Valls II: mi-ENA, mi-UNEF


Valls II: mi-ENA, mi-UNEF

macron najat vallaud

L’arrivée du «  Mozart de la finance » Emmanuel Macron au fauteuil laissé libre par Arnaud Montebourg et de la « next door’s beurette » Najat Vallaud-Belkacem, première femme ministre de l’Éducation nationale de l’histoire de cinq républiques, a été un de ces coups de com dont Manu Valls a le secret. Pendant que les commentateurs se délectent de ces faux-semblants, glosent à l’infini sur le prétendu paradoxe de la présence d’un ex-banquier de chez Rothschild dans un gouvernement socialo, Valls peut tranquillement faire passer la pilule d’un cabinet excluant toute personnalité pouvant avoir le moindre rapport avec les « vraies gens ». On cherchera vainement, en effet, aux postes importants, un(e) ministre qui ne soit pas issu(e) de l’une des deux filières produisant l’aristocratie politique d’aujourd’hui : l’ENA ou l’appareil du PS et ses filiales, dont l’UNEF des années 1980 et 1990 n’est pas la moindre. Les «  technos » de la mitterrandie (Hollande, Royal, Sapin, Fabius), plus Jouyet, à l’Élysée, partagent le pouvoir réel avec les apparatchiks nourris dès l’enfance au lait des intrigues du sérail solférinien : Valls, Le Guen, Marisol Touraine, Le Foll, plus Cambadélis et Le Roux comme gardes-chiourmes du parti. Le dernier des Mohicans de la politique à l’ancienne, Frédéric Cuvillier, arrivé au gouvernement sans passer par les cabinets ministériels, s’étant frotté pendant des années à la rude école de la gestion locale, jouant parfois le peuple contre l’appareil pour être réélu, s’est en est retourné sans bruit, mais amer, vers ses ouailles boulonnaises.[access capability= »lire_inedits »]

Jadis Raymond Aron distinguait, parmi les démocraties, celles qui reposaient sur le gouvernement « du peuple », dans lesquelles chaque groupe social sélectionne en son sein les individus aptes à les représenter au sein du pouvoir (parti « de classe », syndicats, associations, clubs de notables), et celles qui instauraient un gouvernement « pour le peuple », où une élite aristocratique s’auto-reproduisant fait avaliser par le peuple la dictature des « meilleurs ». Le Japon était, pour Aron, l’exemple le plus achevé de cette forme aristocratique de gouvernement élitaire, alors que les démocraties d’Europe occidentale s’efforçaient, avec plus ou moins de bonheur, de pratiquer la première.

Quelle est, aujourd’hui, en France, la base sociale des gens qui nous gouvernent ? Une étroite frange de la population de « sur-inclus », disposant de tous les codes, les habitus, les modes de vie et de consommation de la néo-bourgeoisie, ne faisant même plus semblant d’être comme tout le monde et de partager, dans la vie réelle, les difficultés et les bonheurs des gens ordinaires. Au sein de cette aristocratie – dont bon nombre de socialistes dits « frondeurs » font également partie –, la contradiction fait rage entre les doctrinaires, ceux qui pensent disposer de la bonne théorie (en gros, les néo-keynésiens) pour sortir le pays de la panade, et ceux qui ont jeté à la rivière toute espèce de vision idéologique de la conduite des affaires, préférant saisir, au jour le jour, les opportunités permettant de se maintenir la tête hors de l’eau. C’est la version 2.0 de la controverse entre les républicains opportunistes et les républicains radicaux des débuts de la IIIe République…

Quant à la gauche, elle est désormais confinée aux questions dites « sociétales » : justice, école, droits des femmes et des homosexuels. On trouve les personnalités idoines pour l’incarner : Taubira, Vallaud-Belkacem, chiffons rouges agités devant le peuple de droite, qui, dans sa grande naïveté, ne manque pas de grimper aux rideaux. « Nous sommes de gauche !, clament Hollande, Valls et consorts, puisque la droite et l’extrême droite nous insultent ! » Au passage, on est en droit de se demander s’il est digne de confier le redressement de notre système éducatif, en voie de dégradation accélérée, à une jeune femme, certes jolie et sympathique, mais dont on peut craindre qu’elle n’ait pas la moindre idée qui ne soit pas directement utile à l’avancement de sa carrière personnelle. Ce n’est pas l’exploit d’avoir confié les clés du ministère du Droit des femmes aux idéologues radicales d’Oser le féminisme ! qui la qualifie d’emblée pour redresser, comme l’ont fait les Allemands, un système éducatif en perdition…

Cela dit, un « gouvernement pour le peuple, sans le peuple » n’est pas condamné par nature à l’échec : pendant une longue période, le système japonais a donné d’excellents résultats, tant sur le plan économique que sur celui de la créativité culturelle de la société nipponne. Cela est la conséquence, en grande partie, de l’homogénéité ethnique et culturelle du Japon, volontairement et strictement préservée, et du maintien des valeurs ancestrales de ce peuple en toutes circonstances, les meilleures comme les pires (voir Fukushima). Pour faire adhérer le peuple à un projet dont il n’est pas, c’est le moins qu’on puisse dire, l’initiateur principal, il faut au moins l’écouter, lui manifester du respect, même si l’on pense qu’il se trompe. Valls avait su emprunter ce chemin ardu lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, mais sera-t-il en capacité de le faire comme Premier ministre ? Il est permis d’en douter, au vu des premiers pas du gouvernement Valls II, mais je serais infiniment heureux de m’être trompé.[/access]

*Photo: LCHAM/SIPA.00692072_000021

Septembre 2014 #16

Article extrait du Magazine Causeur



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