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Stanislas et les hypocrites

« Séparatisme scolaire » : retour sur 15 jours de haine


Stanislas et les hypocrites
Amélie Oudéa-castera, Saint-Denis, 15 janvier 2024 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

L’emballement médiatico-politique qui a secoué le collège Stanislas est retombé, pas les problèmes qu’il a soulevés. Ceux qui dénoncent l’excellence de l’enseignement privé sont ceux qui refusent de pointer les causes du délitement de l’école publique.


Je n’ai pour Mme Oudéa-Castéra aucune sympathie ni estime particulière, et je me demande encore comment elle a pu se retrouver aux commandes de l’un des ministères les plus importants de ce pays. Ses compétences dans le domaine scolaire doivent valoir les miennes sur la question des Jeux Olympiques, c’est dire ! En même temps rien ne doit plus nous surprendre dans la nomination de tel ou tel individu à un poste sans rapport aucun avec son profil. La Bruyère en son temps fustigeait ces gens prêts à occuper n’importe quelle charge : « tout leur convient », disait-il, « ils sont amphibies » – l’image est éloquente.  

Ce qui est finalement plus intéressant, c’est « l’affaire Stanislas » qui a accompagné ses premiers pas dans la fonction. Cette séquence a mis en lumière, s’il en était besoin, l’immense hypocrisie de ceux qui nous gouvernent, prompts à protéger leurs propres enfants de tout ce qu’ils promeuvent pour les enfants des autres : qu’Amélie Oudéa-Castéra inscrive ses garçons dans un lycée privé d’excellence, peu me chaut, elle a effectivement le droit de vouloir le meilleur pour eux, tout comme Pap Ndiaye souhaite probablement préserver sa progéniture des dérives de l’école publique en la mettant à l’École alsacienne. Le vrai problème, c’est que ces gens continuent à célébrer dans leurs discours les vertus d’une institution que leurs actes donnent à voir pour ce qu’elle est – déliquescente. Il est regrettable que leur lucidité sur l’état de l’école ne soit jamais mise au service d’une solide politique de restauration, et ne dépasse jamais l’horizon de leurs intérêts particuliers. La même hypocrisie prévaut chez beaucoup de gens de gauche qui pour rien au monde ne vivraient dans les quartiers dont ils vantent en public la bienheureuse diversité.

Vous n’aurez pas ma haine

Mais surtout « l’affaire » fut l’occasion pour certains de tomber à bras raccourcis sur, en vrac, les riches, l’excellence, la compétition et, nec plus ultra, la religion catholique. On n’allait pas se priver, et Stanislas a cristallisé pendant quinze jours la haine des professionnels de la déconstruction. Les reportages à charge se sont multipliés, soucieux de faire apparaître le caractère forcément traumatisant d’une instruction traditionnelle (la rigueur et le fascisme c’est pareil !), ainsi que les dérives quasi sectaires d’une homophobie et d’une discrimination systémiques au sein de l’établissement (je ne dis pas que Stan soit irréprochable, je n’en sais rien, mais c’est drôle comme on est moins regardant sur l’expression souvent décomplexée de l’homophobie en Seine-Saint-Denis). L’honnêteté intellectuelle et la déontologie professionnelle ont semble-t-il cessé d’avoir cours, comme en témoignent ces élèves de Stan interrogés par France Télévisions, dont le jugement sur leur lycée a été délibérément occulté, de l’aveu même de la journaliste révélé par le JDD, lorsqu’il n’allait pas dans le sens de l’enquête de Mediapart… Et que dire de ces parlementaires (le député LFI Paul Vannier, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias) qui, avec le sens de la nuance qu’on a découvert chez eux en même temps que leurs personnes, sont allés jusqu’à parler de « séparatisme scolaire » et de « territoire perdu de la République », croyant subtil de détourner contre Stanislas des expressions qu’ils répugnent à employer pour évoquer le séparatisme là où il prospère véritablement.  

Le directeur de Stanislas, Frédéric Gautier, lors d’une intervention télévisée, s’est réjoui d’être tombé récemment sur ces mots inscrits au tableau par un élève : « Vive Stan, vive la République, vive la France ! » : ce sont là, de toute évidence, les signes du dangereux séparatisme qui menace le pays selon les brillants analystes précédemment cités. Je ne sache pas que le lycée Averroès de Lille, dont le contrat d’association avec l’État vient d’ailleurs d’être rompu, ait pu se targuer de telles déclarations d’amour envers la France.  

