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« Cosi fan tutte » et Christophe Honoré


« Cosi fan tutte » et Christophe Honoré

Le festival d’Aix-en-Provence propose cette année une nouvelle version de Cosi Fan Tutte. Donnons la parole au créateur, qui a décidé de placer la scène dans l’Érythrée des années vingt, sous l’occupation des troupes fascistes de Mussolini : « Le travail sur le déguisement ne doit pas être folklorique, dit-il, mais raconter quelque chose de plus dérangeant, sur le rejet de l’étranger ». « Il y a dans cette musique quelque chose de très solaire, très méditerranéen qui fait que j’avais envie de cette atmosphère plus africaine. » Bref, Christophe Honoré se donne des devoirs qui correspondent à ses envies. Du reste, tout en se défendant de faire une lecture politique de l’opéra de Mozart, il affirme vouloir « aller au plus loin de la cruauté, de l’obscénité qu’on peut entendre dans ce livret et dans les rapports homme/femme ». Sur ce point, accordons-lui crédit.

Pourtant, loin d’être convaincu par ces paroles ambitieuses, l’auteur de la critique de l’AFP (reprise par Francetvinfo.fr, Lexpress.fr ou bien encore La-croix.com) résume ses impressions par un dédaigneux « rien de très radical ». Hélas ! On n’est jamais assez radical. S’il reconnaît que « le soleil d’Afrique exalte la sensualité de l’œuvre », il déplore que « la lecture du cinéaste reste fort sage », en soulignant que l’on « s’ennuie un peu dans les péripéties interminables du deuxième acte. Rien de très radical, donc, dans cette lecture coloniale de Cosi, et en tout cas pas de quoi fouetter un chat ! » Pourtant, il vient d’écrire, quelques lignes plus haut, que « le pari de la mise en scène tient plutôt la route, et rééquilibre la misogynie du livret : les deux garçons qui fustigent l’infidélité de leurs belles ne font-ils pas bien pire, en abusant des indigènes ? »

Mozart n’avait pas prévu cela. Que les soldats fascistes abusent des indigènes, c’est une chose. Mais il en aurait fallu encore plus — pour fouetter un chat, sans doute (or le rôle de l’opéra est justement de fouetter les chats, n’est-ce pas ?). Au demeurant, faut-il voir dans cette production, avec une approximation géographique pardonnable, une maladroite réminiscence des Lettres de Somalie de Frédéric Mitterrand ? L’Afrique de l’Est, ses bouges et ses pirates font rêver les amoureux de l’aventure. On est, quant à soi, en droit de ne pas se sentir concerné, ou du moins de l’être seulement d’une certaine façon, en s’intéressant plutôt aux paysages lancinants, aux cargos qui passent au loin ou, si l’on tient à envisager les populations locales, aux gens en tant qu’êtres humains, plutôt qu’en tant qu’objets de prédation (laissons à Christophe Honoré le soin de résoudre l’éternelle dilemme entre la fascination et la condamnation d’un phénomène que l’on prétend réprouver).

Quant au marivaudage de Mozart, il était, soulignons-le, à l’origine bien plus ordinaire. Pour ne pas dire « normal », de peur d’être mal compris. Il était ordinaire, en l’espèce universel. Christophe Honoré, en revanche, en a tiré une situation particulière et surtout sans caractère. Dans le domaine artistique, la réduction d’une œuvre universelle par la mise en évidence de ses goûts personnels, sans perspective (auto-ironique), c’est une chute, un échec. Christophe Honoré a fait une private joke pour initiés. Certes, c’est une manière de rendre hommage à Mozart, qui était franc-maçon. Mais ce n’est pas la meilleure.

La même omniprésence du sexe dans son « Pelléas et Mélisande »

D’autre part, comme on dit, le metteur en scène n’en est pas à sa première tentative. Je n’ai pas vu Cosi Fan Tutte et ne tiens pas à aller le voir, mais il m’est arrivé, par malheur et par hasard, de voir le Pelléas et Mélisande qu’il a monté à Lyon en 2015. On y trouve la même obsession, la même omniprésence du sexe. « Un opéra du sexelit-on dans Diapasondu sexe triste, prenant à rebours le drame de Maeterlinck, dans une ambiance trash, au milieu de hangars miteux, avec un Golaud pervers, un Arkel vieillard vicieux limite pédophile, une Geneviève peut-être incestueuse. Pendant la scène de la fontaine, par exemple, Pelléas et Mélisande copulent sur la bagnole. »

