Culture avec Fink, détente avec Valls!


Culture avec Fink, détente avec Valls!

alain finkielkraut zemmour

Un concert, un film, un spectacle – et le trentième anniversaire de « Répliques », l’émission d’Alain Finkielkraut ; vous, je ne sais pas, mais mon mois à moi a été rudement culturel.

Rassurez-vous, ça ne m’a pas empêché de suivre aussi l’actualité politique, des angoisses de Manuel Valls au suspense des départementales, histoire de me détendre un peu.[access capability= »lire_inedits »]

DUO FURIOSO

Jeudi 5 mars, La Maroquinerie / Concert de Two Gallants (2GS pour les intimes). L’excellent Maire Michel, à qui rien de ce qui est musical n’est étranger, a bien voulu m’accompagner. Heureusement, parce que, à part lui et Aldo Prisu, qui avait Sudoku ce soir-là, je suis le seul de mes amis à apprécier à sa juste valeur ce duo de génie.

Depuis dix ans, Adam H. Stephens et Tyson Vogel, nés en Californie comme mes dieux lares Sparks mais trente ans plus tard, pratiquent avec bonheur le pulk (crase entre folk et punk). Snobs comme des poux, ils sont allés chercher le nom de leur groupe dans une nouvelle de Dubliners (Les Gens de Dublin) de Joyce. Du coup, je me suis farci la nouvelle rien que pour eux ; eh bien, j’aurais mieux fait d’en chercher le résumé dans un vieux Sélection du Reader’s Digest. La salle était pleine, certes, mais elle n’est pas grande. Le fan-club Facebook de 2GS ne compte d’ailleurs que 38 000 membres worldwide – contre 58 millions pour David Guetta, l’artiste qui joue les bras en l’air. Bref, j’ai accepté avec reconnaissance la bonne avant-critique de Télérama. En plus, au lieu de vous raconter bêtement mes impressions d’amateur, ça me permet de citer un rock critique labellisé.

« Déferlement de guitares sauvages », écrit-il ; c’est bien l’impression que ça donne, et c’est d’autant plus méritoire qu’il n’y a qu’un guitariste – accessoirement bassiste, harmoniciste et chanteur. « Voix passée au papier de verre » : de fait, à 33 ans, Adam semble en avoir passé le double à fumer et à boire comme un Arno normal. « Sonorités accidentées » : au sein même d’une chanson, nos deux galants pratiquent volontiers les allers-retours entre calme et tempête, comme Lou Reed dans Heroin. Et quand vient le gros temps, il faut voir Tyson, déchaîné comme Keith Moon et le batteur des Muppets réunis, mais dans un style bien à lui, déclencher ses orages de fer.
Un petit reproche quand même : dans ses dernières productions, la rage originelle de 2GS semble s’apaiser dangereusement. Mais rassurez-vous, ça ne s’entend pas du tout sur scène ; et puis Adam me l’a promis, en coulisses et en V.O. : « La rage reviendra ! » Me voilà rassuré.

LE SALE AIR DE LA PEUR

Dimanche 8 mars, « Le Grand Rendez-vous » Europe 1 / Le Monde / iTélé / Causeur

Manuel Valls a peur du Front national.
Manuel Valls a même peur de Michel Onfray.
Manuel Valls se fout de notre gueule.
J’ai peur de Manuel Valls.

LAPIN CRÉTIN

Lundi 9 mars / Onfray, lui, n’a peur de rien, pas même du Petit Méchant Valls. Et quand il le remet à sa place, c’est dans un style plaisamment limpide pour un philosophe : « Manuel Valls préfère une idée fausse, pourvu qu’elle soit de gauche, à une idée juste si elle est de droite. J’ai vérifié dans le dictionnaire, ça s’appelle un crétin»

Sur ces entrefaites, Libé s’efforce aimablement de jouer les casques bleus en titrant « Retour sur un malentendu » (?). Et c’est avec un art consommé de la litote qu’il résume dans son chapô l’échange entre le crypto-facho et le crétin du dico : « Le Premier ministre a critiqué Michel Onfray pour des conseils de lecture polémiques. Le philosophe a contre-attaqué, parlant d’erreur d’appréciation. » Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises…

Mais voilà que, dans le corps du papier, le ton change, et l’auteur prend parti hardiment : « Difficile de ne pas comprendre l’énervement de Michel Onfray, tant ses propos ont été déformés par Manuel Valls. » Il est où, là-dedans, le « malentendu » ? Apparemment, au sein même du quotidien, où le titreur ignore ce qu’il titre…

LAISSE ALLER, CEST DU VALLS !

Vendredi 13 mars, « Zemmour & Naulleau » / À propos de la surdramatisation vallsienne, heureuse citation d’Audiard par Éric Zemmour : « À chaque fois qu’un mauvais coup se prépare, il y a une République à sauver ! » (Gabin dans Le Président.)

HIBERNATUS

Samedi 14 mars, « On n’est pas couché » / « Montée-du-FN » : à une semaine du premier tour des départementales, Ruquier le bateleur bat soudain sa coulpe, devant un Caron ravi et une Salamé incrédule, qui lui demandera de répéter deux fois : « Je regrette d’avoir donné la parole pendant cinq ans à Éric Zemmour »… Et tout ça quatre ans après son départ !

