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Le décès d’un président de Ligue 1 peut en cacher un autre

François Yvinec, président du Brest Armorique de 1981 à 1991, est décédé


Le décès d’un président de Ligue 1 peut en cacher un autre
François Yvinec, ancien président du football club de Brest, photographié à Rennes en 1999 © VALERY HACHE / AFP

François Yvinec, figure du football brestois, est mort le 4 novembre


Décidé à rattraper quelques jours d’actualité footballistique, je fis mercredi midi un petit tour des podcasts de l’After foot, excellente émission de RMC. Mon club de cœur, Rennes venait d’infliger une raclée à Lyon (4-1) et j’étais curieux de savoir ce qu’en avaient pensé Daniel Riolo et sa bande. En parcourant les sujets, un titre m’interpelle : « les histoires de la présidence Yvinec ». Plus friand encore de passé que de nouvelles fraîches, je lance donc la lecture ; je comprends dès les premières secondes que François Yvinec, 89 ans, président du Stade brestois (qu’il avait renommé Brest Armorique) de 1981 à 1991, était décédé cinq jours plus tôt, information à côté de laquelle j’étais passé.

Qui sera le meilleur pâtissier ?

Quelques semaines après la mort de Bernard Tapie, c’est un autre président mythique du football français des années 1980 qui s’éteint. Si Yvinec n’a pas placé son club aussi haut que le bouillant dirigeant de Marseille, s’il n’a pas eu l’honneur des ors de la République, ses années à la tête du club finistérien auront laissé un souvenir de démesure, de faste… et de cataclysme final qui n’est sans rappeler l’OM de la même époque. Bien avant que le Qatar ne prenne en main des clubs pour s’acheter une image internationale, c’était l’époque des hommes d’affaires locaux, truculents et mégalos, qui avaient le mérite de mettre au pot leur propre argent, quitte à y perdre quelques plumes. Louis Nicollin à Montpellier, Claude Bez à Bordeaux et donc Yvinec à Brest. C’était alors le tableau d’une France pittoresque des terroirs, prête à s’écharper pour un penalty refusé. Des personnages qui n’étaient pas totalement sans rappeler Sivardière, joué par Jean Bouise dans Coup de tête (1979), président un brin paternaliste et cynique du club fictif de Trincamp.

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François Yvinec fut même en quelque sorte le précurseur de ces condottières ambitieux et gouailleurs. Fils de boulanger du pays léonard, il est à la tête d’une entreprise de pâtisseries industrielles. Dans le même temps, le Stade brestois était au bord du gouffre financier. Yvinec s’engage, comble le trou et fait remonter le club en première division. Ce fut le départ d’une décennie un peu folle, durant laquelle les Finistériens ne firent jamais mieux qu’une huitième place au classement final, malgré les noms passés : par exemple, Bernard Lama, Patrick Colleter, Paul Le Guen, Vincent Guérin et David Ginola, qui constituèrent tous les cinq l’ossature du PSG quelques années plus tard. De quoi inspirer une mélancolique litanie au chanteur du coin, Christophe Miossec [1]. Au milieu des années 1980, le projet brestois reçoit l’appui de Michel-Edouard Leclerc et enregistre les venues de stars sud-américaines : l’Argentin José Luis Brown, champion du monde quelques semaines plus tôt, et le Brésilien Julio César, passé ensuite par la Juventus et le Borussia Dortmund. En plus de la promesse de salaires confortables, le club s’assurait la signature de ces joueurs par un passage chez le concessionnaire du coin. Pour l’Argentin, ça sera une 205. Pour le Brésilien, un peu plus gourmand, ça sera une Mercedes.

Négociations avec le cartel de Cali

Mais le transfert le plus rocambolesque fut celui de Ricardo Cabañas, attaquant paraguayen qui évoluait alors en Colombie. En novembre 1987, le président breton se rend lui-même sur place, dans le pays à l’époque le plus dangereux du monde. C’est le début d’un périple de six semaines. Dans le pays de l’Eldorado où plus d’un aventurier s’était hasardé à la recherche de pépites d’or, Yvinec se retrouve à négocier avec les frères Rodriguez, fondateurs du cartel de Cali et patrons informels de l’America, club de la ville et du joueur. Yvinec obtient la signature de celui-ci, avance 350 000 dollars mais les Colombiens tardent à le lâcher. Plus ou moins conscient du pedigree de ses interlocuteurs, Yvinec n’est pas totalement impressionné par les pistolets accrochés à leurs ceintures [2] et est bien décidé à ramener son joueur en Bretagne. Pour une histoire de mauvaise signature dans le contrat, les narcotrafiquants portent plainte contre le Breton, qui se retrouve assigné à résidence par une justice locale de mèche, le passeport confisqué. Sous écoute, Yvinec échange avec les siens au téléphone en breton. Même Jacques Chirac, maire de Paris, s’en mêle et menace de suspendre les cyclistes colombiens du prochain Tour de France… Finalement, Yvinec se fait la malle clandestinement, imperméable bleu et lunettes de soleil sur le nez à l’aéroport de Bogota, quelques jours avant Noël ; il retrouve Cabañas à Caracas avant d’atteindre Brest.

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Passage par la case prison

L’aventure, comme pour Tapie, comme pour Bez, se termina mal. Venu pour combler un déficit de 3 millions de francs, Yvinec en repart en 1991 avec un trou de 150 000 millions. Lâché par Leclerc, en froid avec son entraîneur Raymond Keruzoré soupçonné d’ourdir un complot maoïste contre lui (« Ce sont les Renseignements généraux qui m’ont prévenu. Raymond manœuvrait en douce au sein du club, à sa manière, selon des orientations qui tenaient davantage de convictions politiques que de choses du football. On m’a confirmé qu’à peine arrivé, Keruzoré s’était promis de “faire sauter Yvinec”. Ce sont des gens de gauche, des adjoints à la mairie qui me l’ont dit » confiait-il à So foot en 2009), il a aussi été approché par un financier louche, Ahmed Chaker [3]. Comme pour Tapie, comme pour Bez, le club sera rétrogradé dans les divisions inférieures, rattrapé par le gendarme financier du football français (institution inventée presque spécialement pour lui). Yvinec fera même passage de 51 jours par la case prison pour « complicité de banqueroute ».

Cependant, point de trace d’enrichissement personnel ; le président breton hypothéqua même sa maison pour payer les salaires des joueurs. Ce fut la fin de l’âge d’or brestois et depuis, le soleil se lève un peu plus à l’Est en Bretagne, à Rennes, où Pinault, avec des reins plus solides, fait vivre depuis vingt ans le grand bonheur à ses supporters, surtout dimanche soir dernier. D’ailleurs, je n’ai toujours pas écouté le podcast de RMC.


[1] https://www.youtube.com/watch?v=kR3nDiWJsUY

[2] https://www.lequipe.fr/Football/Article/Le-breton-le-cartel-et-le-buteur-l-histoire-du-transfert-de-roberto-cabanas-a-brest/767133

[3] https://www.letelegramme.fr/ar/viewarticle1024.php?aaaammjj=20020518&article=4430079&type=ar



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