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Les habits neufs du président Sarko


Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy.

On connaît le conte d’Andersen : Les Habits neufs du Grand Duc, que nous avons le plaisir de retranscrire au bas de cet article (ça se voit que c’est Noël : Causeur ne recule devant rien). Deux aigrefins parviennent à convaincre un souverain coquet – ou bling bling, c’est selon – de leur acheter des habits seulement visibles par les « personnes intelligentes ». Puisqu’il n’y a rien à voir, personne ne les voit. Et comme personne ne veut paraître idiot, tous vantent les qualités de ce tissu inexistant. Sauf un enfant, que l’innocence pousse à s’exclamer : « Le roi est nu ! »

Simon Leys avait rendu à ce conte d’Andersen une chinoiserie d’hommage dans Les Habits neufs du président Mao. Il semble que Nicolas Sarkozy soit sur le point de lui rendre pareille politesse : selon Le Figaro, le président de la République « va prendre la plume pour se mettre à nu ».

On n’osera pas rappeler au quotidien de la rue du Louvre le précédent fâcheux de Zizi Jeanmaire qui parvenait justement à s’habiller d’un truc en plume. On se demandera simplement si la nudité est une condition sine qua non de l’élection présidentielle.

Nicolas Sarkozy envisage, en effet, de se « mettre à nu » dans une Lettre aux Français (manière mitterrandienne) ou dans un livre bon marché (manière chiraquienne). Il n’a pas encore fait son choix. Il veut, nous dit-on, « montrer aux Français qu’après des maladresses des débuts, il a pris la dimension de la fonction, et que celle-ci l’a profondément changé ».

On pourrait croire, avec cette mise à nu revendiquée, être loin de Kantorowicz et des Deux Corps du roi : nous y sommes à plein ! Ce que veut le président de la République – et que ses conseillers n’osent pas nous avouer –, ce n’est évidemment pas se mettre à poil. La République n’est pas un cinéma où l’on joue à guichet fermé Mon Curé chez les nudistes. Ce que veut Nicolas Sarkozy, c’est mourir à lui-même : faire oublier le Fouquet’s et le yacht de Bolloré, le « Casse-toi, pauvre con ! » et la tentative de son fils Jean de se faire élire à la présidence de l’Epad… Ce que veut Nicolas Sarkozy, c’est mourir à moitié.

Peut-on mourir à demi ? Evidemment que non. On meurt ou on ne meurt pas : l’essentiel reste que le duc d’Uzès puisse remplir l’office dont il s’acquitte depuis le début du XVe siècle et proclamer : « Le roi est mort, vive le roi ! » Il n’y a plus de duc d’Uzès. Le peuple a pris sa place et ne concède ses suffrages à un président sortant que si sa rigidité cadavérique est bien avérée. Entendez : le pays veut bien choisir un président sortant, mais il faut qu’il soit mort symboliquement. Ainsi, dans l’histoire de la Ve République, aucun Président ne s’est-il fait réélire sans avoir préalablement joué les trompe-la-mort.

En 1988, François Mitterrand l’emporte après avoir été littéralement anéanti par la défaite aux élections législatives de 1986 : après l’avoir terrassé, la vague bleue aura blanchi de craie sa robe candidate[1. A Rome, le candidatus revêtait la toge blanche, la candida.]. En 1981, Valéry Giscard d’Estaing, qui, sept ans plus tôt, s’était fait élire au pied de la tombe de Georges Pompidou, est trop aristocratique pour croire en un monarchique « Le roi est mort vive le roi ! » : il veut persister dans l’être, se survivre à lui-même. Il est trop précautionneux pour s’offrir en victime expiatoire aux Français et, au lieu de rompre avec lui-même, il fait campagne sur son bilan. On connaît la suite.

Il y eut deux cas à part. Le premier est le général de Gaulle. Mais sa mise en ballotage au premier tour de l’élection présidentielle de 1965 ne sonne-t-elle pas, à elle seule, comme un « meurtre du père » ? On notera, au passage, que son adversaire François Mitterrand se présente alors comme le candidat unique de la gauche, mais qu’il ne veut pas être un « président normal » : c’est Marcel Barbu qui, à l’époque, tient le rôle.

La seconde exception est Jacques Chirac. Il n’a pas besoin de faire le mort pour être réélu en 2002 : Lionel Jospin le fait à sa place, dès le premier tour.

Nicolas Sarkozy pourra-t-il, en écrivant, faire oublier aux Français ce que la grande presse et la rumeur publique nous rabâchent depuis le début de son quinquennat ? Pourra-t-il se présenter au peuple en tenue d’Adam avant qu’un gamin ne se récrie, comme dans le conte d’Andersen : « Le roi est nu ! » ? Sera-t-il en mesure de se livrer à cet exercice de schizophrénie appliquée : faire mourir en lui le Sarkozy du premier quinquennat pour renaître en candidat frais du jour ?

