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Touche pas à mon despote


Où se sont retrouvés les conjurés pour organiser leur coup ? Comment s’y sont-ils pris pour rédiger ce texte qui entrera très vite dans les annales[1. Je ne suis pas très sûre de la traduction du terme Arsch en français.] ? Ont-ils envoyé un fax, un pneumatique, un SMS ou un mail à la rédaction de Marianne ? Si oui, à l’attention de qui ? Nul ne pourra jamais, sans doute, répondre à ces questions et l’on ne peut que se perdre en conjectures.

On peut opter pour un scénario romanesque où l’on verrait l’ombre des Dix-Sept se fondre discrètement, des mois durant, dans les nuits de Paris, pour converger en un lieu tenu secret où, à la lumière d’une chandelle, l’un d’entre eux ferait péniblement crisser le papier sous la plume d’oie et la dictée des autres. Ils seraient partis deux ou trois cents dans cette folle aventure. Mais, les rafles s’ajoutant aux exécutions sommaires, les arrestations alternant avec le retour de camarades torturés par la police sarkozyste, ils n’auraient plus été à la fin que dix-sept survivants. Jean-Pierre Chevènement ne laissera pas de nous étonner.

Malheureusement, je ne puis laisser mon imagination aller à de telles divagations : je n’ai pas l’esprit aussi éblouissant que celui d’un Dominique de Villepin – c’est-à-dire empreint des allants romantiques d’une grand-mère qui tricote. J’ai plutôt tendance à croire que les Dix-Sept conjurés ont décidé leur coup un soir de grande fatigue à la MJC de Nogent-sur-Marne, où ils tenaient un meeting unitaire. Sous l’emprise d’une ébriété avérée (trop de Canada Dry tue le Canada Dry), c’est François Bayrou qui, le premier, a eu l’idée : « On va lui faire une lettre méchante à Sarkozy. A lui et à sa méchante femme, hein Marielle, j’ai raison ? »

Comme il n’y avait plus de chips à manger et que le concierge de la MJC ne voulait pas tarder à mettre tout ce beau monde dehors en lançant un tonitruant : « Eh, il y en a qui ont une vie sexuelle ici », on a vu les dix-sept se rassembler comme un seul homme autour d’une table pour sonner l’hallali. Et, ah là là, quel hallali ! A provoquer des spasmes frénétiques chez un contrôleur principal des Impôts ou à vous faire bander un receveur des Postes en retraite.

Les Dix-Sept, donc, ont voté la mort du Roi. Et les Sanson, exécuteurs des hautes oeuvres de père en fils depuis 1688, s’apprêteraient à reprendre du service place de la Concorde. En attendant, on se donnera de petits rendez-vous anti-monarchistes-électifs, comme autrefois l’on se comptait fleurette entre gens de bonne compagnie dans des manifestations anti-fascistes. Rien n’arrêtera le front républicain !

C’est bien là le plus grand crime de Nicolas Sarkozy : avoir flingué Le Pen. Impardonnable, le président français a privé les Don Quichotte de la bienpensance française de leur bon gros moulin à vent. Le corps de l’hydre lepéniste à terre, c’est son assassin – l’homme qui a cassé leur joujou et leur principal passe-temps – qu’ils veulent achever. Ernst Kantorowicz (Kanto pour les intimes, c’est-à-dire pour ceux qui vont danser le jerk le samedi soir avec Claude Lévi-Strauss) n’avait même pas prévu le coup dans Les Deux Corps du Roi.

N’empêche que les Dix-Sept ont raison sur tous les plans. Ils ont d’abord raison de parler de monarchie élective : vu que papa Sarkozy n’était pas président de la République, il aurait été d’une parfaite incongruité que l’on parlât en l’espèce de monarchie héréditaire. Bien vu !

Et puis, il y a des choses qui ne trompent pas. Nicolas Sarkozy s’est enfui à Varennes (il fut heureusement arrêté – avec femme et enfant –, à hauteur de Marne-la-Vallée, par d’honnêtes journalistes qui avaient reconnu son visage gravé au revers d’une pièce d’un euro). Il a convoqué le Parlement à Versailles, puis a décidé de transporter sa cour du 8e arrondissement à Neuilly.

Pire encore, pour pousser plus loin la ressemblance avec ces rois qui ont fait la France, il a épousé une Italienne comme Henri II et Henri IV.

Ce n’est pas convenable : un président de la République doit être discret. Il lui est beaucoup plus loisible d’attraper le mal napolitain en sortant nuitamment par la grille du Coq plutôt que de s’afficher au grand jour avec une chanteuse. Une chanteuse, vous vous rendez compte ? Chez les Villepin, ça ne fait que quelques années qu’on accepte d’inhumer ces gens-là en terre chrétienne[2. Il a failli déshériter sa fille qui a eu l’outrecuidance de devenir top model.].

Ajoutez à cela qu’un des fils Sarkozy s’appelle Louis, comme cela s’est pratiqué au moins dix-huit fois chez les Capet et les Bourbons : le doute n’est plus permis. La France est une monarchie élective, alors que certains l’auraient préférée royale.

Traduit de l’allemand par l’auteur.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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