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François de Cornière: un homme à la mer

Mes vacances chez les bouquinistes (5/5)


François de Cornière: un homme à la mer
Image dillustration: Alain Le Bot/Photononstop/AFP

 


La série d’été de Jérôme Leroy consacrée à ses trouvailles chez les bouquinistes s’achève…


 

Bien sûr, quand nous avons trouvé Boulevard de l’Océan de François de Cornière, dans une caisse devant le Gibert de Montpellier, nous l’avons pris au moins pour deux raisons.

La première, c’est que Francis de Cornière est un des poètes d’aujourd’hui qui nous touche le plus. Il est l’auteur du Nageur du petit matin qui est une merveille de délicatesse, poignant et superbe, une manière de chronique en poésie de l’accompagnement de la maladie et de la mort de sa femme. La mer est présente, déjà, dans chaque poème.

Océan, temps qui passe, marées…

La seconde raison, c’est le titre. A Montpellier, par ce jour de février, il ne faisait pas beau et les villes du sud par mauvais temps ont l’air de jolies filles qui font la gueule parce qu’elles ont le teint brouillé. L’été semblait loin mais le titre nous le promettait. En plus, nous préférons l’océan à la Méditerranée, au bout du compte. Les marées nous manquent vite et il est question de marées, justement, dans la série de courtes proses ciselées qui constituent ce livre mince et élégant comme une jeune baigneuse qui tord ses cheveux en penchant la tête de côté, dans ce geste immémorial depuis la naissance de Vénus.

Les marées vues par Francis de Cornière, c’est une question sérieuse. Sa lecture préférée ? Le petit indicateur. L’auteur le tient « pour le meilleur livre de l’été » : « Je le regarde, le parcours, le feuillette, l’étudie, le consulte, l’interroge, le savoure, l’annote, le souligne, le gomme, le marque, le tiens. ». En fait, à la fin de l’été, on s’aperçoit que l’indicateur s’est transformé en journal intime, qu’il rend compte autant des marées que du temps qui passe, à moins que les deux phénomènes n’en fassent qu’un, ce qui est toujours possible : « A la fin du séjour, ses pages de juillets se sont recouvertes de signes (des traits, des cercles, des croix, des petites flèches qui montent ou qui descendent.) J’aime alors les relire et saisir dans ces marques et ces marges les passages empruntés pour avancer, toujours, tout près du bord, en direction du large, avec l’espace dans la poche. »

Une étrange mélancolie

Boulevard de l’Océan date de 1990, et en le lisant trente ans après, on a l’impression que ces petites stations balnéaires de l’Ouest appartiennent à un monde disparu. Bien sûr les paysages sont immuables, la courbe familière d’une île à l’horizon n’a pas changé mais est-on bien sûr qu’existent encore ces fameuses Maisons de la presse où l’on trouvait de tout. Elles ont une fâcheuse tendance à être remplacées par des agences immobilières, des magasins pour vapoteuses ou des boutiques de téléphonie. C’était pourtant bien les Maisons de la presse. Écoutons Francis de Cornière : « Mais il y a, aussi, l’intérieur de la Maison de la presse, et quand on y entre, c’est en principe pour une raison précise. C’est le paquet de cigarettes ou de tabac, un ou deux timbres, quelques enveloppes, des photos à développer, le Loto, le Tacotac, ou encore une revue pour la plage, un illustré pour le soir, un livre de poche au fond du magasin, dans une sorte de placard à portes coulissantes qui montre, par un subtil jeu de glissement latéral, les tranches des collections classées par genre : policiers ou sentimentaux, aventures ou historiques, classiques ou érotiques et, bien sûr, roses ou verts. On trouve également, derrière les vitrines, les cahiers de vacances, les cahiers tout courts, les carnets, le papier à lettres, et puis, sur un rayon spécial, les jeux de société pour quand il pleut. »

D’où nous vient cette étrange mélancolie à la lecture de cette description pourtant neutre ? Le fait que la plupart des activités évoquées ont disparu ? Le fait qu’il faudrait maintenant la récrire au passé ?

Qu’importe ? Ne boudons pas notre bonheur. Boulevard de l’Océan est un livre qui sent l’iode et la liberté, le plaisir d’être au monde qu’on ne sent jamais autant que pendant ces quelques jours ou quelques semaines de temps libre ou, plutôt de temps libéré.

Boulevard de l’Océan de Francis de Cornière (Seghers, 1990, Gibert Montpellier, 4€). Une réédition plus récente de ce texte, en 2006, existe au Castor Astral)

Boulevard de l'océan

Price: 6,00 €

23 used & new available from 1,81 €

>>> Découvrez les autres épisodes de la série de l’été de Jérôme Leroy: Mon été chez les bouquinistes <<<



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