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Le Mexique survit au temps du corona

Continuer à vivre quoi qu’il en coûte


Le Mexique survit au temps du corona
Mexico, mai 2020. Marco Ugarte/ AP Sipa. Numéro de reportage : AP22452369_000016

Sur les marchés, on comprend que l’art du commerce soit si bien ancré dans la culture mexicaine depuis l’ère aztèque, ce qui fait mauvais ménage avec l’assignation à résidence pour tous.


Imaginez des pièces de cochonnaille à n’en plus finir, des étaux de fruits et piments rivalisant de couleurs exubérantes, des tortillas qui crépitent à en avoir le vertige, des vendeurs à moustache et au ventre épais qui vous hèlent tous les trois mètres, des grands-mères aux traits indiens et aux mains rugueuses façonnées par l’artisanat, des tables poisseuses où l’on se délecte de tacos ou autres carnitas dégoulinants de guacamole et de piments, du Coca-Cola ou de la Corona pour en apaiser les flammes, des mignonnes de quinze ans enceintes déployant leurs sourires enivrants pour vous refourguer des babioles inutiles « made in China », vous comprendrez que l’art du commerce est ancré dans la culture mexicaine depuis l’ère aztèque, ce qui fait mauvais ménage avec l’assignation à résidence pour tous.

Résistance populaire

« Vivre tue. Ce n’est pas une raison pour arrêter », a écrit Élisabeth Lévy. Voilà une phrase que le Mexique devrait faire sienne. Dans un marché de Mexico, un stand a même affiché « Chers clients, nous continuerons à travailler jusqu’à ce que le coronavirus nous tue », relatent nos confrères du Figaro. Il faut dire qu’en pleine pandémie, le pilote de gauche Lopez Obrador n’a rien trouvé de mieux à faire que célébrer la « résistance » des Mexicains et a encouragé ces derniers à « soutenir cette économie populaire et familiale ». Certes, dans un pays où la moitié des actifs vit du travail de rue et où le nom composé « allocations chômage » ne fait pas partie du langage, difficile de mettre le pays sous cloche comme chez nous. Néanmoins, le président Lopez Obrador n’en est pas à sa première sortie démago, il avait déjà suggéré aux Mexicains de brandir un trèfle à quatre feuilles pour stopper le coronavirus, j’aurais d’ailleurs souhaité que nos « experts » des plateaux télés si prompts à s’indigner des postures de Trump ou de l’évangélique Bolsonaro en fassent de même pour le berger Obrador. Selon le quotidien espagnol El País, seuls 37% des Mexicains approuveraient sa gestion de la crise.

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Un peuple livré à lui-même

Quand le peuple est livré à lui-même, que faire? Lors de leur carnaval, de leur fête nationale, de leur Cinco de mayo – où ils ne sont pas peu fiers d’avoir bouté les troupes de Napoléon III hors de chez eux – ou de la Fête des morts, les Mexicains rivalisent de créativité dans l’élaboration de masques et de son festival de couleurs vivaces. À travers le vibrant hommage rendu aux ancêtres, à travers les verres de tequila – parfumée, douce, rien que la Bicentenario est une merveille et pourtant c’est une des plus modestes – trinqués dans les cimetières, la Toussaint mexicaine est une formidable ode à la vie. Face à la pandémie, le goût des Mexicains pour l’artisanat pourrait les inciter à se voiler la face sous des airs de chèvres, cochons, chiens, ou taureaux comme ils savent si bien le faire. Prenons-en d’ailleurs de la graine, car les revêtements de synthèse blancs qui hantent désormais nos visages nous font de plus en plus ressembler à des morts-vivants.

L’avenir du Mexique est l’avenir du monde

Revenons-en au coronavirus – qui a la bassesse de « stigmatiser » cette bière fine et subtile, n’en déplaise aux puristes de la Guinness, qu’est la Corona. Il y a un point qui rend les Mexicains particulièrement vulnérables au coronavirus: l’obésité. Chaque année, le Mexique se bat avec les États-Unis pour la première place des nations les plus obèses au monde. En cause, une réticence à la marche (l’insécurité ambiante y contribue beaucoup) et un goût déraisonnable pour les desserts, les glaces et le Coca Cola. Pour éviter l’hécatombe, il faudrait aussi mettre de côté les traditionnels abrazos (embrassades). Il y a un mois, le géographe amoureux du Mexique Alain Musset me soufflait que « si jamais le Mexique devenait l’épicentre mondial du coronavirus, on ne le saurait pas nécessairement ». Une telle tragédie n’augurerait rien de bon pour l’humanité. Le Mexique est un pays pétri d’authenticité, on y vénère les coutumes, les couleurs, la viande, les églises et les célébrations nationales; le Mexique est un monde à des années lumières de la société aseptisée que rêvent de nous imposer les végans ou autres purificateurs adeptes de plats Uber réchauffés.

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Nous pouvons être solidaires de cette grande nation à notre modeste mesure: boire de la Corona (avec une rondelle de citron et un peu de sel directement sur la langue c’est sans égal), cette victime collatérale du si mal nommé coronavirus. Voilà qui rétablirait la balance face au sinistre hold-up sémantique dont sont victimes nos amis mexicains. Quant à moi, je m’en vais écouter le splendide Huapango du compositeur Moncayo, orchestré par Alondra de la Parra !

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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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