Barrès, le retour?


Barrès, le retour?
Portrait de Maurice Barrès par Jacques Blanche (Wikimedia commons)
Portrait de Maurice Barrès par Jacques Blanche (Wikimedia commons)

On ne lit plus tellement Maurice Barrès, voire plus du tout. En ces temps où, en filigrane du débat sur la déchéance de la nationalité se profilent à nouveau des questions sur le droit du sol, sur ce que signifie être français, Barrès par ses propres ambiguïtés, sa propre évolution et ses propres dérives sur la question peut servir de repère.  Il faut d’abord savoir qu’il a été un contemporain capital au tournant du XIXème et du XXème siècle. Un an avant sa mort, en 1922, les Dada organisent son procès fictif. Motif : « Atteinte à la sûreté de l’esprit. » André Breton préside le tribunal. Tristan Tzara, à cette occasion, explique: « Barrès est la plus grande canaille qui s’est produite en Europe depuis Napoléon. » Cela n’empêchera pas Aragon, le communiste Aragon, de contre-attaquer quelques années plus tard : « De Barrès à Gide, l’homme ne monte pas, il descend. (…) S’il faut choisir, je me dirai barrésien. » 

Quel est cet homme qui a su à la fois plaire à Aragon et est resté un des maîtres à penser des « antimodernes » pour reprendre le terme d’Antoine Compagnon ?

Barrès est au début de sa vie  considéré comme « le prince de la jeunesse » et à la fin, après la guerre 14-18, comme « le rossignol des charniers » selon le mot de Romain Rolland. Son « culte du moi » en fait l’idole d’une  fin de siècle narcissique qui veut  affirmer son dandysme contre « les barbares ». Mais déjà à cette époque, il se définit comme nationaliste. Ce Lorrain a perdu sa terre natale, occupée par les Prussiens en 1870, quand il avait 8 ans. Adulte, il ne voit autour de lui qu’une IIIème République engluée dans les scandales.

Son nationalisme est alors un nationalisme de tempérament qui n’a encore rien de doctrinal. On pourrait davantage parler d’un patriotisme instinctif fondé sur le culte des morts, de la patrie charnelle tel qu’il apparaît dans La Colline inspirée. Est Français celui qui se sent inscrit dans un terroir et une durée, celui qui se sent « enraciné » Il n’est pas (encore) question de « race française » même si Gide moque déjà Barrès sur cette idée d’enracinement : « Né à Paris, d’un père uzétien et d’une mère normande, où voulez-vous, monsieur Barrès, que je m’enracine ? »

Du nationalisme néoromantique à la tête du camp antisémite

Et c’est ce nationalisme néoromantique qui le pousse à l’engagement politique, à une révolte contre les élites à travers l’aventure boulangiste. Le général Boulanger, ancien ministre de la Défense, dirige un mouvement protestataire que l’on qualifierait aujourd’hui de populiste. Il y a quelque chose du FN des années 2010 dans l’agglomérat des sensibilités politiques autour de lui : on trouve des monarchistes, des bonapartistes, des jacobins, des socialistes et même des anarchistes. Barrès est élu député boulangiste en 1889, à Nancy. Mais Boulanger après une tentative de coup d’Etat rocambolesque, se suicide sur la tombe de sa maîtresse. Fin de l’aventure.

Ce qui va transformer le nationalisme barrésien, d’ordre sentimental, charnel en une idéologie de droite où des penseurs comme Zeev Sternhell ont pu voir une des matrices du fascisme, c’est l’Affaire Dreyfus. Sur le plan intellectuel – le mot apparaît à cette époque –, il faut alors choisir entre Barrès et Maurras ou Zola et Clémenceau alors que se cristallise un antisémitisme diffus dans la société française. Et celui qui était admiré du jeune Léon Blum prend la tête du camp antisémite. L’année 1898 est charnière : alors que Zola publie J’accuse, Barrès se présente de nouveau à la députation à Nancy et publie son programme.

Cette fois-ci, les choses sont claires : après avoir décrit  « l’étranger, comme un parasite, qui nous empoisonne » et qui « fait concurrence  aux ouvriers français », le tir se concentre sur le juif que l’on a fait l’erreur de croire assimilable : « La question juive est liée à la question nationale. Assimilés aux Français d’origine par la Révolution Française, les juifs ont conservé leurs caractères distinctifs et, de persécutés qu’ils étaient autrefois, ils sont devenus dominateurs »

Revenir sur les naturalisations et le droit du sol

Il propose, dans la foulée, de revenir sur les naturalisations et le droit du sol qui avait été renforcé par la IIIème république pour des raisons, déjà, d’immigration de travail : « Le système opportuniste depuis vingt ans a favorisé le juif, l’étranger, le cosmopolite. Ceux qui commirent cette erreur criminelle donnaient pour raison que ces exotiques apportaient à la France des éléments énergiques. (…) Voici la grande vérité, les éléments énergiques dont il est bien vrai que la société française à besoin, elle les trouvera en elle-même en favorisant l’accession des plus déshérités, des plus pauvres, en les élevant à plus de bien être, à plus d’instruction professionnelle. »

On le voit, rien n’est simple, la remise en question du droit du sol qui se confond avec le racisme , « c’est par cette fissure que nous sont venus les pires juifs et tant de médiocres Français », se fait  au nom d’un programme que l’on qualifierait aujourd’hui de gauche, voire d’émancipation.

Mais c’est là qu’intervient Jaurès, l’éternel rival de Barrès – les deux se connaissaient très bien depuis qu’ils avaient siégé tous les deux à l’extrême-gauche avant l’affaire Dreyfus. Jaurès, dans un discours de 1905,  souligne la contradiction insurmontable entre socialisme et nationalisme revendiqués tous les deux par Barrès et par la même occasion, il redéfinit la notion de patrie : « Dire au Français que son devoir est de préférer passionnément la France, à l’Allemand que son devoir est de préférer passionnément l’Allemagne, à l’Anglais l’Angleterre, à l’Italien l’Italie, au Chinois la Chine, c’est créer chez tous les peuples un parti pris d’aveuglement, d’infatuation, d’injustice et de violence. Quiconque se préfère délibérément aux autres ne reconnaît aux autres qu’un droit inférieur ; et c’est le principe de tous les attentats, de toutes les iniquités. »

Barrès ou Jaurès, aujourd’hui comme hier,  il faudra bien  choisir…

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