Il est incertain qu’il y parvienne. Tuer la moitié de soi-même est une discipline extrêmement dangereuse : on peut y passer tout entier. Enfin, reconnaissons-le : tout ce que le président de la République fera n’y pourra rien changer. Nu ou pas, mort ou vif, Nicolas Sarkozy ne peut pas gagner la prochaine élection présidentielle. En aucun cas. Mais il n’est pas dit que François Hollande ne soit pas capable, lui, de la perdre.

Hans Christian Andersen
Les Habits neufs du Grand Duc, 1837
(Traduction David Soldi, Hachette, 1876)

IL Y AVAIT autrefois un grand-duc qui aimait tant les habits neufs, qu’il dépensait tout son argent à sa toilette. Lorsqu’il passait ses soldats en revue, lorsqu’il allait au spectacle ou à la promenade, il n’avait d’autre but que de montrer ses habits neufs. A chaque heure de la journée, il changeait de vêtements, et comme on dit d’un roi : « Il est au conseil », on disait de lui : « Le grand-duc est à sa garde-robe. » La capitale était une ville bien gaie, grâce à la quantité d’étrangers qui passaient ; mais un jour il y vint aussi deux fripons qui se donnèrent pour des tisserands et déclarèrent savoir tisser la plus magnifique étoffe du monde. Non-seulement les couleurs et le dessin étaient extraordinairement beaux, mais les vêtements confectionnés avec cette étoffe possédaient une qualité merveilleuse : ils devenaient invisibles pour toute personne qui ne savait pas bien exercer son emploi ou qui avait l’esprit trop borné.

« Ce sont des habits impayables, pensa le grand-duc ; grâce à eux, je pourrai connaître les hommes incapables de mon gouvernement : je saurai distinguer les habiles des niais. Oui, cette étoffe m’est indispensable. » Puis il avança aux deux fripons une forte somme afin qu’ils pussent commencer immédiatement leur travail. Ils dressèrent en effet deux métiers, et firent semblant de travailler, quoiqu’il n’y eût absolument rien sur les bobines. Sans cesse ils demandaient de la soie fine et de l’or magnifique ; mais ils mettaient tout cela dans leur sac, travaillant jusqu’au milieu de la nuit. avec des métiers vides.

« II faut cependant que je sache où ils en sont, » se dit le grand-duc. Mais il se sentait le cœur serré en pensant que les personnes niaises ou incapables de remplir leurs fonctions ne pourraient voir l’étoffe. Ce n’était pas qu’il doutât de lui-même ; toutefois il jugea à propos d’envoyer quelqu’un pour examiner le travail avant lui. Tous les habitants de la ville connaissaient la qualité merveilleuse de l’étoffe, et tous brûlaient d’impatience de savoir combien leur voisin était borné ou incapable. « Je vais envoyer aux tisserands mon bon vieux ministre, pensa le grand-duc, c’est lui qui peut le mieux juger l’étoffe ; il se distingue autant par son esprit que par ses capacités. »

L’honnête vieux ministre entra dans la salle où les deux imposteurs travaillaient avec les métiers vides. « Bon Dieu ! pensa-t-il en ouvrant de grands yeux, je ne vois rien. » Mais il n’en dit mot. Les deux tisserands l’invitèrent à s’approcher, et lui demandèrent comment il trouvait le dessin et les couleurs. En même temps ils montrèrent leurs métiers, et le vieux ministre y fixa ses regards ; mais il ne vit rien, par la raison bien simple qu’il n’y avait rien.

« – Bon Dieu ! pensa-t-il, serais-je vraiment borné ? Il faut que personne ne s’en doute. Serais-je vraiment incapable ? Je n’ose avouer que l’étoffe est invisible pour moi.
– Eh bien ! qu’en dites-vous ?
dit l’un des tisserands.
– C’est charmant, c’est tout à fait charmant ! répondit le ministre en mettant ses lunettes. Ce dessin et ces couleurs : oui, je dirai au grand-duc que j’en suis très-content.
— C’est heureux pour nous »,
dirent les deux tisserands ; et ils se mirent à lui montrer des couleurs et des dessins imaginaires en leur donnant des noms. Le vieux ministre prêta la plus grande attention, pour répéter au grand-duc toutes leurs explications.

Les fripons demandaient toujours de l’argent, de la soie et de l’or ; il en fallait énormément pour ce tissu. Bien entendu qu’ils empochèrent le tout ; le métier restait vide et ils travaillaient toujours. Quelque temps après, le grand-duc envoya un autre fonctionnaire honnête pour examiner l’étoffe et voir si elle s’achevait. Il arriva à ce nouveau député la même chose qu’au ministre ; il regardait et regardait toujours, mais ne voyait rien.

« N’est-ce pas que le tissu est admirable ? demandèrent les deux imposteurs en montrant et expliquant le superbe dessin et les belles couleurs qui n’existaient pas. « Cependant je ne suis pas niais ! pensait l’homme. C’est donc que je ne suis pas capable de remplir ma place ? C’est assez drôle, mais je prendrai bien garde de la perdre. » Puis il fit l’éloge de l’étoffe, et témoigna toute son admiration pour le choix des couleurs et le dessin. « C’est d’une magnificence incomparable », dit-il au grand-duc, et toute la ville parla de cette étoffe extraordinaire.

