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« Le nouveau monde macroniste est tout fier d’être multiculturaliste »

Entretien avec la militante laïque Céline Pina


« Le nouveau monde macroniste est tout fier d’être multiculturaliste »
Céline Pina, 2015. SIPA.

Céline Pina, fondatrice du mouvement Viv(r)e la République, ancienne adjointe PS au maire de Jouy-le-Moutier et conseillère régionale dans le Val-d’Oise, réagit aux propositions d’Aurélien Taché. Ce député LREM, promoteur d’une vision libérale de la laïcité, défend le multiculturalisme. Sa dernière idée ? Instaurer un crédit d’impôts pour les français qui hébergent des migrants. Entretien.


Martin Pimentel. Vous vous en prenez régulièrement à Aurélien Taché sur Facebook. Que reprochez-vous à ce député macroniste ?

Céline Pina. Aurélien Taché est référent laïcité au sein de LREM. Sans le connaître, j’ai été surprise par son agressivité dès qu’un politique fait clairement le lien entre montée de la propagande islamiste et attaques coordonnées sur la laïcité, l’égalité. Cet ami de Yassine Bellatar a invité ce dernier à dénoncer le « racisme d’Etat » à l’Assemblée nationale. Le jeune député n’a pas hésité à tweeter la punchline de son acolyte pour résumer l’esprit de sa réunion : « si on avait été en France, Obama serait encore à la machine à café. » Personne n’a osé lui faire remarquer d’une part qu’au niveau de diplôme de Barack Obama personne n’est « à la machine à café », ni que ce dernier était probablement plus diplômé qu’aucune des personnes présentes dans la salle. Mais surtout nul n’a noté que Yassine Bellatar en train de pérorer toute victimisation dehors est invité à insulter la République dans ses ors et parle du cœur de l’Assemblée nationale. Un référent laïcité comme Taché, à force d’expliquer que si on avait des femmes voilées au Parlement nous serions enfin un pays moderne, peut donner l’impression d’être plus son fossoyeur que son champion. Dans le même registre, j’ai été surprise de le voir reprendre un vocabulaire marqué par l’extrême droite historiquement ou par l’islamisme plus récemment, lorsqu’il ne peut s’empêcher de traiter les défenseurs de l’idéal laïque de « laïcistes » ou « laïcards ».

Aurélien Taché prétend agir au nom du vivre-ensemble et intégrer l’islam à l’identité française. N’est-ce pas une intention louable ?

J’ai été étonnée de l‘entendre expliquer que le culte musulman faisait partie de l’identité française alors que notre particularité identitaire tient dans le choix de la laïcité et que supposer des racines chrétiennes à la France fait grimper tous ses camarades aux rideaux. Le reste est à l’avenant : sa défense passionnée de Maryam Pougetoux, la leader voilée de l’UNEF et de son refus d’entendre que l’on ne pouvait pas se dire héritière des luttes émancipatrices quand on porte un signe qui symbolise clairement le refus d’accorder l’égalité aux femmes. Que dire également de son lobbying actif pour que les associations religieuses soient retirées de la liste des lobbys ? Aurélien Taché fait partie de toute cette génération LREM qui a grandi dans le sérail du PS. Cette nouvelle génération pratique le même clientélisme et les mêmes méthodes que ses aînés. Notre référent laïcité n’a donc rien eu de plus pressé en tant qu’élu qu’aller poser la première pierre de la mosquée de Jouy-le-Moutier.

Cette mentalité est malheureusement liée à l’évolution des partis, et pas à la personnalité de ce peut-être trop jeune homme. Personne ne sait plus faire campagne autour d’une vision du monde et d’un projet commun, en revanche la retape communautariste, elle, est parfaitement maîtrisée. Ces méthodes ont éloigné plus de 60% des électeurs des bureaux de vote. Bien que ce jeune homme soit malheureusement éloigné de toutes les réalités et très orientée idéologiquement, il fait partie d’un petit groupe de dix députés « marcheurs » qui a l’oreille de l’exécutif. Et il a ainsi un vrai pouvoir d’influence au plus haut niveau alors qu’il n’a ni expérience ni vécu… A son corps défendant, il contribue probablement à l’impression lunaire que donne l’action et l’attitude du Président de la république.

