Et le féminisme créa la pouffiasse


Et le féminisme créa la pouffiasse

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On serait tenté d’y voir un signe des temps et peut-être même leur allégorie morale : viré du conseil d’administration de la marque American Apparel, qu’il avait créée en 1998, Dov Charney a été remplacé par une femme, Paula Schneider, désignée pour mettre en place avant toute autre chose une politique anti-macho au sein de la florissante entreprise. En effet, ce ne sont pas de mauvais résultats qu’on reprochait à Charney. L’enseigne californienne qui a fait, sous l’instigation de son fondateur, le pari fou de fabriquer des vêtements exclusivement aux États-Unis, peut se targuer d’une réussite brillante. Des magasins implantés dans plus de 20 pays, 10 000 salariés qui bénéficient d’une quantité de privilèges et de droits, y compris celui de ne pas apprécier les obsessions libidinales du patron.

Accusé de harcèlement par ses employées, Dov Charney a connu le même sort que son proche collaborateur, le sulfureux photographe Terry Richardson. Que ces soupçons soient ou non fondés, nous ne connaîtrons probablement jamais la nature exacte des excès dont aurait été coupable Charney, l’affaire ayant été réglée en interne. Quant à Richardson, digne héritier de la tendance porno-chic apparue dans les années 1970 avec le film Deep Throat de Gerard Damiano, il a été remercié de ses services par l’édition américaine de Vogue après qu’une jeune mannequin se fut plainte d’être victime d’un « chantage sexuel » de sa part. Chantage sexuel ? Ne s’agissait-il pas, plus simplement, de ce qu’on appelait dans un passé pas si lointain la « promotion canapé », échange de services entre deux parties consentantes à ce négoce ?[access capability= »lire_inedits »] Au péril d’une lapidation sur la place publique, on rappellera que nombre de femmes en ont profité pour propulser leurs carrières. Et si certaines regrettent peut-être d’avoir cédé à leurs pulsions arrivistes ou aux pressions de leur entourage masculin, d’autres doivent se mordre les doigts de ne pas avoir su y recourir.

Reste que Terry Richardson n’est pas sorti de l’auberge. Croyant mieux s’en tirer dans une France amoureuse des libertés plutôt qu’en Amérique puritaine, il a déshabillé Virginie Ledoyen pour le numéro d’avril du magazine Lui. Si l’actrice a apprécié ce photographe « un peu tatoué mais très respectueux », les associations de défense des animaux n’ont pas raté le coche. Et pour cause. Que voit-on entre les cuisses écartées de la comédienne ? Un chat tenu par le cou ! Imaginons le tollé si le félin « maltraité » avait été une femelle, autrement dit une chatte…

La mode serait-elle en proie à la morale rigoriste réactivée par certaines féministes ? Olivier Lalanne, le rédacteur en chef de Vogue Homme, nuance la réponse. Certes, la photo d’une femme à quatre pattes sous une selle de cheval, même signée Hermès, comme le fameux cliché réalisé par Helmut Newton en 1976, ne passerait plus. En 2012, Vogue Homme a été littéralement bombardé de courriers d’associations féministes, déterminées à faire interdire la couverture du numéro automne-hiver. On y voyait en arrière-plan le sex-symbol brésilien Marlon Teixeira, serrant dans une étreinte passionnée la gorge de Stephanie Seymour. Scandale. Abjection. Incitation à la violence domestique. Quelques années plus tôt, Anna Wintour, diablesse habillée en Prada et rédactrice en chef du Vogue américain, s’était fait taper sur les doigts par les associations antiracistes à cause d’images du basketteur noir James LeBron, jugées « sauvages » et porteuses de stéréotypes sur les hommes de couleur. On y voyait la star de la NBA dans une pose à la King Kong avec la top Gisele Bündchen accrochée à son bras athlétique.