Vous me direz, dans son genre de boulot, on n’a pas trop le temps de penser. Mais du coup, dans cette parodie de mea culpa citoyen, le ridicule s’ajoute à la faux-culerie. Allez savoir pourquoi, ça me rappelle une bonne blague signée Woody Allen, dans « Les Mémoires du coiffeur d’Hitler» : « J’ignorais complètement ce qu’il faisait par ailleurs ; on parlait jamais boulot… »

CARON À TÉLÉ OLÉRON !

Samedi 21 mars, ONPC (suite) / J’ai fini par comprendre pourquoi Ruquier avait fait son coming out anti-Zemmour la semaine dernière : ce samedi, interdit de parler politique ! À signaler en revanche, sur ce plateau toujours plus plat, la première apparition de Chris Esquerre, invité à l’occasion de son nouveau spectacle aux Bouffes-Parisiens.

J’ai déjà eu l’occasion d’apprécier les talents du mec sur Canal+, dans sa « Revue de presse des journaux que personne ne lit », et surtout en tant que présentateur de Télé Oléron, dont il est non seulement le fondateur mais, à ma connaissance, l’unique employé.

Un drôle d’humoriste, qui flirte tant et si bien avec l’absurde que le grand public ne sait jamais quand rire, ni très bien pourquoi. C’est même au nom de cet argument populiste que Caron, faute de mieux, va fondre sur lui tel l’aigle en papier, genre : « Qu’est ce qui nous prouve que c’est drôle, dès lors qu’on ne rit pas ? »

Ne te fais quand même pas plus bête que tu n’es, Aymeric ! Tout le monde ne peut pas rire de tout, surtout avec toi. Il y a un public pour les Ch’tis, et un autre pour le Big Lebowski. Quant à toi, de toute façon, tu ne ris que quand tu crois avoir tué, ou au moins blessé.

Je sais, c’est un job ; mais c’est aussi un tempérament, et je serais curieux de savoir où tu l’exerceras la saison prochaine. En tant qu’ex-grand reporter, je gage que tu as prévu un ou deux parachutes. Mais si d’aventure le tien se posait en Syrie, au milieu de ces « groupes armés modérés » qui n’existent que sous ta mèche, tu comprendrais mieux d’un coup l’absurde esquerrien.

Au péril de ta vie, hélas… Est-ce bien raisonnable ? À ta place, dans les circonstances actuelles, je me rapprocherais plutôt de Chris, ne serait-ce que pour décrocher un petit boulot tranquille à Télé Oléron.

LE FASCISME REPASSERA…

Dimanche 22 mars / Plus la journée avance, plus la tension monte ! C’est ce soir qu’on va enfin savoir… si on peut légitimement rentrer en transes, comme le mois dernier pour la 4e du Doubs, ou pas.

En attendant, radios et chaînes d’info en continu meublent comme elles peuvent. On nous raconte où et quand les stars du polbiz ont voté, et au fil des heures on « affine » les chiffres de participation. Vers 17 heures, on y voit enfin plus clair : en hausse par rapport à 2011, mais bien en deçà de 2008. Reste à savoir ce que ça veut dire…

C’est là qu’interviennent nos amis les politologues. De deux choses l’une, expliquent-ils après réflexion : soit les avertissements de Manuel Valls ont remobilisé à gauche, soit des abstentionnistes ont cédé aux sirènes du FN – à moins que ça ne soit un peu des deux. Bref, autant faire une petite sieste devant Vivement dimanche, en attendant les résultats.

20 heures, réveil en douceur. Finalement, c’est non ! La France ne s’est pas « fracassée contre le Front national », comme on le redoutait tant en haut lieu. Au total, d’ailleurs, rien de bien bouleversifiant dans ces chiffres. L’opposition « républicaine » l’emporte haut la main, comme toujours dans les élections intermédiaires ; mais la gauche « résiste », et surtout la Bête recule de 5 points… par rapport aux sondages.

Le pire est évité ! En apprenant la nouvelle le Premier ministre, soulagé, s’est même offert un cigare, m’informe France Info. Vous m’en direz tant ! Il est vrai qu’il s’était beaucoup investi dans cette juste lutte, et qu’un désaveu des urnes lui eût sans doute été reproché par ses ennemis, s’il en a.

Revers de cette médaille en chocolat : l’épouvantail facho risque de ne plus faire peur aux cervelles de moineau. On aura beau faire valoir, en fin de soirée sur les plateaux, que 25 % c’est quand même 10 de plus qu’il y a quatre ans, le pétard est mouillé. C’est embêtant, parce qu’il doit resservir au moins jusqu’en 2017.

L’idéal, dans ces circonstances, ce serait que le FN conquière au moins un département ; l’Aisne par exemple, ça ne mange pas de pain, et en plus ça rime avec « F Haine ! » L’invasion de ce département, abandonné de toute façon, par les hordes bleu marine, permettrait de raviver à moindres frais la flamme de la résistance – qui ne doit pas s’éteindre tant que résonnera, même au loin, le bruit des bottes de Mme Le Pen.
J’ai bon ?

