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Faut-il rester dans la norme ?


Cela m’a toujours étonné que dans les circonstances qui sont les nôtres, on souhaite passer pour « normal » et pire, qu’on en fasse même une vertu. L’humilité est certes une vertu, mais la « normalité », avec ce que cela recouvre aujourd’hui, me paraît presque une insulte à la dignité humaine.

Autrefois, je ne dis pas, l’idée de norme avait un autre lustre, mais justement, personne n’osait directement s’en prévaloir. Pour les platoniciens, par exemple, la norme, c’est l’idée archétypale dont nous ne percevons ici-bas que l’écho dégradé. Pour les chrétiens, la norme, c’est le Christ : le « prototype humano-divin ». Pour les premiers comme pour les seconds, , la norme représente donc ce à quoi nous devons tendre et en deçà de quoi nous demeurerons toujours. La norme vient d’en haut, elle est créatrice de tension, elle déploie au plus vaste les potentialités de celui qui s’y rattache avec suffisamment d’ardeur.

Mais la conception contemporaine diverge radicalement de cela. Depuis l’âge de fer du matérialisme petit-bourgeois, la « norme », c’est la moyenne statistique, la médiocrité commune, ce dont il vaut mieux ne pas trop décoller. Cette résignation au pire des « fatum » qu’est l’inertie des masses n’est vraiment pas ce que l’on peut appeler un exemple.

A tout le moins, ce ne me semble pas une attitude à défendre ou à encourager, et encore moins au sommet de l’État où l’on aurait plus que jamais la nécessité de personnalités d’exception, lesquelles, il est vrai, n’apparaissent guère en tête des listes des partis. Pataud et rondouillard, victime de castratrices, profitant de la chute du mâle alpha Strauss-Kahn, monsieur Hollande ne pouvait pas décemment s’annoncer héroïque et providentiel pour convaincre les électeurs de le nommer monsieur France.

Mais le voilà maintenant guindé dans son costume présidentiel comme un enfant dans une panoplie neuve, presque touchant, d’ailleurs, avec sa bonne volonté d’élève appliqué qui tire la langue sur le décalque de la silhouette de Mitterrand, cette machiavélique ordure… Pour être juste, il faut bien sûr rappeler que son prédécesseur avait lui aussi les airs d’un gamin étrangement attifé, incapable de s’empêcher de faire le pitre sur l’estrade, tant il semblait ne pas en revenir d’avoir enfin décroché le pompon…

Bref, au stade où nous en sommes, il serait temps de reprendre enfin de la hauteur. Mon vieil ami Antoine m’exposait justement il y a quelques jours, dans le jardin de sa maison à flanc de montagnes, comment il était parvenu à en prendre, lui, de la hauteur, et physiquement. Or, c’est une clé essentielle que de repartir de l’expérience physique. Et Antoine, comme il revenait d’un stage de parapente, me parlait course, courants ascensionnels, aile gonflée se verticalisant, esquive des reliefs, sublime apesanteur… Une véritable praxis existentielle, en somme, à laquelle on pouvait s’adonner en franchissant les falaises.

Voilà un excellent moyen, songeai-je en revenant de chez lui, conduisant sur une nationale au trafic dense, pour retrouver l’idée d’une norme supérieure. Un parapentiste planait justementà cinquante mètres. Je ralentis. Retrouver l’idée d’une norme qui, comme lui vienne d’en haut. Il tournait au-dessus d’un champ étroit qu’encadraient une culture de maïs, un bois et la bande de bitume de la route. Nous étions nombreux à l’emprunter, cette route, pilotant nos véhicules en cette fin d’après-midi estivale. Oui, nous étions très nombreux et lui était seul, harnaché à son aile, le corps directement exposé, à dix mètres du sol. Lui était seul, mais c’était lui et non moi ou un autre, à cette heure, c’était lui, quoiqu’il fut seul, l’homme archétypal, la norme à viser, requis par l’une des seules occupations qui vaillent : rivaliser avec les aigles.

« Enfin un homme normal », me dis-je en passant devant lui, au moment même où il posait ses pieds au sol devant le défilé incessant des voitures, la toile de 25m2 d’envergure s’effondrant froissée derrière lui ; lui debout, droit, seul devant le défilé incessant des voitures, son casque étincelant au soleil.

*Photo : Parti socialiste



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est journaliste littéraire et co-animateur du Cercle Cosaque

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