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Et Jean-Philippe Smet devint Johnny


Et Jean-Philippe Smet devint Johnny
Johnny Hallyday, 1962. Sipa. Numéro de reportage : REX40152018_000001.

Personne n’a mieux décrit le phénomène Johnny (prononcer « Jauni », à la française) que l’écrivain Jean-Paul Bourre, mémorialiste des contre-cultures et des marges françaises. Jean-Paul Bourre sonne vrai parce qu’il y était, jeune blouson noir fasciné par les cowboys, les indiens, les tuniques bleues, les belles mécaniques américaines et les actrices plantureuses de l’Hollywood d’alors.

La fureur de vivre

Enfant de la Seconde Guerre mondiale comme Jean-Philippe Smet, il fut happé par la fureur de vivre d’une jeunesse qui se découvrait de nouvelles passions. Une période fondatrice narrée dans la biographie Hallyday Confidential« Lorsque Johnny débarque, guitare en bandoulière et pantalon de cuir noir, il a 18 ans, des airs de cow-boy timide, mais déjà derrière lui une enfance de nomade, un mec sans famille, élevé par les femmes de la tribu. Il est dans la vibration James Dean. (…) Un rebelle sans cause. Un prince du rock. Il était pour nous le prince des blousons noirs, l’idole des jeunes d’accord, mais de ceux qui portent des jeans et des boots de cow-boy et foutent la merde dans les concerts et les fêtes foraines, ceux qui écoutent Elvis, Cochran, Les Chaussettes Noires, Rocky Volcano, Vince Taylor, Danny Boy et ses Pénitents. »

À en croire la légende, Jean-Philippe Smet serait né dans la rue un soir de juin 1943, derrière un terrain vague où se trouvent les taudis, dans un berceau de fer, sans père pour le faire rentrer le soir. Si l’on peut légitimement douter du fait que Johnny nourrisson ait été laissé seul dans un berceau de fer, les légendes ont toutes leur part de vérité. Enfant de la balle, Johnny est tombé dans la marmite du show-business dès la naissance, non sans avoir connu son lot d’épreuves traumatisantes.

« Fils de boche »

Le début de l’existence du petit Smet a, en effet, des airs de roman misérabiliste du XIXème siècle, quelque part entre Oliver Twist et Les Mystères de Paris. Premier drame : Johnny est adopté par sa tante Hélène Mar à l’âge de huit mois, après que sa mère Huguette Clerc, mannequin de cabine, fut contrainte de l’abandonner. Reconnu tardivement par son père Léon Smet, artiste belge de music-hall, Johnny souffrit longtemps du statut infamant de « bâtard » que la société de l’époque lui renvoyait. Pis, les liens supposés de son père et de son oncle Jacob Mar (métisse éthiopien et allemand) avec les sphères collaborationnistes, troublaient grandement le jeune Jean-Philippe, faisant de lui un paria, un frisé, un « fils de boche ».

Est-ce pour fuir cet héritage encombrant que Jean-Philippe Smet devint Johnny Hallyday ? Bien plus qu’un simple pseudonyme, Johnny Hallyday est l’identité que cet homme, né et mort sur scène, esclave consentant d’un spectacle perpétuel, s’était choisie. Celle de l’époux de sa cousine Desta, en fait sa sœur ; l’artiste américain Lee Halliday dont il admirait les exploits depuis les coulisses des cabarets de France et de Navarre. Johnny l’américain du Paris populaire, du demi-monde chanté par Edith Piaf, devait servir de véhicule fantasmatique, de corps d’emprunt à une génération.

…devenu fils de personne

À l’image de Jean d’Ormesson, il était archétypique d’un type d’hommes. Quasi mutique hors de la scène, viril, animal, arrivé à la force du poignet : fils de personne. Au fond, qu’importe qu’il n’ait été que le traducteur, le passeur des musiques populaires américaines, massacrant parfois les grands standards des années 50 et 60 (Dur comme du bois, son Hey Joe…), car il était avant tout un monolithe, jouant à la perfection la partition qu’attendait son public, à sa place et pas ailleurs. Johnny Hallyday était toujours ce que ses « fans » (un mot qui semble avoir été inventé pour lui) voulaient qu’il soit, y compris quand, bien plus tard, il épousa la fille de son parolier Long Chris, la toute jeune Adeline Blondieau. « Il n’y a pas d’école pour le charisme », disait Line Renaud.

Cinquante ans à deux cents à l’heure. Cinquante ans de concerts. Cinquante ans d’albums plus ou moins réussis dans leur genre. Du label Vogue où il se rêvait Gene Vincent hexagonal à son Hamlet sorti beaucoup trop tard, opéra-rock dans la veine du Tommy des Who, c’était toujours « Jauni ». Une photographie de la France d’avant, où l’on ne rechignait pas à idolâtrer des vedettes qui n’ont « jamais été prises au sérieux à l’étranger », comme l’a écrit un journaliste japonais cette semaine.

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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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