Enfin, le grand-duc lui-même voulut la voir pendant qu’elle était encore sur le métier. Accompagné d’une foule d’hommes choisis, parmi lesquels se trouvaient les deux honnêtes fonctionnaires, il se rendit auprès des adroits filous qui tissaient toujours, mais sans fil de soie ni d’or, ni aucune espèce de fil. « N’est-ce pas que c’est magnifique ! dirent les deux honnêtes fonctionnaires. Le dessin et les couleurs sont dignes de Votre Altesse. » Et ils montrèrent du doigt le métier vide, comme si les autres avaient pu y voir quelque chose. Qu’est-ce donc ? pensa le grand-duc, je ne vois rien. C’est terrible. Est-ce que je ne serais qu’un niais ? Est-ce que je serais incapable de gouverner ? Jamais rien ne pouvait m’arriver de plus malheureux. » Puis tout à coup il s’écria : « C’est magnifique ! J’en témoigne ici toute ma satisfaction. »

Il hocha la tête d’un air content, et regarda le métier sans oser dire la vérité. Tous les gens de sa suite regardèrent de même, les uns après les autres, mais sans rien voir, et ils répétaient comme le grand-duc : « C’est magnifique ! » Ils lui conseillèrent même de revêtir cette nouvelle étoffe à la première grande procession. « C’est magnifique ! C’est charmant ! C’est admirable ! » exclamaient toutes les bouches, et la satisfaction était générale. Les deux imposteurs furent décorés, et reçurent le titre de gentilshommes tisserands.

Toute la nuit qui précéda le jour de la procession, ils veillèrent et travaillèrent à la clarté de seize bougies. La peine qu’ils se donnaient était visible à tout le monde. Enfin, ils firent semblant d’ôter l’étoffe du métier, coupèrent dans l’air avec de grands ciseaux, cousirent avec une aiguille sans fil, après quoi ils déclarèrent que le vêtement était achevé. Le grand-duc, suivi de ses aides de camp, alla l’examiner, et les filous, levant un bras en l’air comme s’ils tenaient quelque chose, dirent :
« – Voici le pantalon, voici l’habit, voici le manteau. C’est léger comme de la toile d’araignée. Il n’y a pas de danger que cela vous pèse sur le corps, et voilà surtout en quoi consiste la vertu de cette étoffe.
– Certainement, répondirent les aides de camp ; mais ils ne voyaient rien, puisqu’il n’y avait rien.
– Si Votre Altesse daigne se déshabiller,
dirent les fripons, nous lui essayerons les habits devant la grande glace. »

Le grand-duc se déshabilla, et les fripons firent semblant de lui présenter une pièce après l’autre. Ils lui prirent le corps comme pour lui attacher quelque chose. Il se tourna et se retourna devant la glace. « Grand Dieu ! que cela va bien! quelle coupe élégante ! s’écrièrent tous les courtisans. Quel dessin ! quelles couleurs ! quel précieux costume ! » Le grand maître des cérémonies entra.

« – Le dais sous lequel Votre Altesse doit assister à la procession est à la porte, dit-il.
– Bien ! je suis prêt, répondit le grand-duc. Je crois que je ne suis pas mal ainsi. »

Et il se tourna encore une fois devant la glace pour bien regarder l’effet de sa splendeur. Les chambellans qui devaient porter la queue firent semblant de ramasser quelque chose par terre ; puis ils élevèrent les mains, ne voulant pas convenir qu’ils ne voyaient rien du tout.

Tandis que le grand-duc cheminait fièrement à la procession sous son dais magnifique, tous les hommes, dans la rue et aux fenêtres, s’écriaient : « Quel superbe costume ! Comme la queue en est gracieuse ! Comme la coupe en est parfaite ! » Nul ne voulait laisser voir qu’il ne voyait rien ; il aurait été déclaré niais ou incapable de remplir un emploi. Jamais les habits du grand-duc n’avaient excité une telle admiration.

« – Mais il me semble qu’il n’a pas du tout d’habit, observa un petit enfant.
– Seigneur Dieu, entendez la voix de l’innocence ! » dit le père. Et bientôt on chuchota dans la foule en répétant les paroles de l’enfant. « Il y a un petit enfant qui dit que le grand-duc n’a pas d’habit du tout ! » « Il n’a pas du tout d’habit ! » s’écria enfin tout le peuple. Le grand-duc en fut extrêmement mortifié, car il lui semblait qu’ils avaient raison. Cependant il se raisonna et prit sa résolution : « Quoi qu’il en soit, il faut que je reste jusqu’à la fin ! » Puis, il se redressa plus fièrement encore, et les chambellans continuèrent à porter avec respect la queue qui n’existait pas.



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