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De Thorez à Hessel


Walter Veltroni, ancien maire de Rome, est entré en politique en adhérant aux Jeunesses communistes italiennes à la fin des années 1960. Artisan majeur de la transformation du PCI en « Parti démocrate de gauche » puis en « Parti démocrate » tout court, il tire le rideau sur ses années communistes avec cette formule : « Il ne suffit pas de dire que nous avons eu tort. Encore faut-il admettre qu’à l’époque, nos adversaires avaient raison ! »

Moyennant quoi les gros bataillons du PCI sont venus en masse occuper le terrain de la social-démocratie transalpine laissé en déshérence par un PSI déconsidéré par les turpitudes de l’ère Bettino Craxi. Les vieux staliniens rétifs à cette mutation se sont peu à peu marginalisés et survivent sous la forme de groupuscules extra-parlementaires se déchirant mutuellement.
En France, la situation est radicalement différente : le PCF ne s’est jamais résolu à se rendre de son propre gré dans les poubelles de l’Histoire.[access capability= »lire_inedits »] Au contraire, à partir de 1989, ses dirigeants politiques et intellectuels n’ont cessé de finasser pour justifier la persistance de la dénomination du Parti, symbole de la continuité de son histoire.

On a fait assaut de dialectique pour faire croire au bon peuple que le Parti de Robert Hue, puis de Marie-Georges Buffet avait tiré les leçons de l’échec du « socialisme réellement existant » et de la décomposition de l’URSS. On pouvait, à la grande rigueur, souscrire à la première partie de l’autocritique de Veltroni, mais en aucun cas à sa conséquence ultime : reconnaître que l’« ennemi de classe » n’avait pas totalement tort. Et l’on passa vite à l’exaltation des mérites historiques du « Parti des fusillés » : conquêtes sociales, Résistance, combat anticolonialiste…
Le stalinisme version française, ce fut longtemps le « thorezisme », du nom de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF de 1931 jusqu’à sa mort, en 1964. Pendant plusieurs décennies, le Parti communiste et ses nombreuses organisations satellites ont constitué ce qu’Annie Kriegel a appelé une « contre-société ». On pouvait passer une existence entière, du berceau à la tombe, dans un espace social entièrement quadrillé par les communistes. Les enfants lisaient Pif le chien et, dans les plus militantes des familles, on les envoyait chez les Pionniers. Madame lisait Heures Claires, l’hebdo de l’Union des femmes françaises, pendant que Monsieur se délectait des papiers d’Abel Michéa (le papa du Jean-Claude en couverture) retraçant, dans Miroir Sprint, l’épopée de René Vietto[1. René Vietto (1914-1998). Coureur cycliste célèbre des années 1930-1940, proche du PCF.] sur le Tour de France.

Ce stalinisme à la française se voyait pourtant, et c’est heureux, limité dans sa mise en tutelle radicale des individus et empêché de se livrer aux horreurs répressives style goulag par son éloignement du pouvoir central, ou le partage de celui-ci avec d’autres forces politiques. Cette idéologie brutalement totalitaire s’est donc inscrite dans la mémoire collective d’une partie de la population française comme l’exercice bienveillant, par ses thuriféraires, d’une fonction sociale protectrice.

En conséquence, la perte d’influence politique du PCF s’est accompagnée d’une auto-amnistie générale de ceux qui avaient participé à la diffusion de cette idéologie et de ses mensonges, donc à l’oblitération de la terreur stalinienne : « Nous ne sommes plus politiquement dangereux, mais nous sommes encore très nombreux à conserver en nous cette flamme allumée dans notre jeunesse. Si nous nous sommes trompés, c’est de bonne foi, et de toute façon ceux d’en face étaient les pires des salauds ! » Avec l’allongement de la durée de la vie et l’amélioration généralisée de la santé des seniors, ces franco-staliniens jouent un rôle non négligeable dans l’animation de la vie politique et associative de notre pays. Ils n’ont de cesse de transformer l’indispensable conflit politique nécessaire en démocratie en simulacre de guerre : l’invocation des mânes de la Résistance pour brutaliser le débat politique contemporain provoque chez eux une jouissance infinie.

Ils savent toujours flairer la hyène trotskiste à plus de cent mètres, ce qui crée quelques difficultés au brave Mélenchon, même s’il se décarcasse à la Fête de l’Huma. À la place de Veltroni, ils ont Hessel et Badiou à offrir en modèles à notre belle jeunesse. Et, à l’étranger, la défense du communisme sénile des frères Castro, celle du caudillisme éclairé au pétrole d’Hugo Chavez, sans oublier l’immarcescible cause palestinienne leur servent d’ersatz de l’internationalisme prolétarien d’antan. Il ne reste plus qu’à espérer que ce gène stalinien soit de l’espèce récessive.[/access]

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Octobre 2011 . N°40

Article extrait du Magazine Causeur



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