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« Joker »: un clown diabolique à Sodome et Gomorrhe

Critique du film de Todd Phillips


« Joker »: un clown diabolique à Sodome et Gomorrhe
L'acteur Joaquin Phoenix et le réalisateur Todd Phillips à l'avant-première du film Joker à New York, le 2 octobre 2019 © Andrew H. Walker/REX/SIPA Numéro de reportage: Shutterstock40730487_000015

Le film Joker divise, encensé par une partie de la critique, détesté par d’autres, pour des raisons souvent politiques et socialisantes. Dans ce film important, le rire glaçant du personnage principal résonne singulièrement avec notre époque.


Il s’avère que par l’ampleur et l’inventivité de sa mise en scène, le brio de son éxécution, la rigueur de son cadre, Todd Phillips signe une véritable fiction d’auteur. Joker est un très grand film sur la violence sociale. Celle qui plait tant aux professionnels du gauchisme, ces bourgeois qui se trompent en pensant que le film est un appel au soulèvement, comme se trompent aussi ceux qui croient que le film est un appel à la violence gratuite et complaisante, aux meurtres politiques, ceux qui croient que c’est un film suprématiste blanc, une ode à la masculinité défaillante et déchu..

Un blockbuster non aseptisé, ça nous change

Connu pour ses comédies graveleuses sur les frasques d’hommes à la recherche de leur masculinité défaillante ou menacée Road To Trip, Retour à la fac, et la série des trois Very bad Trip, Todd Phillips peut sembler n’être qu’un pur produit du cinéma des studios américains. Bien au contraire il signe avec Joker un véritable long-métrage de cinéma que les majors américaines n’étaient plus capables de produire depuis de nombreuses années préférant se vendre corps et âme aux principes des films blockbuster dédiés à la gloire des super-héros. Des films aseptisés et fédérateurs pour un public familial et adulescent.

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Joker une œuvre d’une noirceur infinie qui nous donne avec une rare maestria grâce aux talents conjugués du metteur en scène et de son interprète principal Joaquin Phoenix une vision de la violence qui mine nos sociétés occidentales. Gotham City, Sodome et Gomorrhe des temps modernes est en proie à la misère, au chômage, au ravage du capitalisme, au mépris des anywhere, les ordures s’accumulent dans les rues, les violences physiques et verbales sont quotidiennes. Les rues sombres de la cité, tous les individus rencontrés respirent la grisaille, la laideur et la noirceur. Le danger permanent règne. Pas de place pour les nowhere qui souffrent de leur situation sociale et dans le cas précis du Joker de leur handicap mental dû à des mauvais traitements.

Violence psychique

Ce n’est pas le Joker qui crée les conditions de la révolte mais bien la morgue de Thomas Wayne candidat à l’investiture de Maire de la ville lorsqu’il traite les habitants de sa cité de clowns. Le Joker, Arthur Fleck, certes déguisé en clown parce qu’il rêve de sortir de sa condition humaine – physique ingrat, tics, rictus effrayants, et crises de rire démentiels dénotant d’une folie aggravée, appartement miteux dans Gotham City, mère malade et dépressive…) a choisi pour vivre et se nourrir de se grimer en clown afin de colporter sur des panneaux des messages publicitaires dans les rues. Arthur se pense comique et rêve d’avoir son heure de célébrité et de gloire dans le plus grand show télé de stand-up animé par la star Murray Franklin (joué par Robert De Niro). Arthur Fleck est un malade psychiatrique. Conséquence de son enfance malheureuse où enfant adopté, il a subi pléthore de mauvais traitements. C’est un enfant sans parents, il n’a ni père, ni mère, un vrai déraciné – la lèpre de nos temps modernes – La violence qui l’habite est d’ordre psychique, psychiatrique, sociale mais aussi d’ordre diabolique. En ce sens, il est le vrai représentant du démon qui parachève la folie meurtrière et destructrice présente dans cette cité du Mal.

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Joaquin Phoenix (dont le talent ne se mesure pas au poids perdu par le rôle, n’en déplaise à la critique bien-pensante de Télérama et du Masque et la plume) est absolument sublime dans son interprétation du Joker, se déplaçant avec un mélange de grâce et de maladresse difforme, dansant avec brio tel un nouveau Mickael Jackson lorsque dans une scène d’anthologie, il descend les marches d’un long escalier de pierre sur les notes de la chanson Hey Song de Gary Glitter ou lors de sa flamboyante entrée en scène sur le plateau de l’émission télévisée de Murray Franklin. Très admiratif et influencé par le meilleur du cinéma de Martin Scorsese, Todd Phillips fait de Arthur un personnage inspiré de Travis Bickle (Taxi Driver) et de Rupert Pupkin (La Valse des pantins), deux individus psychologiquement instables et animés par un désir et une volonté féroce de reconnaissance sociale. La bande musicale du film est impeccable et toujours juste. La musique originale du film confiée à la violoncelliste et compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir, à la fois précise, d’une inquiétante étrangeté et dissonante dans les moments de fêlures renforce parfaitement la tension et accompagne la chute dans la folie du personnage. Les chansons du film ont la cruauté, dans de telles circonstances, de That’s Life de Franck Sinatra ou de Put On A Happy Face de Tony Bennett où la force sauvage du morceau psychédélique White Room du groupe Cream pendant les scènes d’émeute.

Un diable contemporain

Joker est une œuvre de la démesure, un grand film de déchaînement. Déchaînement de la folie et de la violence dans une ville Gotham City où règnent la misère, la déchéance sociale, la solitude, la lâcheté et le mépris politique. Une violence sauvage, terrible, cruelle, électrique et folle qui est filmée sans aucune complaisance. Todd Philipps film avec maestria une variation habile et intelligente sur le personnage du Joker l’éternel ennemi de Batman (totalement absent du film par choix de se concentrer sur le personnage maléfique, c’est sans doute le constat qu’il n’y a vraisemblablement plus d’existence possible pour un héros au service du bien). Servi par Joaquin Phoenix, éblouissant interprète du Joker en malade pathétique et tueur psychopathe qui devient malgré lui le héraut ambigu et implacable de la révolte et de la violence sociale de notre monde contemporain, Joker montre avec justesse et une certaine ambiguïté politique le malaise social et la violence actuelle de nos sociétés. Du grand cinéma qui nous montre que le Diable probablement est parmi nous et que souvent les humains peuvent devenir faibles, lâches ou violents.



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est directeur de cinéma.

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