ce qui est un chiffre important comparé à la densité démographique de ce pays, comptant seulement une dizaine de millions d’habitants.

Le retour des djihadistes européens © AFP
Le retour des djihadistes européens
Source: AFP

La série dresse le portrait de personnages ayant des profils divers, et dont les chemins s’entrecroisent, les protagonistes entretiennent des liens directs ou indirects entre eux : Pervin et Husam sont deux jeunes Suédois partis faire le djihad en Syrie. 

Dès le premier épisode on nous suggère que Pervin est horrifiée par la vie qu’elle mène à Raqqa et qu’elle regrette son choix, mais nous ignorons tout du parcours de leur embrigadement ; de leurs motivations ou de la manière dont ils ont rejoint l’EI.

Cela sera implicitement éclairé par l’histoire en miroir de Sulle et Lisha, ces deux sœurs adolescentes et musulmanes, tout à fait intégrées dans la société suédoise, qui seront influencées par un maître à penser très charismatique, et qui vont basculer dans l’Islam radical et se porter candidates pour partir en Syrie.

Depuis Raqqa, Pervin est en relation avec Fatima/Eva, une policière suédoise avec qui elle a négocié une extradition en échange d’informations sur un futur attentat en Suède.

Attentat dans lequel Jokob, un Suédois converti à l’islam, est impliqué. Son passé de délinquant lui fait rencontrer Allah lors d’un séjour en prison, il entraîne son petit frère, légèrement simple d’esprit. Avec un père absent, une mère hostile et démissionnaire, les deux frères n’aspirent qu’à une seule chose : mourir en martyrs et jouir des vierges au paradis d’Allah.

Une tension insoutenable

Si l’action fut donc un peu longue à se mettre en place dans les premiers épisodes, à partir du quatrième, les événements s’accélèrent et s’enchaînent à une allure vertigineuse, je reconnais volontiers les avoir regardés en une seule soirée tant le scénario me tenait en haleine, la tension me paraissait parfois insoutenable. Bien qu’il s’agisse d’une fiction, il est évident que les auteurs et scénaristes s’étaient bien documentés sur le sujet, il est d’ailleurs fort probable que les protagonistes, et certaines situations, puisent largement leur source dans le réel.

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Par ailleurs, la série met bien en lumière les mécanismes d’embrigadement utilisés par les recruteurs du djihad. Les ficelles de ces procédés peuvent sembler grossières, c’est néanmoins des schémas qui se répètent, des constantes communes à plusieurs récits, aussi bien transposables en Belgique qu’en France, voire en Algérie.

Voici ces quelques éléments redondants que j’ai pu relever

  • Le fantasme du califat : La chute de l’empire ottoman, en 1920, marque la fin du dernier califat, depuis, certains n’auront de cesse d’espérer sa résurrection ; l’organisation des Frères Musulmans, qui prône le retour du califat, est fondée en 1928. Et ce n’est pas non plus un hasard si le président Erdogan est apprécié dans de nombreux pays musulmans, car il incarne la figure de l’homme fort, celui qui va restaurer le califat, et faire renaître un « âge d’or islamique », car dans l’imaginaire de nombreux musulmans, le Califat est associé à une époque heureuse et prospère.

Dans la série, le concept de Califat est évoqué en termes laudatifs, une « terre promise », présentée comme une société utopique où règne la justice, la paix et l’équité, tout le contraire de la société suédoise islamophobe et raciste, le discours victimaire est sciemment alimenté par les islamistes afin d’entretenir la défiance envers les institutions de l’État, et nourrir un désir de vengeance.

  • L’enjeu du voile et le conflit générationnel : Lorsque les adolescentes sont mises en contact avec le « vrai Islam », elles sont subtilement poussées à vêtir le voile, une sorte de premier signe d’allégeance.

Le désir de Sulle de porter le voile débouche sur un conflit avec son père, celui-ci, très peu pratiquant, y est farouchement opposé. Ce genre de conflit générationnel existe bel et bien dans de nombreuses familles musulmanes, les parents sécularisés sont perçus par la nouvelle génération comme des « égarés » qui ignorent tout du « vrai islam ».

  • Le conflit générationnel se cristallise également autour de la tuerie de Charlie Hebdo, les parents découvrent avec stupéfaction et effarement que leur fille fait l’apologie du terrorisme et justifie ces crimes par de la légitime défense.
  • Théories du complot et utilisation de la question israélo-palestinienne : Cette tendance est exposée dès le deuxième épisode, Ibbe, un enseignant, à priori sans histoire, utilise la question palestinienne pour repérer les cibles potentielles, les futures prétendantes au jihad. Dounia Bouzar, anthropologue spécialiste de la radicalisation, a évoqué ce point à plusieurs reprises ; les recruteurs du jihad utilisent souvent l’argument de la question palestinienne comme « amorce ».

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Lors d’une scène, l’adolescente Sulle lance à sa mère qu’il ne faut pas croire la désinformation des médias en ce qui concerne l’État islamique, niant ou justifiant ainsi les atrocités commises par les jihadistes. D’après moi, si ce genre de discours rencontre un large succès, notamment auprès des sympathisants du Califat, c’est simplement que le recours aux théories du complot permet de réduire la dissonance cognitive qui existe entre les discours martelés et la réalité. 

  • Besoin d’appartenance : Le besoin d’appartenance est selon les spécialistes de la psychologie un besoin fondamental, les humains, dans leur grande majorité, ont besoin de sentir qu’ils appartiennent à un groupe, à plus forte raison au début de leur vie, pendant la construction identitaire.

Pour les deux frères convertis, il est implicitement suggéré que leur radicalisation serait en lien avec l’absence d’une figure paternelle. L’Islam radical, par son côté rigoriste et autoritaire, serait en quelque sorte une réparation des dysfonctionnements familiaux.
La Suède fut parmi les pays européens qui s’est tristement illustré dans l’export de jihadiste en Syrie. Cela n’est pas si surprenant que cela, car les signes précurseurs furent nombreux : la levée de boucliers contre la ministre Nyamko Sabuni, l’assassinat de Théo van Gogh, suivi de l’exil de la députée Ayaan Hirsi Ali furent des signaux.

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La série soulève donc les nombreuses problématiques liées à la radicalisation islamique en Suède, mais également la question du retour des jihadistes et celle du traitement judiciaire. A découvrir.

Disponible sur Netflix.



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Prof contractuelle. Installée en France depuis l'an 2000, j'ai effectué un troisième cycle d'études littéraires à l'Université de Nice, je suis aussi auteur, traductrice littéraire et journaliste.

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