C’est hélas difficilement contestable : l’audace, le sens de l’humour, le détournement ludique des tabous, l’esprit de subversion érotique sont condamnés. La peur de porter atteinte à l’image de la femme, d’une part, et, de l’autre, la crainte d’offenser les minorités ethniques, religieuses, voire alimentaires, finiront par calmer tous les as de la provoc. « Je considère que c’est bien de choquer les gens avec des images, assène pourtant Terry Richardson. Les réactions enflammées relèvent plus de la perception qu’on a de l’image que de l’image elle-même. Le vrai filtre, en fait, c’est le degré d’éducation et de sophistication. »

Les féministes n’ont pas tort – une fois n’est pas coutume – quand elles observent que l’image publicitaire d’un pubis féminin à la toison taillée en forme de lettre « G » et dont l’objectif affiché est de multiplier les ventes d’accessoires de la marque Gucci est quelque peu primaire. « Une fois que tu en es là, que trouveras-tu encore pour choquer ? », demande Olivier Lalanne. On ne saurait écarter d’emblée l’idée que les femmes ont été manipulées par l’industrie de la mode.

Sans remonter à Jean Patou et ses mannequins des années folles coiffées à la garçonne, il faut aussi rappeler le formidable coup de pouce d’Yves Saint Laurent aux élégantes décidées à jouir de leur vie comme les hommes. Ainsi le smoking a-t-il cessé d’être l’attribut de la masculinité triomphante pour devenir une promesse d’égalité des sexes. À la même époque, les femmes newtoniennes, loin d’accepter le statut de proies des désirs masculins – cette fois les féministes n’ont rien compris – usent et abusent de leur pouvoir de séduction. Newton vend de la joaillerie de prestige avec les photos carnassières de leurs griffes manucurées déchiquetant un poulet rôti. Carine Roitfeld, reine de la vulgarité ultra-stylée, a tenté le même coup vingt ans plus tard, en parant des fillettes de 10 ans de bijoux Cartier. Mais, en 2010, les femmes avaient eu le temps de comprendre qu’on essayait de les rouler dans la farine.

La vague du porno-chic a déferlé sur papier glacé, puis reflué, laissant derrière elle le legs d’une transgression captivante sur le plan esthétique mais douteuse quant à son message. Les marchands de fringues ont remplacé les créateurs. Une paire de seins nus n’est plus un message de libération ou de révolte, mais l’ornement banal d’un objet plus ou moins banal lui aussi.

Les féministes feraient mieux, alors, de réfléchir à deux fois avant de tirer sur Karl, dézinguant au passage l’esprit de frivolité et la moindre manifestation de créativité, qu’elle soit de mauvais ou de bon goût. À l’ère d’Instagram, les ateliers de couture se vident, les rédactions des magazines de mode délocalisent vers les appartements privés. Comme disait Cocteau, « il n’y a plus personne dans la salle parce que tout le monde est sur la scène ». Admettons – avec beaucoup de bonne volonté – que l’indignation soulevée par la campagne publicitaire « Back to school » d’American Apparel relève d’une saine colère. Laisser voir les petites culottes sous les minijupes écossaises des écolières, alors que des pulsions pédophiles sommeillent en chaque mâle, s’apparente à du proxénétisme aggravé. Bien sûr, on ignorera le second degré et la référence explicite à la Lolita de Nabokov – les enfants sont victimes par définition. Mais que dire des filles qui publient sur la Toile des photos d’elles sous la douche – ou de leur ex en pleine action ? Victimes elles aussi de la domination masculine ?

Ce n’est pas l’industrie de la mode qui a fabriqué Kim Kardashian, pas plus qu’elle n’a contribué à sexualiser davantage son corps de déesse de la fertilité néolithique, c’est l’époque, c’est-à-dire vous et moi. Venue de la téléréalité, la Kim s’est faite toute seule et à partir de rien, sinon de son intuition prophétique qui lui a permis de ressentir avant les autres le vide ontologique de notre époque et de s’assoir dessus. Et voilà que, sur fond de sermons féministes, les fesses proéminentes de Kim Kardashian représentent l’horizon indépassable de la femme. La pétasse a gagné, rendant caduques, au moment même où elles se produisent, les victoires du féminisme punitif. Dans un récent numéro de Elle, autrefois titre-phare des femmes émancipées, on lisait : « Même si Kim ne nous ressemble pas vraiment, et même si on n’a pas forcément envie de ressembler à Kim, on l’envisage, ici à Elle, comme ce magazine a toujours envisagé son époque : avec tendresse, pertinence, complicité. Et sans jugement aucun. » La messe est dite. Pendant ce temps, la chasse aux salauds de machos continue.[/access]

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*Photo : RMV/REX Shutterstock (4898054bd)

Juillet-Aout 2015 #26

Article extrait du Magazine Causeur



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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