Accueil Politique La « règle d’or », nouveau veau d’or ?

La « règle d’or », nouveau veau d’or ?


Selon l’humeur du moment, les prétendants socialistes vont être amenés à s’embrasser, s’ignorer ou s’insulter. Mais quoi qu’ils fassent, ils le feront avec les mains attachées dans le dos : ils sont tous, ou au moins les favoris, enserrés dans la nasse de la « règle d’or ». Pour être plus précis, disons que ce joli piège tendu par le Président de la République va leur serrer le kiki petit à petit jusqu’à les étouffer : c’est très affaibli que le vainqueur ou la vainqueure des primaires affrontera Sarkozy au premier tour. Quant au second…

Un piège ? Oui, un piège. Mais on peut plus banalement appeler ça « faire de la politique ». Et après quatre ans de guérilla niveau bac à sable, le Président s’est souvenu que, quand il faisait de la politique, eh bien ça marchait. C’est même comme ça qu’il est devenu Président. C’est donc peut-être en élevant le niveau qu’il pourrait le rester.

Reprenons le fil de la manœuvre : confronté aux risques de contagion monétaire venus du flanc sud de l’euro, Nicolas Sarkozy, tout fraîchement converti à l’orthodoxie budgétaire, annonce qu’il proposera avant la présidentielle l’inscription dans la Constitution d’une « règle d’or » qui limitera progressivement le déficit public à 3 % du PIB. À charge ensuite pour les élus du peuple de faire entrer les budgets dans ce moule à gâteau trop petit.[access capability= »lire_inedits »]

« On ne la votera pas mais on la respectera »

Et que font nos amis lapins socialistes, pris dans les phares du très orthodoxe Président ? Ils plongent tête baissée! Enfin, pire encore. Aubry et Hollande disent que, s’ils sont élus, ils respecteront cette règle bien plus scrupuleusement que la vilaine droite. Et qu’ils l’inscriront eux aussi dans le marbre, pas constitutionnel mais législatif. Car, expliquent-ils en substance, nous sommes sérieux, nous ne voulons pas que les agences de notation dégradent le « triple A » de la France et fassent plonger l’Europe dans une crise dont l’euro pourrait ne pas se remettre. Tout ça en refusant néanmoins de voter leur règle chérie maintenant, sous des prétextes assez bidons : Sarkozy a dégradé comme personne les comptes publics, il a mal géré la France, fait trop de cadeaux aux riches, trop de misères aux pauvres, etc, etc.

En clair, nos deux lurons (deux et demi en rajoutant Ségo) disent : on ne la votera pas, mais on la respectera. Bilan des opérations : ils sont bien sûr perdants sur les deux tableaux, mais ne l’ont pas encore bien compris. On va donc leur expliquer gentiment : entre gens de gauche, faut s’entraider.

Sur la forme, d’abord : dire qu’on est pour un truc et refuser de le voter, c’est passer pour des charlots. M’est avis qu’on ne se privera de leur rappeler cent douze fois par jour d’ici le premier tour. Sur le fond ensuite, donc sur la « règle d’or » : pourquoi diable se lier les mains à tout prix ? Au nom de Maastricht, de l’euro et du TCE, la France a déjà renoncé à toute politique monétaire en la confiant aux calculettes bizarres des Trichet boys. Fixer comme horizon indépassable les 3%, c’est renoncer définitivement à toute politique économique. Tout le monde est d’accord pour diminuer l’endettement de la France, donc baisser les dépenses et augmenter les recettes − tant qu’à faire, sans que ces deux plaies s’abattent sur les mêmes. Mais les socialistes, tout complexés par leur réputation de cigales, veulent se montrer plus raisonnables que la raison. Ou disons, plus présidentiables que le Président. Et tombent ainsi dans son piège à éléphants, pourtant gros comme un camion.

Pour l’instant, leur argumentation s’est résumée à deux points. Primo, nous n’avons pas de leçons à recevoir de la droite qui est aux affaires depuis dix ans sans avoir traité le problème. Secundo, nous allons gérer les finances publiques au mieux, en cessant de faire des cadeaux fiscaux à ceux qui n’en ont pas besoin. Tout cela est vrai. Le drame, c’est qu’ils ont bêtement oublié ce qui pouvait les différentier radicalement de Sarkozy, qui va lui aussi titiller un peu les grandes fortunes et les multinationales en vue du show électoral. Il manque un tertio : nous allons promouvoir l’activité, aider les entreprises qui créent de la croissance et de l’emploi au lieu de protéger la rente, et en finir avec l’obsession de l’euro fort et de l’inflation zéro de l’ami Trichet. Or, comme ce ne sont sans doute pas de basses pensées électorales qui les poussent à faire un pied de nez aux 53 % de nonistes de 2005, leur entêtement ne peut avoir qu’une seule explication : ils sont sincèrement convaincus qu’il n’y a pas d’autre politique possible, donc qu’ils sont coincés. C’est encore pire. (Je ne prétends pas avoir une solution clé en main, mais il me semble tout de même qu’il y a en circulation quelques idées qui nous permettraient de repartir sur de nouveaux rails en entraînant nos amis grecs, italiens, espagnols et autres).

