Attentats: en finir avec le grand-guignol judiciaire


Attentats: en finir avec le grand-guignol judiciaire
Sven Mary, l'avocat de Salah Abdeslam (Photo : SIPA.AP21872723_000022)
Sven Mary, l'avocat de Salah Abdeslam (Photo : SIPA.AP21872723_000022)

L’arrestation d’Abdeslam dans le quartier de Molenbeek à Bruxelles a permis de constater que sa cavale avait été particulièrement longue puisqu’en quatre mois il avait parcouru 400 m… Démonstration s’il en était besoin, qu’à Molenbeek, les djihadistes sont comme poissons dans l’eau. Les attentats de l’aéroport et du métro de Bruxelles montrent aussi que l’on serait peut-être bien avisé de parler de guérilla plutôt que de terrorisme. Et pour traiter ce qui constitue des opérations de guerre planifiées, on peut se poser la question de savoir si l’utilisation des méthodes judiciaires classiques est la bonne solution.

C’est toute l’ambiguïté de la phase que nous traversons, où le recours à l’état d’urgence se justifie, mais pour une période déterminée et avec des objectifs clairs. Nos gouvernants – et en particulier le Premier ministre – semblent plus préoccupés de pérenniser dans le droit commun les mesures d’exception de l’état d’urgence. Personnellement réservé sur l’abandon du traitement judiciaire au profit du traitement administratif, je ne peux qu’être consterné par la façon dont la société du spectacle met en scène les procédures : le couple infernal média/justice transforme ce qui devrait quand même être empreint d’une certaine solennité, en pitreries, dont les interventions grotesques de l’avocat d’Abdeslam sont l’illustration.

Des médias complices

Les médias se précipitent avec gourmandise sur un imposteur dont il est évident qu’il n’a pas le moindre souci de l’intérêt de son client. Tenues soigneusement choisies pour faire baroudeur, crâne rasé qui permet aux Marie-Chantal des chaînes d’info de se pâmer sur une soi-disant ressemblance avec Bruce Willis. Quant à ses prises de position, elles relèvent d’un mauvais guignol. « Refus d’extradition » alors que, mandat d’arrêt européen aidant, il ne s’agit pas d’une extradition, plainte stupide et radicalement irrecevable contre François Molins, le procureur de Paris, pour violation du secret de l’instruction.

Mais pourquoi se gêner alors que caméras et micros se précipitent, et que dépêches et tweets relaient en urgence. Les ignares parleront doctement de « défense de rupture », alors que tout cela ne sert qu’à faire de la mousse et d’avoir son quart d’heure de célébrité warholien. La responsabilité des médias est lourdement engagée dans la mise en scène de ces comédies qui aboutit à la délégitimation du rôle et de la présence de l’avocat dans les procédures judiciaires.

En France, on a du mal à se débarrasser de l’image de l’avocat complice et on a souvent tendance à considérer pour les cas les plus graves — terrorisme ou pédophilie — que la défense est un luxe dont ces prévenus-là devraient être privés. Et ce ne sont pas les bateleurs d’estrades aux performances médiatiques inversement proportionnelles à celles du prétoire, qui vont leur faire changer d’avis.

Assurer le spectacle paye parfois…

Le pire est que la société du spectacle permet d’obtenir des résultats même quand on a piteusement échoué dans l’espace judiciaire. Omar le jardinier avait été condamné sur la base d’un dossier accablant, par la suite Jacques Vergès avait habilement réussi à le faire passer pour un innocent, lui permettant ainsi d’obtenir une grâce partielle. Le conseil de Jérôme Kerviel n’avait pas ébloui grand monde à la barre, ses prestations médiatiques ont fait de son client le héros de la gauche de la gauche. Plus récemment encore Jacqueline Sauvage a obtenu une grâce présidentielle ainsi commentée par Pascale Robert-Diard dans le Monde : « Le dénouement de cette affaire offre à cet égard une singulière inversion des rôles. Deux avocates, habiles communicantes, transforment le cinglant échec judiciaire qu’elles ont essuyé pour leur cliente devant une cour d’assises en bruyante cause médiatique. Et un président de la République use de son pouvoir pour donner à une accusée l’avocat efficace qu’elle n’a pas eu dans le prétoire ».

Tout ceci contribue à l’affaiblissement du principe même de l’indispensable défense. Il faut répéter qu’il ne peut pas y avoir de décision de justice légitime si le condamné qui va subir la violence de l’État, légitime elle aussi, n’a pas bénéficié d’une défense digne de ce nom. Et il ne faut pas être surpris de voir comment depuis quelques années les prérogatives de la défense ont été réduites comme peau de chagrin, l’exemple le plus grave étant l’anéantissement du secret professionnel.

Il faut espérer qu’à son arrivée prochaine en France, Salah Abdeslam bénéficie d’une défense digne de ce nom. C’est d’abord, qu’on le veuille ou non, l’intérêt de la société, avant même celui d’Abdeslam. En se rappelant que dans une démocratie, l’avocat défend l’homme, pas le crime.



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