Conférence de presse de Gabriel Attal au collège Charles- Péguy, à Paris, dans le cadre des annonces sur la réforme du collège et du lycée, 5 décembre 2023 © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Séparatisme donc. En d’autres termes, un entre-soi coupable, comme nous l’a fait comprendre une sociologue invitée dans les Matins de France Culture qui, statistiques à l’appui, s’est employée à montrer que les méchants riches ne veulent pas se mélanger avec les gentils pauvres. Tous ces beaux esprits, issus des sphères politique ou sociologique, se sont-ils un jour demandé pour quelle(s) raison(s), possiblement recevable(s), beaucoup (et pas forcément les plus fortunés ni les plus blancs) cherchent à fuir le « vivre-ensemble » imposé par l’école publique ? La réponse est dans la question.  

On a aussi eu droit à l’inévitable « culture du viol » censée régner à Stanislas. Les séparatistes ne sont pas ceux que vous croyez, une cuillère pour l’islamisme ; le mâle blanc est un bourreau sexuel, une cuillère pour le féminisme… autant profiter de l’aubaine pour faire son marché électoral.  

Bien évidemment, l’enseignement à l’ancienne en a pris pour son grade, coupable de verticalité dans la transmission, d’exigence envers les élèves et de la hiérarchisation entre eux qui en découle, bref coupable d’élitisme. Autant de valeurs qui contreviennent à l’égalitarisme de principe promu par une gauche devenue folle. Mais il fut un temps où la gauche se souciait d’excellence à l’école, bien consciente que la promotion sociale des plus déshérités passait par le même niveau d’exigence qu’envers la bourgeoisie cultivée. Cette gauche amnésique ne perçoit même pas ses propres reniements et sa trahison des plus faibles.  

Renversement

Ce qui est scandaleux, ce n’est pas que Stanislas existe, mais que l’école publique, à force de renoncements et de démissions portés par une idéologie mortifère, donne envie d’y inscrire ses enfants. Il n’y a rien d’étonnant à voir de plus en plus de parents se tourner vers le privé, autrefois refuge des élèves dont le public ne voulait plus, trop nuls ou trop perturbateurs, aujourd’hui refuge des familles qui cherchent encore un peu d’exigence et d’autorité. Quel renversement !… et quelle honte quand on sait l’argent dépensé pour le service public ! Quelle défaite de l’État d’avoir permis (quand il ne l’a pas encouragé) un tel délabrement de son école ! Moi-même, élevée dans le culte du service public par des parents fonctionnaires, et professeur dans un lycée public, j’ai hésité lors de l’entrée en sixième de mon fils, soucieuse (comme notre éphémère ministre avec ses propres enfants) de le protéger du pédagogisme et du bordel ambiants devenus la norme du collège public. Il ne faut pas pour autant se leurrer sur la qualité de l’école privée : les élèves y sont certes mieux encadrés, les professeurs y sont peut-être davantage respectés, mais la plupart des établissements sous contrat sont tenus par des programmes nationaux qui n’apprennent pas grand-chose et servent, sauf exception, la même soupe idéologique que les autres. Seuls échappent à l’effondrement général certains établissements hors contrat ou quelques écoles d’exception comme Stanislas ou l’École alsacienne. 

Mais bien sûr on ne cherche pas à creuser les raisons de leur réussite. Mieux vaut disqualifier d’emblée tout ce qui ne répond pas au cahier des charges « progressiste » : si la tempête s’est abattue sur Stanislas c’est parce que l’établissement renvoie par ses valeurs conservatrices à l’ancienne France que certains détestent, une France catholique (horresco referens !), attachée à la sélection par le mérite et au respect de l’autorité. De vieilles lunes en somme, promises à l’extinction, mais comme le cadavre bouge encore en certains endroits, il est toujours opportun de lui cracher dessus.

L’épisode Stanislas a duré ce que durent les emballements médiatiques. On a depuis trouvé d’autres os à ronger. Oudéa-Castéra a d’ailleurs quitté le navire, remplacée par une Nicole Belloubet qu’on n’attendait pas forcément à ce poste non plus. La macronie fait les fonds de tiroirs, de toute évidence, tout en cherchant à rassurer la gauche effrayée par les annonces de Gabriel Attal et froissée par les maladresses verbales d’Amélie Oudéa-Castéra. On sait la nouvelle ministre hostile à la verticalité du cours magistral, au retour de l’autorité ou au port de l’uniforme, des « fariboles » qu’elle a jadis moquées ouvertement.

Amélie Oudéa-Castéra était au moins insignifiante et docile ; Nicole Belloubet prétend avoir des idées, et ce n’est pas plus rassurant.




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Professeur agrégé de Lettres

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