Rassurer les marchés ? Mais ils ne veulent pas être rassurés

Ce tertio, on ne l’entendra pas des ténors du PS, précisément parce qu’il contrecarrerait la pierre angulaire de la « règle d’or » : il faut rassurer les marchés. Voilà la seule question qui obsède les politiques de droite (au pouvoir) et de gauche (qui en rêvent). Les marchés : cet animal sans tête qui a planté l’économie mondiale en 2008, via les banques et les folies de l’époque. Marchés et banques sauvés, partout dans le monde, par les pouvoirs publics et leurs zélés contribuables, et qui, de ce fait, ont survécu à leurs turpitudes. Et voilà que trois ans plus tard, ils profitent de leur santé retrouvée pour rançonner les États, à commencer par les plus faibles, mais les autres ne perdent rien pour attendre.

Personne de sensé, ni même de raisonnablement insensé comme votre serviteur, ne nie que l’économie de marché est le cadre dans lequel doit s’inscrire l’action publique. Encore faut-il qu’elle permette le financement et l’expansion des entreprises en leur offrant l’accès aux fonds des petits, moyens et gros porteurs. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, les marchés servent à tout, sauf à ça. Et on peut en dire autant ou presque des banques – lesquelles font d’ailleurs partie de ces marchés sans visage. Ce n’est pas pour rien qu’on a dû créer en France un poste de médiateur du crédit en France, soit un Monsieur chargé de tirer les oreilles des banques quand celles-ci ne veulent plus prêter aux entreprises qui ont besoin d’argent et les moyens de rembourser. Mais voilà, mieux vaut spéculer sur la dette grecque, belge ou française que financer l’expansion lente, et il est vrai non dénuée de risques, d’une PME de décolletage dans la vallée de l’Arve (véridique, demandez à Luc) ou d’une autre, spécialiste du textile médical dans celle de la Moselle (véridique encore, demandez à Muriel).

Le danger qui guette « les marchés » et l’économie du même nom aujourd’hui, ce ne sont pas quelques bolchos armés de fourches ou de slogans alters. Ce qui menace les marchés, ce sont bien sûr les marchés eux-mêmes. Leur voracité, mais aussi leur oubli de leur fonction sociale, on n’ose pas dire morale. Alors, à quoi bon les rassurer? Rien à cirer, ils ne veulent pas être rassurés. Ils veulent faire leur loi, faire de la politique, faire la politique. Des socialistes encore un peu socialistes devraient invoquer la légitime défense : quand les marchés font de la politique, il est légitime pour les politiques, émanation du peuple, de les contrôler, les réguler, les sanctionner.

Les socialistes devraient sortir des clous. C’est ça la politique. Quand ça va mal, on utilise les moyens publics pour protéger le plus fragiles, et aider mordicus tout ce qui peut relancer la machine (notamment les PME, vous savez ce machin qui embauche, tient les territoires hors de l’eau et paye plus de 30 % d’impôt sur les sociétés). Et on sort les brodequins pour ceux enfoncent délibérément le pays dans la crise.

On attend De Gaulle. On aura Pinay

Au lieu de quoi nous voilà face à deux têtes de gondole PS qui jouent les « chochottes », pour reprendre l’expression délicate de Cambadélis, et maternent à qui mieux mieux trois agences de notation. À défaut du Grand Soir, les électeurs attendent un de Gaulle ou un Kennedy. Ils devront choisir entre des Antoine Pinay au petit pied. Et ce tout petit manège de la « règle d’or » est un poison lent dont ils ne mesureront les effets que quand il sera trop tard.

Mettons-nous à la place d’un électeur raisonnablement de gauche, comme je pense l’être moi-même. Effrayé par l’hypothèse d’un « nouveau 21 avril » − à l’endroit −, il était en train de se résoudre à voter PS au premier tour, la mort dans l’âme, mais l’âme en paix. Il se contenterait de peu. Il suffirait qu’il puisse se dire qu’en matière économique, les socialistes pensent autre chose, cherchent autre chose et feront autre chose.

Mais s’il s’agit de rassurer les marchés, mon électeur socialiste commence à gamberger. Je serais lui, tant qu’à faire, au premier tour je voterais pour mes idées, ou pour n’importe qui ait l’air de penser que l’impuissance n’est pas une fatalité. Genre Mélenchon ou même, pourquoi ne pas envoyer un message encore plus clair, Philippe Poutou. Voire François Bayrou qui affiche en slogan de campagne un très rock n’roll « Produire et instruire », sans payer un sou de droits d’auteur à Élisabeth Lévy et à la Fondation du 2 Mars…

En attendant, le PS est dans la nasse qu’il a contribué à tisser. Il croit qu’il va perdre s’il ose remettre en cause le dogme de la « règle d’or ». Or, il perdra au contraire parce qu’il aura accepté de s’y conformer. Bien fait pour lui. Tant pis pour nous…[/access]

Septembre 2011 . N°39

Article extrait du Magazine Causeur



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