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Il faut respecter le scrutin minoritaire !


Il faut respecter le scrutin minoritaire !
Nicolas Sarkozy retente le coup de François Mitterrand.
Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy retente le coup de François Mitterrand.

Parmi toutes les démocraties dignes de ce nom, la France se caractérise par une certaine versatilité dans l’utilisation des modes de scrutin. Les détenteurs du pouvoir sont souvent tentés d’instrumentaliser les règles du jeu électoral à leur profit, en choisissant le système le plus apte à leur faire gagner les élections.

C’est humain à défaut d’être moral. Ce n’est pas le cas dans les démocraties comparables, où l’on constate une pérennité remarquable du mode d’élection des parlementaires et des pouvoirs locaux.

[access capability= »lire_inedits »]Deux grandes familles de modes de scrutin sont utilisées : le scrutin uninominal de circonscription, où un territoire choisit son député, et le scrutin proportionnel, où les représentants du peuple à l’Assemblée nationale (ou Chambre basse) se présentent sur des listes établies par les partis politiques et obtiennent des sièges en fonction du nombre de suffrages obtenus dans une circonscription électorale (région, province ou département selon les cas). On épargnera au lecteur l’exposé des subtilités des modes de calcul des résultats (au plus fort reste ou à la plus forte moyenne) qui font les délices des professeurs de droit constitutionnel de nos universités et la désolation de leurs étudiants mis, par exemple, au défi d’exposer la règle d’Hondt qui préside à la répartition des sièges au Bundestag…

En France, la IVe République avait choisi la proportionnelle avec des listes départementales, et un correctif : une liste obtenant plus de 50 % des voix dans un département raflait tous les sièges. Déjà, à l’époque, les partis de gouvernement (SFIO, MRP, Radicaux, UDSR) avaient bidouillé le système en instaurant les « apparentements », qui permettaient de présenter des listes autonomes mais de faire carton plein si les listes « apparentées » obtenaient au total la majorité absolue. Cela désavantageait les communistes et les gaullistes, avec qui personne ne voulait faire équipe…

En 1958, pour mettre fin au « régime des partis », Charles de Gaulle instaure, dans la Constitution de la Ve République, le scrutin uninominal à deux tours, plus propre à assurer une majorité stable et à éviter l’instabilité gouvernementale. Avec l’élection du président de la République au suffrage universel, à partir de 1965, et le droit de dissolution de l’Assemblée nationale par le chef de l’Etat, ce mode de scrutin assurait des majorités quasi-automatiques au président élu. Par deux fois, en 1981 et 1988, François Mitterrand avait dissous l’Assemblée dans la foulée de son élection et obtenu une majorité de gauche, avec le mode de scrutin instauré par de Gaulle. Mais entre-temps, en 1986, sentant venir la raclée pour les socialistes aux législatives, il avait décidé de changer la règle du jeu : il fit voter par la majorité le retour au scrutin proportionnel, à la grande fureur de la droite qui voyait là, à juste titre, une arnaque pour tenter de la priver de sa victoire annoncée. Tonton, patelin, expliquait alors qu’il n’était pas mauvais pour la démocratie de changer « de temps en temps de mode de scrutin ». La droite remporta tout de même les élections, mais le PS et ses alliés obtinrent quand même plus de 200 sièges, alors que l’autre mode de scrutin les aurait laminés. Plus grave pour la droite, le Front national, alors en pleine ascension, envoyait une cinquantaine de députés au Palais-Bourbon, qui allaient pourrir la vie du premier ministre, Jacques Chirac, et contribuer à sa défaite à l’élection présidentielle de 1988. Du grand Mitterrand !

Ce coup-là est resté dans la mémoire de Nicolas Sarkozy, qui s’en est souvenu lorsqu’il s’est posé la question de trouver un moyen de déboulonner la gauche des bastions locaux et régionaux qu’elle détient : plus de la moitié des départements, et 20 régions sur 22. Ayant déjà fait une croix sur les régionales de mars 2010, qui ne devraient pas être un succès pour l’UMP, il vise 2014 et la refonte de l’organisation territoriale de la France, avec la fusion des départements et des régions et l’élection de conseillers territoriaux siégeant dans les deux assemblées. Dans le projet de loi en discussion, il est prévu que 80 % de ces conseillers territoriaux seraient élus au scrutin uninominal à un tour dans des circonscriptions remodelées, les 20 % restant à la proportionnelle. Cela signifie, par exemple, qu’un candidat UMP arrivé en tête avec 30 % des voix dans une circonscription serait élu. Ce système, utilisé depuis des temps immémoriaux au Royaume-Uni, favorise bien entendu le camp qui est le moins morcelé et conduit, par son caractère implacable, à un bipartisme de raison sinon de cœur. L’état actuel de l’opposition rend bien improbable le grand rassemblement des gauches, des écologistes et du centre qui lui permettrait de prendre Sarkozy à son propre piège. Et en prime, cela pourrait garantir la majorité de droite au Sénat, menacée par la progression de la gauche aux élections locales.

Il y aurait bien, pourtant, une solution qui permettrait de mettre un terme à ces coups de vice électoraux : imposer une majorité des 3/5e du Congrès (réunion de la Chambre des députés et du Sénat) pour toute modification de mode de scrutin, national ou local. C’est bizarre, personne n’y a pensé…[/access]

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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