Antiterrorisme: le syndrome des tranchées


Antiterrorisme: le syndrome des tranchées
(Photo : SIPA.00730928_000002)
(Photo : SIPA.00730928_000002)

Après les attentats des 7 et 8 janvier 2015, 10 000 militaires ont été déployés pour assurer la sécurité des points sensibles du territoire, une décision présidentielle motivée par l’ampleur de la menace. Cette opération voulait prouver la fermeté de la réponse politique, mais elle a surtout montré la rapidité de réaction de l’armée de terre et son rôle capital comme réserve d’action pour le gouvernement.  Mais, dès la fin janvier 2015, comme à l’automne 1914 après la course à la mer, cette brillante manœuvre entrait dans un cycle probablement autodestructeur. Aujourd’hui, ce déploiement est devenu un outil d’affaiblissement et un signe de faiblesse.

Police secours

Affaiblissement parce que, mobilisant depuis plus d’un an entre 7 000 et 10 000 soldats, elle perturbe le cycle de préparation aux projections extérieures sur  plusieurs fronts (opérations Barkhane, Chammal, Daman, sans compter les lieux où il faudrait encore frapper militairement) où un renforcement de la présence militaire serait fort utile. Affaiblissement aussi parce que, même si après les gardes statiques du début, ses modes d’action sont devenus plus dynamiques, cette potentiellement puissante force est disséminée en petits groupes, noyés au milieu de la population, sans pouvoir d’action, sinon celui de réagir selon les règles de la légitime défense ou de paraître impuissants face à des provocations. Dissuasion et présence rassurante bien fragiles si les terroristes islamistes réorientent, comme ils savent parfaitement le faire, leurs attaques[1. La guerre d’indépendance en Algérie et la guerre civile algérienne (1991-2002) sont des références stratégiques pour les djihadistes. Au cours de ces deux guerres, les assassinats de policiers ou soldats isolés ont été utilisés pour défier le pouvoir politique, mais les provocations contre les soldats pour les pousser à la faute, les discréditer et les démoraliser n’est pas à exclure. C’est ce que vivent nos policiers sur le terrain et ce que voient les tacticiens en guerre psychologique de l’État islamique.]. Et de fait, vu de l’ennemi, ce déploiement de moyens sans pouvoir, ne peut être que perçu comme un signe de faiblesse, déjà testé le 13 novembre 2015. Après avoir jeté dans le chaudron son ultima ratio, quel geste de puissance pourrait restaurer l’autorité et la crédibilité du politique face à l’ennemi et devant la population ?

Présenté comme une nécessaire mise en application du « continuum sécurité défense », ce mode opératoire conduit à une usure stratégique du pouvoir politique et des forces armées. Le véritable sens du « continuum sécurité défense » ne se trouve probablement pas dans un emploi des forces armées comme vigiles en complément des forces de sécurité, des polices municipales ou des sociétés privées de sécurité.

Nous ne sommes (juridiquement) pas en guerre

Il se trouve d’abord dans une nécessaire adaptation du cadre juridique d’emploi des forces armées aussi bien dans les opérations extérieures que sur le territoire national, contre un ennemi « non-gouvernemental » et utilisant des modes d’actions violents. Car, malgré les déclarations énergiques affirmant que nous sommes en guerre, nous ne le sommes pas juridiquement et l’usage de la force armée ne connaît que des limites à sa liberté d’action[2. D’où la polémique née en octobre 2015 lorsque la France a décidé de participer à la campagne de bombardement en Syrie, intervention considérée par de nombreux juristes comme légitime mais illégale.] lorsqu’elle est engagée contre des organisations transnationales non-gouvernementales.

Il se trouve ensuite, au plan opérationnel, pour l’armée de terre, dans une tactique abandonnant les patrouilles isolées et agissant dans des zones d’action où son efficacité peut s’exprimer : surveillance des frontières comme en 1986 ; surveillance aérienne des lignes de communication (hélicoptères, drones), des risques NRBC (pour nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques), surveillance générale du territoire par l’écoute des militaires comme témoins « citoyens » (ou lanceurs d’alerte pour reprendre un concept porteur), etc.

Il se trouve aussi dans des tactiques d’emploi groupées, en appui des forces de sécurité et du pouvoir judiciaire, pour réaliser des actions de présence et de surveillance de zones, là où des populations (et des maires) réclament plus de sécurité, plus de présence de l’État au quotidien. Et qui parfois, s’estimant délaissées, s’abandonnent malheureusement à ceux qui « tiennent le terrain ». Qui, plus que l’armée de terre française, est légitime pour occuper le territoire français ?

Quelle armée de terre ?

Nous sommes dans la nécessité de disposer d’une armée de terre nombreuse et solide, prête à se déployer rapidement sur le territoire national, certainement jusqu’à 10 000 hommes, mais pour des opérations à haute valeur ajoutée grâce à ses équipements, de puissance grâce à ses effectifs immédiatement engagés, de présence dissuasive significative dans des zones affaiblies grâce à son organisation tactique, avec un cadre juridique adapté à cette nouvelle guerre hybride contre des organisations non gouvernementales qui gangrènent le territoire national.

L’avenir de l’armée de terre ne se trouve probablement pas dans un rôle de « sentinelle », nouveau désert des Tartares dans lequel des soldats dynamiques « consumaient ici la meilleure part de leur vie » et de leur art militaire. La manœuvre est une clé de la dissuasion et du succès des batailles.



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est Général de division (2° S) et consultant défense et relations internationales

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