Partout dans le monde, il y a des Christophe Honoré. Leur sinistre et vaine révolte contre le bon goût est d’un conformisme désolant : tout cela a été maintes et maintes fois répété. Ce qui frappe, surtout, c’est le mépris dans lequel ils tiennent les artistes lyriques, qui, eux, ont du talent. Ces metteurs en scène à la mode ont de la haine contre l’être humain et contre les artistes en particulier. Sinon, pourquoi les feraient-ils chanter dans des situations aussi dégradantes ? À Lyon, Christophe Honoré a franchi un pas inédit (à ma connaissance), en faisant projeter sur un écran de petites scènes tournées à l’avance, sans doublure, dont l’une narrait un viol en bonne et due forme – dans la voiture, bien sûr. Les deux chanteurs et la cantatrice, en gros plan sur l’écran, étaient aussi muets que de vulgaires acteurs d’un certain genre. Quoi de plus humiliant ?

Pourquoi tant de sexe ? Sur France Info, on entend une explication. Involontaire, sans doute. Christophe Honoré, âgé de 42 ans, y est qualifié de réalisateur « qui scrute si bien les états d’âme de la jeunesse. » La confusion entre l’innocence et l’impunité plonge au plus profond des pires fantasmes. Car un homme adulte, s’il se prend lui-même pour un enfant, cherche en réalité l’impunité bien plus que l’innocence. Le commentateur de France Info continue donc sur le même ton et avec la même assurance, comme si les obsessions de Christophe Honoré allaient de soi, tout en étant d’une originalité stupéfiante. Il ne remarque pas le paradoxe. Comme si rien n’avait d’importance, sinon ses propres chimères, que l’on impose de surcroit aux autres. Fernando et Guglielmo sont des soldats fascistes, ils abusent des indigènes. Il faut condamner le racisme. Il faut aller plus loin dans l’obscénité, etc, etc.

Ayant eu l’occasion d’écouter en direct la courte émission, je crois me rappeler que le commentateur a terminé en accablant le public d’Aix-en-Provence, qui n’a rien trouvé de mieux, à la première, que de siffler le metteur en scène. Surprise : sur le podcast de l’émission, le passage a été coupé. Quoi qu’il en soit, la critique de l’AFP confirme : « Le public plutôt conservateur du grand festival lyrique a boudé la mise en scène. »

Le populisme des avec-dents

Comment ? Le public du festival d’Aix-en-Provence n’est-il pas satisfait des œuvres de notre meilleur trublion ? Le populisme aurait-il aussi contaminé les amateurs d’art lyrique ? L’heure est grave. À moins que… Il y a deux solutions. Soit nous vivons en URSS et l’opéra est un divertissement populaire. Ce sont donc des sans-dents, à Aix-en-Provence, qui se sont rebiffés contre l’art de l’élite. Peu probable. Soit il y a une confusion sur le sens du populisme, ou peut-être une certaine fracture au sein de l’élite, qui compliquerait les choses. Et, pourquoi pas – rêvons ! – un terrain d’entente entre certains sans-dents et certains avec-dents, c’est-à-dire, quelque part dans notre pays, un peuple aux multiples facettes qui se retrouve dans le rejet de l’emprise d’une fausse élite. On peut rêver.

Christophe Honoré, savez-vous, est aussi l’auteur d’un récent long métrage sur Les malheurs de Sophie. On se demande ce qu’il a bien pu en faire. Dans la célèbre leçon d’éducation composée par la comtesse de Ségur, Sophie est une petite fille qui manque d’imagination, elle est incapable de concevoir à l’avance les conséquences de ses actes. Sans réfléchir, elle rase inconsidérément ses sourcils, elle plonge sa poupée en celluloïd dans l’eau chaude, elle découpe en morceaux des poissons vivants dans la baignoire, etc. Ces expériences malheureuses rappellent étrangement certains aspects de la mise en scène lyrique de nos jours… La morale de l’histoire, donnée par la comtesse de Ségur, c’est que de tels mauvais caractères ne peuvent s’en sortir qu’à la faveur d’une ferme discipline morale, à ne pas confondre, justement, avec le fouet de Madame Fichini.

Cosi fan tutte, mise en scène de Christophe Honoré, au Théâtre de l’Archevêché à Aix-en-Provence, ce dimanche 17 et mardi 19 juillet à 21h30. Retransmis en différé le 4 septembre à 21h00 sur France Musique.



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