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La leçon de Stuttgart


Gare de Stuttgart. Photo : Alex - 做可爱的上海人.

La nouvelle est passée totalement inaperçue, car elle ne s’inscrit pas dans l’air du temps, fort agité, il est vrai. Dimanche 27 novembre, le peuple du Land de Bade-Wurtemberg était appelé aux urnes pour se prononcer, par référendum, sur la poursuite ou l’arrêt des travaux de rénovation de la gare ferroviaire de Stuttgart. Le résultat a été sans appel : la poursuite des travaux a été approuvée par plus de 58% des votants, avec un taux de participation de près de 50% des électeurs, très élevé pour ce genre de consultation.
Ce résultat est d’autant plus remarquable qu’il survient moins d’un an après la victoire historique des Verts aux élections régionales du 27 mars 2011. Pour la première fois dans l’histoire de la République Fédérale d’Allemagne, un Vert, Winfried Kretschmann, devenait ministre-président d’un Land. Et pas n’importe lequel, puisque c’est celui qui abrite quelques-uns des plus beaux fleurons de l’industrie d’outre-Rhin, comme le siège et les usines Daimler-Benz. Ce succès des Verts (24,2%), qui dépassaient d’un petit point leurs alliés du SPD (23, 1%) avait été analysé, à l’époque, comme la résultante de deux facteurs : le traumatisme de l’accident nucléaire de Fukushima, qui venait de se produire et l’opposition résolue des écologistes à la rénovation de la gare, dit « projet S21 ».

Lancé à la fin des années 90, ce projet visait à adapter les infrastructures ferroviaires de Stuttgart, qui dataient du début des années 1920, au développement économique de la région. La vieille gare, construite par un grand architecte, Paul Bonatz, devait être en partie démolie : on n’en conservait que la partie centrale et la tour devenue emblématique de la ville. La nouvelle gare serait souterraine et rendrait possible l’accueil des TGV venus de France, ainsi que la mise en place d’une liaison directe vers l’aéroport.
Dès le début, les Verts du Bade-Wurtemberg, bien implantés dans les villes universitaires de Tübingen et Fribourg-en-Brisgau, ainsi que dans les quartiers « bobos » de Stuttgart, ont fait de ce projet le mal absolu. Crime architectural, contre la biodiversité (quelques arbres du parc du château voisin devaient être abattus), contre la santé publique (le percement des tunnels allait, selon eux, polluer à jamais la nappe phréatique) : la diabolisation de « S21 » allait bon train. Peu leur importait que cette nouvelle gare allait favoriser le développement des transports en commun, et alléger les embouteillages qui paralysent deux fois par jour les entrées et sorties de la ville : la raison verte ne s’embarrasse pas de ces basses considérations. La contestation prit même un tour violent avec plusieurs manifestations où les affrontements avec la police causèrent des dizaines de blessés de part et d’autre. Après plusieurs années de guérilla administrative, et une tentative d’arbitrage confiée à un ancien dirigeant de la CDU, Heiner Geissler, frappé sur le tard par la grâce écologiste, les travaux furent engagés au printemps 2010.

Les Verts ont cru leur heure de gloire arrivée avec l’accession de l’un des leurs à la tête de l’administration régionale, élu sur un programme dont l’arrêt de « S21 » était le point numéro un. Leurs alliés sociaux-démocrates étaient divisés sur le sujet, entre les « anciens » soucieux du développement économique du Land et du confort des salariés effectuant chaque jour le trajet domicile-travail, et les « modernes » faisant de la surenchère environnementale sur leurs partenaires écologistes. Pour mettre tout le monde d’accord, l’accord de coalition rouge-vert avait prévu que l’arrêt des travaux de la nouvelle gare serait soumis à référendum. Enivrés par leur victoire électorale, les Verts, confortés par une batterie de sondages effectués au cours de la controverse montrant une majorité d’opposants à S21, pensaient qu’ils allaient aisément surmonter l’obstacle référendaire.

Mais, comme les femmes, souvent peuple varie. L’on s’aperçut ainsi, dans les dernières semaines, que la crise économique et la défense de l’emploi prenaient le pas dans l’opinion sur la doxa écologiste. Mais il était trop tard pour reculer. Le 27 novembre au soir, Winfried Kretschmann ne pouvait faire autrement que de déclarer qu’il « acceptait » le verdict des urnes.
Cette affaire n’est pas passée totalement inaperçue de l’autre côté du Rhin, même si la presse n’en a pas fait état. Elle a conforté François Hollande dans une attitude de fermeté vis-à-vis des exigences programmatiques des Verts français, auxquels Martine Aubry, avant la primaire socialiste, avait tout cédé, ou presque.

Anne Lauvergeon, ancienne PDG d’Areva, et femme de gauche, a mis récemment au défi Dany Cohn-Bendit de soumettre la future politique nucléaire de la France à référendum. « Chiche ! » a répondu Dany, qui croit dur comme fer que le peuple français va, d’un cœur joyeux, mettre à bas l’édifice performant construit par la génération précédente. C’était juste avant « l’accident » Kretschmann, et il serait intéressant de savoir si, aujourd’hui, notre Dany serait aussi bravache…



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