Au-delà de ses prises de position, quel bilan tirez-vous de ses premières actions ?

Aurélien Taché est arrivé dans sa circonscription avec la « folie » en Marche qui a tout balayé sur son passage. Il débarque sans avoir aucune idée de ce qu’est ce « territoire » et des réalités qu’il affronte.

Le moteur de cette circonscription, c’est Cergy. Elle a été créée récemment pour que la droite conserve son fief (la première circonscription du Val d’Oise) et que la gauche ait le sien, celle-ci. Le découpage a été fait sur mesure à l’époque pour l’ancien maire de Cergy. Il a employé dans sa circonscription les mêmes méthodes que dans sa ville. Un classique en politique. Aurélien Taché sait très bien que toute une partie de la ville y est tenue par des liens clientélistes très forts. Le « client » n’a aucun attachement politique particulier quand il commence à développer son « projet ». S’il en a un, on n’est plus dans le clientélisme, mais dans l’entrisme, le noyautage. Bien souvent, au départ, le « client » n’a pas d’idée politique autre que de gagner en importance au sein de sa communauté : il vote donc pour celui qui le servira le mieux. Le « client » peut donc passer à droite, à gauche, au PS ou à LREM, peu importe. Le « client » vote pour celui qui propose le deal le plus avantageux pour gagner en importance dans sa communauté, ou pour que sa communauté obtienne un avantage quelconque.

Le clientélisme se joue à plusieurs. Qu’obtiennent concrètement les « clients » qui proposent leurs voix au candidat le plus offrant ?

Ce n’est souvent que dans un second temps et dans des cas précis que le « client », une fois dans la place, développe sa propre musique. Il se fait le relais de lectures particulières de la société dans laquelle la race est prédominante, il amène sa vision d’une France décrite comme raciste et postcoloniale, puis des associations très communautaristes qui sont soutenues et obtiennent nombre d’avantages. On favorise ainsi les entreprises commerciales qui font du transport de corps ou des pèlerinages vers la Mecque, on subventionne des projets dits culturels qui s’avèrent cultuels (de soi-disant cours d’arabe sont subventionnées dans la partie soi-disant centre culturel de la mosquée, qui sont en général des cours de Coran à peine déguisés : personne ne contrôle jamais rien). Généralement, on favorise la construction d’une mosquée d’où sera mené un travail politico-religieux. Et ainsi de suite jusqu’à ce que votre poids sur le territoire vous rende incontournable pour imposer votre deal à celui qui veut se faire élire. Jusqu’au jour où il n’est plus utile et que vous êtes en mesure de gagner par vous-même. C’est à ce petit jeu-là que nous assistons aujourd’hui.

Rien de nouveau sous le soleil. Quelles en sont les conséquences sur le corps social ?

Là où l’ancien monde exploitait le filon du ressentiment et du repli identitaire mais avait honte d’être communautariste, le nouveau est tout fier d’être « multiculturaliste ». Cela revient au même mais c’est tellement plus chic ! Il y a chez En marche une admiration très forte pour les Etats-Unis et le système multiculturaliste. Pour un monde où les différences entre les personnes doivent forcément engendrer des différences de droit. Un monde où on vit de plus en plus côte à côte en se détestant tellement que la moindre parole de travers peut avoir un effet explosif. L’invention du politiquement correct ne lutte pas contre la haine, il en est la conséquence et vise non pas à combattre la haine mais à en réduire les effets. Quand l’appartenance communautariste devient l’identité première d’un individu, cela passe souvent par la violence. La personne se reconnaît pas en tant que destin particulier mais émanation d’un tout, représentante d’une communauté qui doit défendre ses parts de marché face à la concurrence victimaire et identitaire  et surtout faire en sorte que les individus restent dans la communauté car tout départ est affaiblissant. Aussi est-il important de mettre des interdits sur tout ce qui permet de dépasser les appartenances raciales, ethniques, religieuses… Interdits alimentaires, interdits sur les femmes… Si on ne peut ni partager un repas, ni faire alliance (se marier, flirter, expérimenter), alors la seule destinée est l’enfermement communautaire.