SANS RÉPLIQUE !

Samedi 28 mars / Dommage que la Cheffe ait déjà ramassé les copies. Sinon, je vous aurais volontiers raconté le trentième anniversaire de « Répliques », l’hebdo de Finkielkraut sur France Culture. Il donne lieu aujourd’hui à une surboum bac + 12 à la Maison de la radio : deux émissions en public au studio 104. La première, diffusée en direct live ce samedi matin, réunit Mona Ozouf et Patrice Gueniffey sur « La Révolution, la République et la France ». Dans l’autre, mise en boîte pour samedi prochain, Régis Debray et Marc Fumaroli controversent sur « La République des lettres ». Rien qu’à cet énoncé on voit le niveau, rare à la radio et même à France Culture.

Eh bien moi, tel que vous me lisez, j’ai été invité une fois dans cette émission classieuse ; c’est même la deuxième fois que je m’en vante ici. Mais ne soyez pas trop jaloux quand même : c’était un remplacement de dernière minute. Le vrai invité avait fait une mauvaise chute ; heureusement, j’ai un alibi.

D’ordinaire, j’écoute « Répliques » en podcast au cours de mes promenades nocturnes à vélo. C’est rudement pratique quand, comme moi, on a des horaires australiens. Mais qu’importent les fuseaux ! L’essentiel c’est qu’une heure durant, je cumule ainsi culture physique et intellectuelle. « Pensez, bougez ! » : ça doit être ça, le secret de mon équilibre.

LE CRI DU PNEU TUEUR

Mercredi 17 mars / Au commencement était Mr Oizo, un musicien spécialisé, selon ses propres dires, dans l’« inécoutable ». Sa devise : « Il n’y a rien de plus beau dans l’art que de ne pas réfléchir. » Sur cette base, en l’an 2000, il a quand même vendu (mais pas à moi) trois millions d’exemplaires de Flat Beat, un tube house parfaitement conforme à ses critères artistiques.

Par bonheur, depuis dix ans, notre Oizo-orchestre cohabite harmonieusement avec son double le réalisateur Quentin Dupieux, que je comprends mieux ; sans doute parce que, à la différence de la musique, dans le cinéma il y a quelque chose à ne pas comprendre.

Mon premier « choc esthétique », comme ils disent, ce fut Rubber (2010) : les aventures de Robert, un pneu serial killer embarqué contre son gré dans une télé-réalité US.

Happy ending oblige, il parviendra à s’en sortir – au terme d’aventures haletantes. Après avoir exterminé tous les méchants, non sans être lui-même flingué au passage, il se réincarnera en tricycle avant de lever une armée hétéroclite pour foncer sur Hollywood…

Comment ne pas empathiser avec un tel personnage, leader d’une horde de tricycles vides en formation de Hell’s ?

Cinq ans plus tard, le nouvel opus de Dupieux, Réalité, est d’un abord moins facile. Faute de pitch, voici le teaser : Jonathan Lambert, producteur lunatique, accepte de financer le film d’horreur que projette dans sa tête Alain Chabat, cameraman allumé. À une seule condition : qu’il trouve, pour l’illustrer, le cri le plus déchirant de l’histoire du cinéma…

Cinq minutes à peine, et déjà un hommage au Blow Out de Brian de Palma ! Tout le film est ainsi truffé de références aux réalisateurs préférés de Quentin, célèbres ou pas, mais tous américains. D’ailleurs, lui-même s’est exilé à L.A., où il a dû retrouver son ami tricycle.

Le reste du flim[1. Comme on dit dans La Classe américaine, le chef-d’œuvre de jeunesse de Michel Hazanavicius qui vaut tous les Artist du monde.] est parfaitement irracontable, tant on balance incessamment entre rêve et Réalité – qui se trouve être aussi le prénom de la jeune héroïne. Peu à peu cette histoire, déjà pas banale, s’entremêle avec d’autres encore plus décontrastantes, mais qui finiront toutes par s’emboîter – sans que l’ensemble « prenne sens » au sens andrécomtesponvillien du terme. Mais qui va au cinéma pour voir du André ?

Dupieux fait comme l’Oizo : tout est permis, quand on plane au-dessus de la Raison, et pour autant qu’on maîtrise – ce qui est diablement son cas. Des espèces de branchés du Minitel l’ont comparé au Lynch de Mulholland Drive. Et puis quoi encore ? Chez Quentin, on s’amuse avant même de comprendre ; chez David, on attend encore l’un et l’autre. « Branque », « surréel », « ovniesque » et même « inquiétant » : on a tout dit à propos de Réalité, et tout est vrai. À condition d’ajouter quand même, comme mon Télérama, que l’ensemble est « drôle et brillant ».

PS : Tiens, c’est la première fois que je fais sans rire l’éloge de Télérama. J’essaierai de le faire plus souvent ; mais ça dépend aussi d’eux.[/access]

*Photo : Hannah.

Avril 2015 #23

Article extrait du Magazine Causeur



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