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Syrie : Fillon se rebelle !


Syrie : Fillon se rebelle !

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L’interview n’a pas fait grand bruit. Passé inaperçu entre les malheurs financiers de l’UMP et la fronde de la cardinale Batho, l’entretien que François Fillon a accordé au quotidien libanais L’Orient-Le Jour n’en rebat pas moins les cartes de notre politique étrangère. Comme s’il avait soudainement retrouvé au fond d’une malle un vieux costume déformé  par les années, l’ancien premier ministre de Sarkozy vire enfin sa cuti gaulliste. Lors de sa visite à Beyrouth, entre deux conciliabules avec les représentants des partis locaux, du phalangiste Amine Gemayel au délégué du Hezbollah Ammar Moussaoui, Fillon a dit ses quatre vérités aux atlantistes de l’UMP. Celui qui avait nommé Bernard Kouchner au quai d’Orsay sur décision du président Sarkozy change aujourd’hui son fusil s’épaule : oublié le droit de l’hommisme botté, l’heure est à la realpolitik en Syrie comme au Liban. À l’opposé des intentions belliqueuses de Nicolas Sarkozy, son ex-« collaborateur » temporise.
Démonstration. « L’Europe a une vision trop simpliste de la situation régionale. Par exemple, au sujet de la Syrie, il y a les bons et les méchants, et les Français ont rapidement établi une comparaison avec la situation en Tunisie et en Égypte (…) À l’origine, il s’agissait d’une révolte populaire contre une dictature (…) Mais avec le temps, la situation a évolué, laissant une partie de la place à des mouvements qui se comportent eux-mêmes comme des dictatures, et la position actuelle du gouvernement français n’est plus adéquate. »
Aux esprits taquins lui faisant remarquer que sa posture officielle rue de Varenne était pour le moins manichéenne, Fillon rétorque que l’opposition pacifique au régime baasiste s’est depuis muée en guérilla armée. Ce en quoi on ne saurait lui donner tort, bien que l’on puisse toujours chipoter sur le calendrier exact de cette mutation, qui n’a pas tout à fait attendu l’arrivée de la gauche aux affaires.
Mais il y a (encore) plus intéressant. Sur la nécessité d’armer les « rebelles », Fillon dit clairement niet. C’est là que le bât blesse, si l’on s’en réfère aux pétitions de principe de son parti, dont on chercherait en vain le secrétaire national à l’international parmi l’armée mexicaine de cadres qui en compose la direction, mais qui ne diffèrent guère de la rhétorique solférinienne. La perspective de fournir des armes lourdes aux insurgés syriens n’enchante pas l’ancien hôte de Matignon, décidément en quête des mânes gaullistes de ses mentors Joël Le Theule et Philippe Séguin : « Je crois que cela ne fait que prolonger la guerre. À mon avis, il faut forcer tout le monde à aller aux négociations. La Russie a un rôle à ce sujet et j’en ai personnellement discuté avec (…) Vladimir Poutine ». Perseverare diabolicum ! Piétiner la doxa interventionniste passe encore, mais en appeler à l’ogre post-soviétique, voilà qui défrise les partis pris occidentalistes du grand parti de la droite. Certes, à entendre certaines déclarations de bonnes intentions fillonistes, on se dit que les atlantistes n’ont pas le monopole de l’incantation creuse et de l’universalisme abstrait : « nous devons faire tout ce qui est possible pour pousser les parties vers des négociations en vue d’une solution politique » ou encore « il faut favoriser les négociations et ne pas jeter des anathèmes », claironne l’ex-chef du gouvernement. Le projet d’un Genève-2 a avorté en cours de route, et il y a fort à parier que le régime d’Assad comme l’opposition resteront sourdes aux appels au cessez-le-feu de l’introuvable communauté internationale. Les médiateurs onusiens Annan et Brahimi en savent quelque chose.
Contre toute évidence, Fillon préconise pourtant la réunion d’une grande conférence régionale dont l’Iran serait partie prenante, quoi qu’en disent Fabius et Hollande, parfaits continuateurs de la diplomatie sarkozyenne, ainsi que l’intégration de la Russie et de la Turquie dans un troisième cercle européen, conformément à la vieille marotte gaulliste d’un axe continental, de l’Atlantique à l’Oural.
Nous n’avons pas la mémoire courte. Avant de se dresser sur son séant gaulliste, Fillon a avalisé l’ensemble des orientations stratégiques du précédent quinquennat, à savoir : la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, l’installation d’une base militaire à Abu Dhabi comme signe de défiance envers Téhéran, le pas de deux puis le brusque divorce avec Assad, l’invitation faite à Kadhafi et le bain de sang libyen que l’on connaît…
Une lueur de doute nous assaille. Connaissant le peu d’entrain des sondeurs et autres communicants pour la politique étrangère en général et l’Orient compliqué en particulier, on peut difficilement mettre ce volte-face sur le compte de l’opportunisme. Quand bien même Fillon voudrait se poser en gardien du temple gaulliste avec une cote de notoriété moins riquiqui que celle de Dupont-Aignan, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. On comprendrait mal une telle prise de risques pour un gain politique a priori si minime. Séduire les quelques lecteurs avisés de Chevènement et Védrine n’a jamais constitué de stratégie électoraliste.
Eh oui, on peut toujours le regretter mais, à l’UMP comme dans l’opinion, les grandes mélopées géostratégiques paient beaucoup moins que la complainte du pain au chocolat

*Photo : France 2.



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