Vous attaquez fort ! Sans forcément le promouvoir, pourquoi ne pas accepter le port du voile islamique, au nom des libertés individuelles ?

Le voile n’est pas un vêtement, il a une signification. C’est un signe qui prône l’infériorité de la femme et fait de son corps un objet de honte n’est pas et ne peut être la France, et celles qui le portent ne peuvent non plus incarner notre pays. En relayant et en légitimant la revendication sur le voile, cheval de bataille des islamistes, le jeune politicien, au lieu de porter haut nos principes et idéaux, ce qui est son rôle en tant que député, défend les revendications de ceux qui haïssent autant la République, que la démocratie ou la laïcité. Il le fait alors qu’il ne peut ignorer que c’est souvent sur la base de ces revendications-là que gauchistes et islamistes font leur marché dans les quartiers et écoulent leur propagande.

Dans certains quartiers, les modes de représentation sont appuyés sur une valorisation très forte du pays d’origine qui se traduit dans les faits par un retour vers le Coran, mais sur la seule interprétation qui leur soit transmise, dans les associations ou à la mosquée, donc souvent une version très rigoriste, wahhabite ou très politique, façon Frères musulmans. Le fond mental, l’univers dans lequel baignent nombre de familles dans les quartiers est cet Islam des paraboles où on peut traiter le juif et l’homosexuel d’abomination, expliquer que leur massacre plait à Dieu, justifier au nom d’Allah l’infériorité des femmes et la haine des kouffars… Il y a clairement conflit de valeur entre tout ce qui est vu comme faisant lien avec les origines et les principes à intégrer pour devenir français (principes qui ne sont pas des privilèges de naissance et que nous avons tous à acquérir, même si pour la plupart d’entre nous, cet apprentissage des principes ne se passe pas dans le conflit de loyauté et la crainte de la trahison de ses origines, devenues identité indépassable). Cela permet à quelques entrepreneurs identitaires ou fils à papa en crise dont la place et le statut social sont assurés de s’offrir un frisson révolutionnaire, mais cela envoie dans le mur les enfants des classes populaires.

Que penser de sa proposition de crédit d’impôt en faveur de ceux qui logent un migrant ?

C’est le type même de la fausse bonne idée qui va encore plus tendre une situation. Comme si l’accueil concret de réfugiés était une question simple et que tout le monde pouvait s’y mettre aussi facilement. C’est mal connaître les difficultés de l’accueil au sein d’une famille, cela peut être déstabilisant, voire rompre des équilibres dont on n’avait pas conscience. Cette mesure est complètement déconnectée du réel et notamment des lenteurs de l’administration que je connais bien. Que feront les personnes ayant accueilli une famille si aucune solution de relogement n’est proposée par l’Etat ? Elles garderont ces gens à demeure des mois entiers ? Que dire également du sentiment d’échec si cela se passe mal ? Qui va accompagner ces familles dans un rôle qui va souvent les dépasser ? Que faire si cela tourne mal ? La proposition d’Aurélien Taché donne une fois encore dans la moraline. On ne construit pas de chemin politique en refusant ses responsabilités pour espérer devenir chef de la croisade du Bien, c’est même souvent tout le contraire qui arrive : qui veut faire l’ange politique aide paradoxalement la bête immonde à grandir. Et le Brésil nous montre que cela peut arriver très vite.

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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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