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Trente ans sans Simenon

L’inventeur de Maigret, géant de la littérature, est mort il y a trente ans


Trente ans sans Simenon
Georges Simenon. RETRO/SIPA. Numéro de reportage : 00169819_000002

Georges Simenon (1903-1989), l’inventeur de Maigret, géant de la littérature, est mort il y a trente ans.


Ce qui définit un grand écrivain est le fait que son œuvre se prête à un discours inépuisable, à des analyses qui se renouvellent de générations en générations. Ainsi en va-t-il encore et toujours pour Simenon qui est mort il y a juste trente ans. Ainsi en va-t-il pour le mystère Simenon, le phénomène Simenon, le monstre Simenon, protéiforme et insaisissable à force de surexposition dans l’extrême célébrité. C’est Guy Debord qui remarquait d’ailleurs que dans un monde spectaculaire, il y a deux façons de se cacher, soit dans la clandestinité soit dans la présence permanente, la starification. Et Simenon  fut un des pionniers de cette dernière, sachant se faire un formidable promoteur de lui-même et de sa légende. Un épisode parmi d’autres ? Le lancement de la série des Maigret en 1931 à la Boule Blanche, un cabaret de Montmartre où se côtoyèrent dans une nuit folle les marlous, les flics et les strip-teaseuses.

Trop lu pour être honnête ?

Une certaine ambiguïté demeure, encore et toujours sur cet écrivain trop lu pour être honnête, né à l’écriture avec les fascicules aux couvertures criardes de la littérature populaire des années vingt pour finir de façon posthume pieusement couché sur le papier bible. La réaction d’Emmanuel Carrère, vis à vis de Simenon, ne fait-elle pas finalement écho à celle d’André Gide, le gourou de la NRF, qui se montre un lecteur amical et bienveillant tant que Simenon se cantonne à être un romancier pur, chose un rien vulgaire qui ne prête pas à conséquence. Mais Gide exprimera par la suite des réserves très vives dès que  sa créature lui échappera et tentera seule l’aventure de la littérature avec le monumental Pedigree, autobiographie que Simenon écrivit alors qu’il se croyait condamné par les médecins. C’est le regretté Félicien Marceau qui remarquait que dans toute tentative pour constituer une histoire littéraire cohérente, on tombait « sur un os » et que cet os s’appelait Simenon.

Le présent perpétuel de Maigret

Simenon, c’est évidemment Maigret. Pour Maigret, tout commence par une silhouette. Une silhouette massive, un peu pataude avec ces accessoires du monde d’avant que sont la pipe et le chapeau. Elle est étrangement familière, cette silhouette, même à ceux qui n’ont jamais ouvert un livre de Georges Simenon. Il a pourtant consacré à ce personnage plus d’une centaine d’aventures, romans et nouvelles confondus, entre 1931 et 1972, entre Pietr le Letton et Maigret et Monsieur Charles. Parfois, la silhouette a pris le visage de Michel Simon, Harry Baur, Jean Gabin, Jean Richard ou Bruno Crémer pour s’incarner sur les écrans, grands et petits. Quarante ans de carrière et, finalement, pas une ride. C’est le même destin que Tintin, l’autre grand héros universel donné par la Belgique au monde. Le commissaire Maigret semble vivre dans un présent perpétuel. C’est un homme mûr depuis toujours, pas très loin de la retraite. Il habite boulevard Richard Lenoir. Il a une femme fidèle, aimante, bonne cuisinière qui ne lui a pas donné d’enfant. C’est son drame secret, sa fêlure intime. Il en parlera parfois à mi mots, au moment de Noël ou quand il sera confronté à des jeunes gens en rupture de ban qui ont parfois fait de grosses bêtises et se retrouvent dans la cellule des condamnés à mort.

Universels malheurs

Maigret a en commun avec les grands personnages du roman policier une aptitude à être à l’aise partout, dans tous les milieux. Cette mobilité sociale donne au lecteur l’impression que notre monde repose d’abord sur l’hypocrisie car ce que découvre Maigret, tel un prêtre qui entend les confessions, c’est que le malheur, les secrets de familles, les envies de meurtres, les jalousies irrévocables sont les mêmes sous les ors des ministères et dans les hôtels meublés pour les grands brûlés de l’existence.

En inventant Maigret, Simenon invente cependant un nouveau type d’enquêteur et par là même un nouveau type de roman policier. Maigret n’a pas de loupe mais il n’a pas non plus de pistolet, ou s’il en a un il ne le sort qu’exceptionnellement, et au début de sa carrière. Sa méthode, aussi, est radicalement nouvelle. Maigret se laisse impressionner, au sens photographique du terme. Il s’imprègne en douceur, il tutoie les atmosphères, il se fond dans les milieux où l’amènent ses enquêtes, il ne juge jamais, il a même tendance à comprendre les coupables pour mieux les confondre. Un exemple parmi d’autres, dans Maigret et les témoins récalcitrants : « C’était l’intimité des autres, en somme, que Maigret reniflait, et maintenant, par exemple, dans la rue, les mains dans les poches de son pardessus, de la pluie sur le visage, il restait plongé dans l’ahurissante atmosphère du quai de la Gare. »

L’air vicié d’une époque incertaine

C’est que Maigret a compris à quel point la frontière est mince entre l’honnête homme de l’assassin. Cette vision du monde persiste dans ce que Simenon a appelé ses « romans durs », ceux où Maigret n’intervient pas. L’être humain apparaît alors pleinement pour ce qu’il est  aux yeux de l’écrivain admiré par Gide : un solitaire, d’une solitude radicale qui le pousse parfois à fuir sans raison, comme Monsieur Monde. On trouve dans les romans durs de Simenon des variations étonnamment proches de thèmes explorés par les grands noms officiels de la littérature. On pourra ainsi voir, entre autres,  une étrange parenté entre la Thérèse Desqueyroux de Mauriac et La vérité sur Bébé Donge. Pas de plagiat, ni d’un côté ni de l’autre, bien sûr. Simplement, dans l’air vicié d’une époque incertaine, une manière de saisir un personnage de femme apparemment heureuse  qui tente d’empoisonner son mari parce que quelque chose lui manquait sans que ni elle, ni son mari, ni le lecteur, ne découvrent la nature exacte de ce manque.

En attendant cette élucidation, il nous reste à le lire et le relire dans cette addiction jamais démentie pour un écrivain qui commence presque tous ses romans par une question à laquelle, heureusement, il ne répond jamais.

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