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Hollande l’inattendu


Hollande l’inattendu

Laurent Binet a écrit sur la campagne de François Hollande

On parle beaucoup du dernier livre de Laurent Binet, Rien ne se passe comme prévu, consacré à la campagne de François Hollande. On peut même penser que s’il n’y avait pas eu l’affaire Millet, on n’aurait parlé que de ce livre, ou presque. Seulement, rien ne se passe comme prévu dans une rentrée littéraire, sauf l’habituel Yalta pour les prix littéraires entre les mêmes grandes puissances depuis des décennies. Si on parle malgré tout du livre de Laurent Binet, c’est qu’il était programmé pour être un succès. L’éditeur avait fait monter la pression en distillant des bonnes feuilles au compte-goutte et des rumeurs diverses pour alimenter la machine. Pourtant, ce livre vaut mieux que son buzz…

Rien ne se passe comme prévu est une réplique, à tous les sens du terme y compris sismique, cinq ans après, à Yasmina Reza qui avait suivi la campagne de Sarkozy dans L’aube le soir ou la nuit. L’idée qu’un écrivain s’empare du politique est toujours une bonne idée. Raconter la politique est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux politologues. Et puis à l’époque du « Tous pourris !» et de l’abstention grandissante, d’une manière ou d’une autre, ce genre de livre a au moins le mérite d’en parler.
Laurent Binet avait déjà été remarqué pour un premier roman HHhH, qui racontait l’attentat contre Heydrich à Prague en 1942. Là aussi, rien ne s’était passé comme prévu même si l’affaire au bout du compte avait réussi. C’est peut-être cela qui a intéressé Binet dans Hollande et qui l’a intéressé en tant qu’écrivain, parce que c’est une assez bonne définition du roman : une victoire inattendue, non pas parce qu’elle était impossible mais parce qu’elle a suivi des détours surprenants et qu’elle est le fruit de nombreux hasards. Objectivement, que l’on soit heureux ou pas de l’élection de François Hollande, qui avait imaginé un tel scénario ? Certainement pas les amis écrivains de Laurent Binet qui cite en exergue un extrait de chat avec Chloé Delaume, datant de mai 2011 sans qu’il soit précisé si c’était avant ou après l’affaire du Sofitel :
« Laurent : Au fait, simple curiosité, tu crois que Hollande a une chance en en 2012 ?
Chloé : HAHAHAHAHAHA. »

D’ailleurs, Binet lui-même n’y croit pas forcément non plus, au moment où il commence son livre, en juin 2011. Hollande n’est pas sûr de gagner les primaires, et donc encore moins les présidentielles à venir. L’éditeur trouve en plus que c’est une idée moyenne. Et la référence à Yasmina Reza le poursuit : « J’ai trouvé qu’elle avait gardé dans son livre une distance de bon aloi. Je sais déjà que je ne serai pas capable d’une telle distance. »
Et pour cause, Laurent Binet est de gauche et l’assume. Plutôt plus à gauche que Hollande, même. A ce titre, son livre est assez révélateur de la psychologie de cet électorat potentiellement mélenchoniste qui va hésiter toute la campagne entre le réalisme pour battre Sarkozy en votant Hollande et l’envie d’affirmer des convictions en choisissant le candidat de l’illusion lyrique aurait dit Malraux dans L’Espoir, sachant que pour Malraux, contrairement à nos contemporains, ni illusion, ni lyrique n’étaient des gros mots. Finalement, le réalisme l’emportera dans les dernières semaines, ce qui explique que Mélenchon s’est retrouvé à 11% et non à 14% le soir du premier tour.
Laurent Binet, ancien prof de ZEP, avait lui aussi des envies de renverser la table, pas seulement de changer le couvert. Mais voilà, sa proximité avec Hollande pour les besoins du récit, comme il le reconnaît lui-même, va susciter le fameux « syndrome de Stockholm ». Cela n’empêche pas la lucidité et une analyse assez fine du personnage Hollande en meeting, toujours un peu faible, hésitant au début et finissant de manière beaucoup plus prenante. On voit aussi que la jovialité du personnage est aussi et surtout une forme d’auto-ironie discrète, celle d’un homme parfaitement conscient de ses limites, ce que n’était pas Sarkozy, son adversaire direct. Hollande est également, dans ce qu’en dit Laurent Binet, dans une forme de distance permanente avec lui-même et les autres. Il ne s’agit pas de froideur mais plutôt d’un exercice méthodique qui permet le recul, d’une diététique mentale pour résister aux caricatures les plus cruelles dont il est victime et les laisser glisser sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Même Valérie Trierweiler, qui est la principale alliée de Binet dans son projet littéraire, confie qu’elle n’est pas certaine de savoir qui il est au juste.

Binet en fait l’expérience : Hollande le tient à l’écart, assez souvent, poliment mais efficacement. Qu’importe, il en profite pour dresser des portraits de l’équipe de campagne tout à fait plaisants, que ce soit Valls et Moscovici en compétition discrète ou encore du moins connu mais fascinant Aquilino Morelle. Il y a dans Rien ne se passe comme prévu de nombreux verbatim mais ils sont agencés et dosés avec intelligence. Il est davantage question pour Binet de restituer des voix, des intonations, des attitudes que de livrer des scoops. Inutile d’en chercher dans le livre, non par une quelconque autocensure, Binet ne nous épargnant rien de ses doutes, de ses agacements ou de ses enthousiasmes, mais plutôt parce que son projet est ailleurs. C’est un écrivain qui nous raconte un roman vrai dont tout le monde connaît les principaux épisodes et la fin, la victoire aux primaires, le Bourget, le débat télévisé mais un roman vrai qui n’a été perçu qu’au travers d’un prisme journalistique.

La différence entre le livre de Binet et celui d’un journaliste sur le même sujet, me demanderez-vous ? C’est Binet qui vous donne lui-même la réponse, à la date du 27 janvier, à propos des journalistes parlant de Hollande après le Bourget : « Et sinon le prochain qui dit qu’il a fendu l’armure, je lui fends la gueule. Parce que la jouissance bornée du journaliste qui répète pour la millième fois la dernière expression à la mode, ça va bien. »
Comme quoi, même en suivant un personnage aussi peu romanesque que Hollande qui d’ailleurs ne lit pas de romans, Binet sait redonner ses droits à la littérature.

Rien ne se passe comme prévu, Laurent Binet (Grasset)

*Photo : Parti socialiste.



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