Le Christ s’est arrêté à Passy


Le Christ s’est arrêté à Passy

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Rue de l’Assomption, dans le XVIe arrondissement de Paris, le soleil brûlant écrase tout humain non affalé sur les pelouses ou les quais de la capitale. Avançant vers cette « lumière lointaine », Jean, l’un des responsables de l’EVEN (Ecole du Verbe éternel et nouveau) à la paroisse de Notre-Dame-de-Grâce de Passy, raconte, goguenard, comment il a encore écrit aujourd’hui au père Luc pour « une crise de foi ». « J’ai encore eu un doute, mais seulement pendant deux minutes. Il faut dire, j’avais lu Nietzsche. » Jean sort son portable. Le visage de Léon Bloy s’affiche en même temps qu’un SMS du père Luc. « Il nous attend d’ailleurs. » Après être passés devant un couple béat devant ses nourrissons tétant des biberons, nous rencontrons ce jeune père Luc, d’une trentaine d’années, dont le regard ne se capte pas facilement, qui a fondé l’EVEN pour cette paroisse, il y a quatre ans. « L’EVEN a démarré de l’église de Saint-Germain-des-Prés pour préparer les jeunes aux JMJ de 2006. L’Église constatait que la formation théologique de nos parents avait été presque inexistante, et celle de notre génération pas meilleure. L’EVEN s’adresse à la nouvelle génération en conjuguant trois piliers : la prière, la communauté et la raison.[access capability= »lire_inedits »] La raison, car saint Paul a dit : “Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous.” Pour cela, les fidèles doivent connaître et comprendre la théologie de l’Église. Démarche concluante, puisque nous comptons 2 000 participants répartis sur 16 paroisses à Paris, 14 en dehors, et même une mission en Chine depuis cette année. »

L’EVEN organise des cycles de deux ans durant lesquels, une fois par semaine, les jeunes se réunissent pour prier, puis pour discuter en petits groupes les thèmes qui leur ont été communiqués, accompagnés de textes évangéliques, théologiques ou littéraires. Le programme, conçu de façon très didactique, commence par un bloc sur l’esprit humain, puis enchaîne sur la révélation de Dieu, la constitution de la religion, les actes qui permettent l’expression de la foi dans la vie, pour se conclure sur les péchés. La deuxième année est consacrée à étudier les grandes figures de l’Église ainsi que l’eschatologie.

Ce jour-là, la question qui occupe cette studieuse assemblée est la confession.

Embrassades, chahut discret, les 150 evenistes de Notre-Dame-de-Grâce de Passy, qui semblent majoritairement âgés de 20 à 25 ans, prennent place pour la prière. Bien habillés – on a envie de dire « distingués ». À l’exception d’un dandy à moustache torsadée et pantalon rouge, aucune excentricité à signaler ici. Le père Luc conseille à l’auditoire de montrer la joie qui habite les croyants – peut-être à notre intention surtout – et rappelle que croire ne suffit pas : il faut comprendre. À l’appui de cette proposition, il cite cette phrase des Évangiles : « Vous, les païens, êtes inexcusables, car vous n’avez pas reconnu l’artisan en voyant l’œuvre. » Il faut reconnaître qu’une petite explication de texte n’est pas superflue…

La prière débute dans un soulèvement de voix qui chantent étonnamment juste, révélant une pratique régulière. Le père Luc prie pour les frères d’Orient persécutés, et aussi pour leurs persécuteurs. Puis les groupes s’organisent pour la discussion, qui démarre après la lecture des quatre textes du jour. « Comment le Christ guérit-il le corps tout entier de l’homme par le pardon ? » Les plus hardis se lancent, sans se soucier de l’orthodoxie de leurs réponses. L’un parle de somatisation, l’autre fait appel à la pensée orientale. Ici, la réflexion s’émancipe de la parole de la famille et de l’Église, qui peut être discutée et contredite avec liberté.

Le pot, qui se prolonge jusqu’à minuit, est l’occasion de les questionner sur leurs motivations. Ce que cherchent la plupart dans la discussion et dans l’étude des textes qui fondent leur tradition, c’est une vérité supérieure délivrée des convenances et des routines. Certains n’ont reçu aucune éducation religieuse, comme cette jeune fille de 20 ans qui veut comprendre le discours de l’Église. « Chez moi, on n’a jamais considéré le mariage gay ou l’avortement comme quelque chose de mal, encore moins comme un péché. Mais réfléchir sur les textes me fait comprendre le point de vue de l’Église. » D’autres ont tout simplement besoin de parler de leur foi, comme ce garçon : « Parfois, j’ai l’impression que le Christ est plein d’ironie, qu’il nous fait des blagues. Mais si j’en parlais à des athées, ils me prendraient pour un fou. » Sa voisine renchérit, avec une pointe de jubilation : « C’est vrai qu’on passe souvent pour des fous. » Pourtant, certains sentent au contraire dans leur entourage une curiosité grandissante pour leur foi. La même curiosité qui a conduit Thomas, autrefois nietzschéen indécrottable, à se faire baptiser à Pâques dernières.

On comprend difficilement le succès de l’EVEN si on ne prend pas en compte sa dimension générationnelle. À l’image de ce Thomas dont les parents sont de fervents athées, mais les grands-parents croyants et pratiquants, beaucoup de ces néo-cathos sont en rupture avec les valeurs postmodernes et le mode de vie libertaire de leurs parents soixante-huitards. Pour autant, ils ne sauraient se contenter de règles et de vérités dispensées par le haut. L’Église a bien compris que pour amener vers elle ces enfants de l’individualisme libéral, il ne s’agissait plus de leur imposer des réponses mais de leur apprendre à poser des questions.[/access]

*Photo : François Grivelet.

Mai 2015 #24

Article extrait du Magazine Causeur



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